Le pondu est l’un des plats préférés des Congolais. Habituellement, on l’écrase dans un mortier à l’aide d’un pilon. Pour les femmes, c’est souvent une corvée. Une « machine » a été bricolée pour changer un tant soit peu les habitudes.
Doté d’un esprit inventif, un Kinois qui reste inconnu a assemblé plusieurs éléments de fortune et réussi à mettre au point un appareil pour le broyage des feuilles de manioc. Prince Nduka est l’un des utilisateurs de ce montage spécial dans un marché de la commune de Lemba. Selon lui, cet outil de travail a été inventé en transformant une pièce tirée d’un moteur de bateau comprenant un axe tournant, au bout duquel une hélice a été placée. Deux lamelles tranchantes ont également été ajoutées dans le sens opposé.
Un bricolage qui marche
« J’ai a acheté cette machine à 100 dollars à Boma, dans la province de Bas-Congo. À Kinshasa, elle est vendue dans tous les lieux où l’on trouve des appareils d’occasion en provenance d’Europe et qui arrivent dans les ports du Bas-Congo. Une fois à Kinshasa, je l’ai confié à un ajusteur qui l’a fixé sur un cadre métallique à quatre pieds, au-dessus duquel j’ai placé un seau en plastique », explique Prince Nduka. Cela lui a coûté 50 dollars, main-d’œuvre comprise. La fameuse machine est surmontée d’un seau perforé en fonction de la taille de l’axe au fond de la paroi sur laquelle il tourne. L’axe a deux lamelles tranchantes qui tournent à une vitesse très rapide, hachant par le fait même les feuilles de manioc de façon à les réduire en bouillie.
« Quand les clients viennent avec les feuilles de manioc prêtes à être écrasées, je les plonge pendant quelques minutes dans une eau bouillante contenue dans un bassin à part et je les retire au moyen d’une spatule. Après cette opération, je les rince avec de l’eau propre. Ensuite, je les presse afin d’évacuer l’eau. Je mets enfin la machine en marche en déposant délicatement de petites bottes déjà pressées. À l’aide d’un bâtonnet, je remue les feuilles qui n’ont pas encore être écrasées convenablement », précise Prince Nduka
Tout est fonction de l’usage
Les feuilles de manioc sont hachées de deux manières, en fonction de l’usage qu’on en fait. Quand c’est pour accompagner le riz ou les haricots, c’est haché en très petites feuilles et lorsqu’il s’agit de fufu, c’est plutôt à un degré moyen. « Nous demandons au préalable à nos clients lequel de ces deux niveaux les intéresse. Et nous agissons en tenant compte de leur choix », assure-t-il.
La prudence est requise
La qualité de la « machine » est encore à un stade rudimentaire. Elle n’a ni interrupteur ni système de branchement à une prise électrique. Son démarrage est direct. Il suffit de brancher les deux fils connecteurs à une source d’alimentation en électricité pour qu’elle se mette en marche à grande vitesse. Il suffit de détacher le fil électrique pour qu’elle s’arrête. Mais, à tout moment, celui qui actionne le dispositif risque, s’il n’est pas attentif, de recevoir un jet d’eau bouillante ou de se faire couper les doigts dans la paroi. Pour y remédier, l’usage d’un bâtonnet est recommandé.
Au-delà du pondu
Au départ, l’appareil n’était pas conçu par son fabricant pour hacher uniquement les feuilles de manioc. Il peut aussi servir à moudre des céréales et des cossettes de manioc. La clientèle est variée, tout comme les recettes, qui ne sont pas régulières. Généralement, le lundi est un mauvais jour puisque, d’après Nduka, les clients sont rares. Les jours où les clients sont moins nombreux, la recette varie de 5000 à 7000 francs. Quand il y a affluence, comme les vendredis, samedis et dimanches, il peut gagner entre 27 000 et 30 000 francs par jour. C’est le prix d’achat de la botte qui détermine les tarifs : 300 francs pour une botte achetée à 500 francs, et 500 pour celle ayant coûté 100 francs. Mais, pour fidéliser sa clientèle, Nduka baisse souvent les prix.
Des sceptiques et des convaincus
Contrairement à d’autres appareils destinées à broyer des aliments, celui de Prince Nduka n’attire pas encore beaucoup de monde. Pour certains consommateurs, les conditions hygiéniques ne seraient pas réunies. Ils regrettent que l’eau servant à tremper les feuilles de manioc ne soit jamais renouvelée. Marie Tietia, la cinquantaine révolue, est l’une des clientes à avoir un avis négatif sur la qualité du travail : « Malgré mon âge, je préfère piler lentement mon pondu dans un mortier plutôt que de l’amener à la machine, car elle fait perdre aux aliments la saveur et le goût. En outre, je protège ma famille contre des maladies comme la fièvre typhoïde. » Une autre femme, sans remettre en question l’utilité de l’appareil, estime qu’il est préférable de hacher les feuilles de manioc chez soi. Ce qui n’est pas l’avis de cette autre ménagère : « Cette machine nous est très utile. Auparavant, nous souffrions beaucoup en pilant les feuilles de manioc dans un mortier comme si nous étions toujours au village. L’exercice durcit la paume des mains, sans parler du temps que cela prend et de la fatigue occasionnée. »
Face aux critiques, notamment les règles d’hygiène, Prince Nduka répond : « L’eau que nous utilisons bout à 100 degrés, les microbes sont supposés détruits. Si à chaque usage vous changez l’eau, vous n’allez pas travailler, car vous serez contraint d’attendre que la prochaine quantité d’eau chauffe à 100 degrés, ce qui prend du temps. Ce que nous faisons c’est recommander à nos clients, une fois chez eux, de rincer les feuilles de manioc avec une eau propre avant la cuisson. »