Les Africains tirent de la Chine des leçons sur sa croissance à folle allure et profitent de son industrie bon marché. Mais comment se passe réellement leur vie là-bas ? The Africa Report s’est rendu dans l’ « Eldorado asiatique » pour le découvrir.
Richard Enyeobi est un pionnier. Le vendeur de pièces détachées pour automobiles nigérian est allé en Chine il y a 17 ans, tout juste deux décennies après la libéralisation et l’ouverture du pays. Enyeobi a beaucoup souffert de la discrimination. « La chose que j’ai apprise c’est d’être prêt à pardonner », dit-il après un office religieux dominical à l’église destinée aux fidèles étrangers à Guangzhou, la ville qui compte la plus grande population africaine en Chine. « Ils peuvent vous taper sur les nerfs à tout instant. »
Pourtant, Enyeobi semble plutôt ne pas vouloir pardonner. Il traite les Chinois de non civilisés. Ils ne s’intéressent qu’à l’argent, dit-il. Il a souvent été traité de « fantôme noir ». Les gens touchent sa peau pour vérifier si c’est vrai. Les taxis le dépassent à vive allure quand il veut faire une course. « Je devrais me sentir chez moi, mais non », explique-t-il. Il a néanmoins trouvé ce qu’il cherchait et il est resté, dit-il en souriant. Il ne dit pas combien il gagne, mais ses revenus lui permettent d’aller au Nigeria tous les deux mois. Là, il fait ses provisions d’huile de palme et de plantains. Il ne touche pas à la cuisine chinoise et parle à peine le mandarin.
La Chine est partie d’une position de partenaire commercial mineur à la fin des années 1990 à celui de seul plus grand marché pour l’Afrique aujourd’hui. Pékin accorde des prêts pour des projets d’infrastructures en milliards des dollars, et les entreprises chinoises courent après les contrats dans l’immobilier, les mines, le commerce et la construction. Complétant ces flots, des citoyens chinois se rendent dans beaucoup de pays africains en pleine croissance, et des Africains travaillent et étudient en Chine. The Africa Report a fait le tour des villes qui accueillent des migrants africains pour découvrir quels obstacles ils rencontrent et comment les Chinois et les Africains travaillent ensemble.
Enyeobi est un exemple extrême. La plupart des personnes contactées par The Africa Report ont répondu qu’elles aiment les Chinois et les ont décrits comme un peuple gentil et hospitalier. En fonction des relations croissantes entre l’Afrique et la Chine, il n’y a pas qu’environ un million de Chinois vivant en Afrique, mais des milliers d’Africains vivent aussi en Chine. Leur nombre réel est inconnu parce que le gouvernement n’a pas fait d’enquête détaillée sur les Africains dont beaucoup mènent une existence indistincte et fluctuante en Chine. D’après le Bureau national chinois des statistiques, 524 900 Africains sont entrés en Chine en 2012, mais il n’a pas publié d’information sur leur séjour et pour combien de temps.
Quelle est l’importance de ces migrants africains pour le développement de l’Afrique ? La Chine peut être un tremplin attrayant pour une vie meilleure hors du continent bien que la majeure partie des pays africains aient connu deux décennies de croissance économique. La plupart des Africains en Chine sont des commerçants ou des étudiants bénéficiant de bourses d’études du gouvernement chinois. Seront-ils les agents du changement en Afrique, à l’instar des migrants qui sont allés en Europe il y a soixante-dix ans et ont contribué au changement politique à leur retour sur le continent ?
Comparée aux destinations historiques du migrant telles que les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne, la Chine est différente à plus d’un titre. Une culture qui n’est pas familière, des lois sur l’immigration contraignantes et la discrimination font qu’il est difficile d’y rester. Il y en a quand même beaucoup qui y restent.
