L’accès aux soins de santé de qualité est un problème crucial en République démocratique du Congo. C’est la conséquence d’un manque de politique cohérente en la matière. Les grands hôpitaux, qui existent pourtant, semblent n’être réservés qu’aux nantis. Les gagne-petit recourent encore aux pratiques ancestrales.
Les centres de santé tradi-modernes drainent encore du monde à travers le pays. Il en existe plus d’une centaine, dans la seule capitale, qui s’occupent des couches vulnérables de la population. Plusieurs dizaines de personnes les visitent chaque jour en quête d’informations sur les soins de santé administrés. Une bonne partie remplit les formalités pour suivre un traitement. Ceci conforte ainsi le constat révélé par une étude, publiée en 2010, selon laquelle « une grande proportion de la population congolaise fait encore confiance à sa médecine traditionnelle dont le traitement est fait à base de plantes naturelles et médicinales ».
Des patients, interrogés à ce sujet, évoquent plusieurs raisons justifiant cette ruée vers la médecine de leurs ancêtres. Il s’agit de la reconnaissance des mérites des ancêtres ; la crainte des effets indésirables occasionnés par la prise des médicaments synthétiques ; la peur de subir une intervention chirurgicale de plus ; les limites de la médecine moderne quant au traitement de certaines pathologies. Mais la principale raison reste le faible niveau des revenus de la population. Parmi les centres ayant pignon sur rue actuellement, on cite, notamment, le Cabinet « Docteur Didier Mampasi », Nsanga Lubangu, Herbo-Pharma, Centre médical du Congo, Centre Nyeka, etc.
Conditions d’agrément
Les formalités d’agrément sont très simples. Selon Norbert Likomba, administrateur gestionnaire à la direction chargée des tradipraticiens, au Secrétariat général à la Santé, « une licence de l’art de guérir est octroyée à toute personne désirant exercer le métier de tradipraticien en RDC. Elle est signée par le secrétaire général à la Santé moyennant quelques préalables. D’abord, le demandeur devra présenter une attestation d’affiliation à une association des tradipraticiens agréée par l’État congolais. Elle devra, par la suite, remplir une fiche d’enregistrement dans laquelle elle précise, parmi les huit catégories listées, sa spécialité selon qu’elle est phytothérapeute, naturaliste, herboriste, ritualiste, spiritualiste, exorciste, rebouteux et autres. En plus de cette identification, il est exigé que chacun déclare son niveau d’études et son mode d’acquisition des connaissances. « Est-ce par inspiration, rêve, héritage, apprentissage, observation ou études qu’on est devenu tradipraticien ? » Toutes ces conditions remplies, le requérant devra s’acquitter de 20 dollars de frais administratifs, et de 200 dollars (dont 100 pour la taxe et 100 pour la visite d’expertise sur le terrain).
Procédure et coût des soins
La procédure à suivre pour être soigné demeure presque la même partout. Le patient est accueilli par un réceptionniste qui lui fournit tous les renseignements et procédures relatifs aux soins dispensés. Il lui sera ensuite exigé de payer entre 1000 et 1500 francs pour l’établissement de la fiche médicale. Cette fiche sera transmise au tradipraticien qui assure la consultation et les examens médicaux du malade. Les frais de consultation et des examens oscillent entre 5000 et 7000 francs. En revanche, pour ceux qui pratiquent la médecine traditionnelle chinoise, les frais de consultation comme ceux des examens médicaux sont gratuits. Mais, les coûts des substances à base alimentaires prescrites sont trop élevés. Leurs prix varient entre 15 et 70 dollars. Le diagnostic s’opère selon trois méthodes : le prélèvement de la salive sur une lamelle, le scanner ou la prise habituelle de la goutte épaisse et les urines. Le laboratoire est équipé de manière sommaire : juste un microscope ou un scanneur. Le traitement de la maladie décelée s’effectue à base de plantes naturelles et médicinales. Les remèdes prescrits sont des produits maison, c’est-à-dire des trouvailles du tradipraticien responsable (pour les Congolais) ou des substances alimentaires importées de Chine.
