Les coupures intempestives d’électricité que connaît le pays ont des incidences financières importantes pour la plupart des entreprises, en particulier celles de petite taille. Et comme l’embellie ne se profile pas à l’horizon, leurs difficultés s’accumulent.
Les implications économiques du délestage et des coupures régulières d’électricité empêchent certains entrepreneurs d’aller plus loin dans leurs initiatives, notamment dans la création d’emplois. Sans compter que cette situation décourage parfois d’éventuels investisseurs dont l’économie du pays a besoin. La Banque mondiale estime que le manque d’énergie électrique effrite le chiffre d’affaires des PME et PMI à près de 5 %. Cette perte peut même atteindre 20 % dans le cadre des activités du secteur informel. Pour résoudre cette équation, un hôtel de la place, d’un certain standing et situé dans la commune de Lingwala, a payé plus de 7000 dollars à la Société nationale d’électricité (SNEL) pour être connecté à un départ unique (ligne spéciale qui achemine le courant électrique de la cabine basse tension vers le client). Malgré ce dispositif, le taux de desserte de l’hôtel en électricité avoisine à peine les 40% par mois. Son propriétaire a été contraint de débourser à nouveau plus de 80 000 dollars pour l’acquisition d’un groupe électrogène d’une capacité de 250 KVA pour lequel, par semaine, il faut 3 fûts d’essence à raison de 330 dollars par fût. En dépit de la fourniture irrégulière d’électricité, la facturation mensuelle atteignait 3 000 dollars. Pour obtenir une remise, il a fallu exiger l’installation d’un compteur. « Les dépenses additionnelles dues à la carence du courant électrique handicapent le fonctionnement de l’hôtel », si l’on en croit un cadre de cet établissement.
Une dure réalité pour tous
Cette réalité est également vécue par un salon de coiffure dans la même commune, qui a dépensé près de 1300 dollars pour s’offrir un départ unique. Ce mécanisme est plutôt satisfaisant dans la mesure où il stabilise le courant électrique au moins cinq jours par semaine. Simplement parce que la cabine basse tension qui l’alimente est soumise au délestage à partir de la cabine moyenne tension pendant deux jours. Compte tenu du fait que le salon en question est vitré, le manque d’électricité peut conduire à une perte d’une clientèle considérée comme très exigeante. Le propriétaire s’est par conséquent doté d’un groupe électrogène d’une capacité de 60 KVA qui a nécessité un investissement imprévu de 15 000 dollars. « Nous déplorons la facturation mensuelle qui varie entre 300 et 350 dollars, alors que nous ne disposons que de deux climatiseurs et quelques appareils qui ne peuvent pas justifier cette facturation exorbitante », s’indigne le gérant. Chaque mois, la petite entreprise dépense au moins 380 dollars pour l’achat du carburant destiné au groupe électrogène, aux frais d’entretien et à la « motivation » des agents de la SNEL. Pour le gérant, c’est un lourd fardeau. Il en va de même pour cet autre gérant qui s’occupe d’une chambre froide. Il déplore la dépréciation de la desserte en électricité ces derniers temps. « Il n’est pas rare d’assister à plus de dix coupures d’électricité par jour », souligne-t-il. Pourtant, la chambre froide est alimentée par un départ unique. Ces coupures intempestives ont occasionné un manque à gagner d’au moins 1000 dollars par mois en octobre, novembre et décembre 2013. L’instabilité de la fourniture a également eu des répercussions sur les deux moteurs de la chambre froide qui tombent souvent en panne. Pour les faire réparer, il faut débourser 300 dollars par mois. Mais lorsque le moteur rend l’âme, son remplacement coûte au moins 7500 dollars. « Toutes ces dépenses mises ensemble deviennent un sérieux problème pour le fonctionnement de l’entreprise », regrette-t-il.
Même les malades en pâtissent
À l’Hôpital pédiatrique de Kalembe Lembe, dans la commune de Kinshasa, l’électricité est souvent une denrée très rare, alors qu’elle est cruciale à plus d’un titre : fonctionnement des services tels que les soins intensifs, la néonatologie, les blocs opératoires ainsi que pour l’utilisation de bistouris électriques, de lampes, l’oxygène… Par mois, le taux de desserte de l’hôpital en énergie électrique est estimé à 50%. Il a ainsi obtenu un don de ses partenaires étrangers : deux groupes électrogènes d’une capacité de 75 KVA pour l’un et de 40 KVA pour l’autre. Valeur : au moins 45 000 dollars. En cas de panne provenant des installations de la SNEL et qui peut durer plus de dix heures, l’hôpital débourse en une journée au moins 429 000 francs pour l’achat de 300 litres de gazole afin d’alimenter simultanément les deux groupes électrogènes. « Quand l’hôpital est asphyxié financièrement, nous n’utilisons que le groupe électrogène de 40 KVA pour alimenter seulement les services clés. Les dépenses effectuées pour pallier la carence énergétique déstabilisent le fonctionnement de l’hôpital », constate l’un des responsables. Pour toutes ces raisons, l’hôpital a sollicité auprès de la hiérarchie de la SNEL un départ unique. Il attend toujours.
Les besoins en électricité domestique et industrielle d’une ville comme Kinshasa sont estimés à 650 mégawatts, alors que la SNEL ne fournit pour le moment que 300 mégawatts. Ce déficit est éloquent sur la médiocre qualité de la desserte en électricité et des services offerts qui se dégradent chaque jour davantage. Et ceci contraste fortement avec le potentiel hydroélectrique du pays. Pour sortir du gouffre, outre un appui financier conséquent à la SNEL pour qu’elle réponde à ses nombreux défis techniques et matériels, seule la libéralisation du secteur semble être l’unique alternative salutaire.