Le manque de données rend difficile tout jugement sur l’importance des Africains en Chine en termes de résidents étrangers. Mais la Chine a indubitablement contribué aux changements sur des normes liées à la classe et au standing dans quelques pays africains. « Les marchés chinois de vente en gros ont joué un rôle particulièrement transformateur au Nigeria, dans le sens où beaucoup de jeunes gens qui ne sont pas issus de l’élite sont capables de générer des revenus de l’importation et ils commencent dans les affaires transnationales avec relativement de petites sommes comme capital », selon Vivian Lu, une chercheuse de l’université de Stanford, aux États-Unis.
Amitié signifie affaires
Robert Ngunyi, un Kenyan de 39 ans qui tient un restaurant africain, le Sky Coffee, à Guangzhou, explique : « Vous savez, j’ai vécu dans beaucoup de pays. Mais il y a en Chine quelque chose d’assez attrayant. » Portant des pantoufles rouges, un collier en or avec un pendentif en forme d’Afrique, un clip Bluetooth de téléphone mobile dans son oreille, il raconte l’histoire de son arrivée en Chine il y a six ans. « Longtemps avant de venir en Chine, on disait, comme un feu vert, lorsque vous allez en Chine, vous n’aurez jamais à manger », dit Ngunyi. « Que mangerez-vous alors ? C’est des chiens, des serpents ou quoi ? Mais depuis mon premier jour, je sais que j’ai de la bonne nourriture. » Il est allé en Chine pour un doctorat en gestion touristique et a rapidement découvert des opportunités d’affaires. Selon lui, certains commerçants africains commettent la même erreur en croyant qu’ils peuvent juste se lier d’amitié avec des Chinois. « Pour les Chinois, la seule chose qui vaille ce sont les affaires. Si ce n’est pas le cas, il n’y a pas d’amitié », dit Ngunyi.
L’autre problème c’est la langue, dit Ngunyi, qui parle bien le mandarin et est le leader de la communauté kenyane de Guangzhou. « Quelqu’un avait commandé des chaussures dans une usine en montrant un échantillon du pied gauche. L’usine a livré un conteneur plein de chaussures du pied gauche », rappelle-t-il. Il dit se battre contre la séparation d’avec sa famille. Il rentre au Kenya trois fois par an pour voir sa femme et ses trois enfants.
Xiaobei est l’un des deux quartiers de Guangzhou où les Africains se rassemblent. Boutiques et entrepôts grouillent de commerçants africains en quête de produits bon marché. De grandes femmes aux vêtements colorés poussent des chariots à bagages. Les rues sont remplies de sons de wolof, de yoruba et de swahili, d’amharique et de somali. Dans les magasins où l’on vend des vêtements, du matériel électronique et des ustensiles de cuisine, la communication s’établit grâce à la composition de chiffres sur une calculatrice, l’accord par un signe de la tête, le désaccord en secouant la tête.
Le rêve de vivre à l’étranger
On peut trouver des Africains partout en Chine. Clet Fuh, originaire du Cameroun, vit à Zhuji dans la province de Zhejiang qui, avec tout juste plus de un million d’habitants, est relativement petite pour une ville chinoise. Il travaille comme professeur d’anglais dans une école privée et vit sur le campus dans un appartement de deux pièces avec sa femme camerounaise, Mella, et leur nouveau-né, Mark. « J’ai toujours rêvé d’avoir une expérience à l’étranger. C’est pourquoi quand je travaillais dans mon pays, c’était toujours un emploi temporaire. Je refusais d’occuper un quelconque poste dans l’administration. J’occupais toujours des emplois dans le privé et tout ce que je faisais c’était économiser mon argent en attendant d’avoir une opportunité pour quitter le pays », explique Fuh. Il dit aimer la cuisine chinoise, avoir quelques amis chinois et beaucoup appris juste en voyant l’état de développement de la Chine. « Quel que soit ce que je veux faire, même ouvrir un restaurant, même un bar à bière, n’importe quoi, même une petite usine, n’importe quoi, je pense que je peux mieux le faire [maintenant]», dit-il.
Adams Bodomo, professeur d’études africaines à l’université de Hong Kong, explique : « [Les Africains en Chine] sont des intermédiaires. Ils sont des médiateurs. » Grâce à leurs compétences et à leur savoir, certains d’entre eux pourraient devenir très influents en Afrique, affirme Bodomo.