Des revenus assurés
La durée ainsi que le coût du traitement sont fonction de la pathologie dont souffre le patient. Pour les hémorroïdes, par exemple, la facture tourne autour de 100 à 150 dollars. Quant on sait qu’en moyenne près de 50 malades sont soignés chaque mois dans ces centres, on peut estimer le chiffre d’affaires mensuel du tradipraticien à environ 4 000 dollars. « Les coûts des produits sont relativement très élevés du fait que les plantes médicinales proviennent de l’intérieur du pays. Un coefficient est calculé, à cet effet, tenant compte des trajets effectués », fait remarquer un laborantin d’un des centres. Pour être certain de la guérison, certains tradipraticiens recommandent leurs patients à certains laboratoires d’analyses médicales reconnus à Kinshasa, en fonction du choix des malades. « La plupart d’entre eux nous reviennent tout joyeux car les tests de contre-examen effectués se révèlent négatifs, attestant ainsi la guérison effective du malade », déclare un responsable de centre.
Contribution à la pharmacopée congolaise
Les centres tradi-modernes sont aussi des greniers de la recherche contribuant ainsi à l’avancement de la pharmacopée congolaise. À travers leurs maisons, les tradipraticiens ont concocté plusieurs spécialités de médicaments à base de plantes naturelles et médicinales. Ces produits servent à combattre et à guérir diverses pandémies comme l’impuissance sexuelle, le diabète, l’hépatite, la méningite, la dysenterie, la tuberculose, le paludisme, les maladies opportunistes du sida, etc. Chaque tradipraticien, selon son inspiration, baptise comme il l’entend ses trouvailles. Il y a, ainsi, Tshipapa, Nyima, Tshiovu, Hemo force, Omifa, Dina- Phar, Immoracin, Enyakata, Ekungula, Efimbola, etc. Le problème de la toxicité, du dosage et celui de l’efficacité des médicaments sont au centre des préoccupations des tradipraticiens, qui en tiennent comptent. Cette question est en voie d’être réglée grâce à la collaboration entre les scientifiques et le corps médical des tradipraticiens. La qualité des médicaments est attestée par des laboratoires de référence, notamment celui du ministère de la Santé.
Des progrès notables
Ces structures sont souvent réputées sans moyens. Cependant, quelques-unes sont de mieux en mieux organisées et se développent. À la conquête d’autres milieux, elles implantent des succursales dans la partie occidentale, Ngaliema (Binza-UPN), Kalamu (Yolo), Kasa-Vubu (rond-point Force publique), voire dans la commune de la Gombe, au centre ville. D’autres ont ouvert des bureaux de représentation dans des pays limitrophes de la RDC comme le Congo-Brazzaville et la République centrafricaine. Cette évolution est encore remarquable dans l’organisation des services concourant à la prise en charge des soins de santé de la population. A son arrivée, le visiteur est accueilli par un ou une secrétaire-réceptionniste qui lui donne tous les renseignements possibles et qui l’oriente pour les autres étapes à suivre. Les services de consultation, d’examens médicaux, de laboratoire ainsi que la pharmacie sont également opérationnels. Fait très particulier à ces centres : aucun d’entre eux ne dispose d’un service d’hospitalisation ou d’un bloc opératoire. Toutes les prescriptions médicales se faisant sur base de produits naturels, le patient suit sa cure à la maison et ne vient au centre qu’en cas de contrôle ou d’éventuelles complications.
Un recrutement de gens mieux formés
Le niveau de connaissances parmi les tradipraticiens responsables des centres les plus en vue s’est de plus en plus amélioré. En sus des connaissances traditionnelles sur les plantes, certains ont suivi des formations en phytothérapie, au pays comme à l’extérieur. Une amélioration est aussi observée dans le recrutement des collaborateurs qui s’occupent des examens ainsi que des soins. Il y a cohabitation entre ceux qui ont appris l’art de guérir sur le tas et les infirmiers et laborantins formés dans les instituts des techniques médicales.
Pour atteindre et convaincre la population, les propriétaires de ces officines développent une stratégie marketing agressive à travers les médias, en achetant des espaces sur les chaînes de radio et de télévision pour vulgariser leurs activités, singulièrement leurs produits, à longueur de journées. En mai 2012, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) était obligé de remettre de l’ordre dans la boutique en suspendant les émissions des tradipraticiens dans les médias pour violation de la déontologie médicale.