L’un des défis pour Fuh et sa femme est de pratiquer leur foi chrétienne. En Chine, toutes les églises doivent être enregistrées et agréées par le gouvernement. L’autre défi, c’est la discrimination, raison pour laquelle les Fuh ont décidé de rentrer au Cameroun dans un futur proche. « Moi je peux m’accommoder à quelque chose de méchant que j’entends si, par exemple, je me promène et que quelqu’un dise quelque chose. Mais si quelqu’un le dit à mon enfant, je peux lui botter le derrière. Ces gens le méritent », dit Fuh.
La dure réalité du visa
Le plus grand problème que les migrants mentionnent ce sont les lois chinoises restrictives sur l’immigration. À Guangzhou, les Africains vont au-delà de la durée de leurs visas. La police sévit souvent contre eux. En 2009, un homme a effectué un saut mortel lorsque la police voulait contrôler son passeport. En 2012, la police a arrêté un Nigérian qui contestait le prix d’une course en taxi. Il est mort pendant la garde à vue, ce qui conduisit à des manifestations dans la rue. « Il n’est pas possible qu’ils obtiennent un titre de séjour », explique Linessa Lin, une chercheuse à l’université chinoise de Hong Kong.
Les problèmes de Juma Salum n’ont rien à voir avec le fait de ne pas faire d’affaires, les visas ou la discrimination. Un jour où le temps était couvert à Shanghai, il était assis dans un restaurant pour étudiants bondé. Devant lui, un bol de soupe fumant. « C’est vraiment terrible pour les étudiants est-africains », dit Salum.
Chaque année, le gouvernement chinois accorde des milliers de bourses aux étudiants africains. D’après le ministère du Commerce, il y avait plus de 35 000 étudiants africains en Chine fin 2013. Officiellement, Pékin fait cela pour former les talents dont l’Afrique a besoin pour son développement. Mais c’est aussi pour renforcer son pouvoir modéré.
Salum démontre que cela marche. Il prépare un doctorat en sciences politiques à l’université pour les études internationales de Shanghai. Après, il rentrera et travaillera pendant deux ans au moins pour son ancien employeur, le ministère de l’Information de Zanzibar. « Les Chinois traitent l’Afrique comme un frère. Mais les pays occidentaux n’ont uniquement que leurs intérêts particuliers », conclut Salum. Au-dessus de sa soupe, il prie pour la voie de développement de la Chine. Il se réjouit de lire un penseur communiste comme Karl Marx, qui est obligatoire au programme. Il voit l’importance du système de parti unique de Pékin et demande : « Pourquoi la Chine se développe-t-elle et pas nous ? »
Certains s’interrogent sur la qualité de la formation qu’ils reçoivent en Chine. Deux étudiants africains, qui ont requis l’anonymat, expliquent que même s’ils ne maîtrisent pas le mandarin, les professeurs les laissent passer. « La seule chose à laquelle ils s’intéressent c’est que vous venez, vous passez votre temps et vous rentrez chez vous. De cette façon, ils ne s’intéressent pas réellement à ce que vous étudiez », dit l’un des étudiants. « Là d’où je viens vous êtes vraiment poussé à obtenir de bons diplômes. Vous n’allez pas obtenir 90 juste en vous montrant ou en allant à l’examen. Mais ici, quand vous arrivez, ils vous donnent 90. Pour eux, c’est comme si vous vouliez le papier, aussi on vous le donne et vous rentrez chez vous. »
Les accords à plusieurs milliards de dollars de la Chine avec les gouvernements africains est un business complexe et à long terme, comme le sont les liens entre les peuples que ces rapports politiques, commerciaux et d’affaires ont renforcés. Les Africains qui résident à Guangzhou ont déjà changé la ville, mais ils attendent de voir si le gouvernement sera réceptif à leurs appels pour transformer de plus en plus la Chine en une terre d’accueil pour les milliers d’immigrés qui tentent leur chance dans l’eldorado asiatique.