Vidanger des fosses septiques dans les agglomérations urbaines emprunte, très souvent, des voies situées aux antipodes de l’hygiène élémentaire.
L’insalubrité des toilettes est un sérieux problème de santé publique dans les villes et agglomérations de la République démocratique Congo. La question est d’autant plus grave que la plupart des Congolais ne recourent jamais aux services des vidangeurs professionnels. Ainsi, pour se débarrasser du trop-plein des fosses d’aisances, d’aucuns préfèrent-ils creuser un trou dans un coin de leur concession pour y enfouir les fèces. D’autres n’hésitent pas à disséminer ces déjections dans des espaces publics. Il en est aussi qui, compte tenu de leur niveau de revenus, font appel à des « ouvriers » pour vidanger manuellement moyennant une rétribution de vingt ou trente dollars. Une autre catégorie profite de la pluie pour la charger d’emporter généreusement le plus loin possible le contenu des fosses. Sans parler d’autres inciviques qui le déversent dans des caniveaux communiquant avec des cours d’eau.
Ces pratiques ne sont pas sans risques. Dans une ville comme Kinshasa où les marchés et les gargotes exposent des aliments à l’air libre, la propagation des maladies dites de « mains sales », comme la typhoïde, est garantie. Pourquoi se donner tant de mal à polluer l’environnement et à exposer sa famille et les voisins aux maladies ? Avec désinvolture, la plupart des résidents de Kinshasa disent préférer la voie de la facilité. « Pourquoi dépenserions-nous plus de cent dollars au profit des entreprises de vidange mécanique alors que nous pouvons le faire nous-mêmes avec nos moyens limités ? », se défendent propriétaires et locataires inconscients.
PNA … hors course
Le Programme national d’assainissement (PNA), un service public chargé du traitement des déchets solides, liquides et gazeux, est quasi en cessation d’activités depuis quelques années. Son dernier véhicule de vidange se trouve immobilisé à son siège, sur la 7ème rue, à Limete. La dernière fois que le projet a reçu du gouvernement nippon un don en matériel et équipement remonte à 1989. Depuis deux ans, faute d’appui extérieur, le PNA, hors course, est redevenue une classique direction administrative chargée, en théorie, de l’assainissement. Il est évident qu’elle manque cruellement d’outil de travail.
Combien de sociétés privées ont-elles pris le relais, à Kinshasa notamment, ne fût-ce que pour le volet « vidange des fosses septiques » ? Celles qui sont relativement visibles ont pour noms Auto Service Restaurée, Immo Congo, Fondation Voici l’Homme et Congo Vidange. Ce sont globalement de petites unités, sans transparence dans leur mode de fonctionnement. Elles ne communiquent ni leurs effectifs respectifs, ni leur chiffre d’affaires annuel. Encore moins l’importance de leur charroi automobile. Tout ce que l’on sait, c’est le coût moyen d’une opération de vidange dans des quartiers dits populaires, où environ dix ménages locataires cohabitent dans une même concession. Le montant à débourser pour l’intervention d’un camion vidangeur oscille entre 140 000 et 200 000 francs congolais, soit de 150 à 220 dollars, tous frais compris. Ce montant ne semble pas exorbitant quand il doit être réuni par tous les occupants d’une concession pour commander les services d’un vidangeur professionnel.
Un commissionnaire dans l’immobilier commente : « La chose à laquelle les locataires exigeants s’intéressent beaucoup c’est l’état des toilettes. Malheureusement, la majorité des concessions ne répondent pas à cette condition ». Pas étonnant ! Le rapport Water and Sanitation de la Banque mondiale, publié en juillet 2011, indique que 46 millions de Congolais utilisent des latrines insalubres ou partagées, pendant que 6,7 millions en manquent.
Comment les services publics réagissent-ils face à l’incivisme des habitants ? Un responsable soutient que des agents de différents ministères – Santé, Environnement, Développement rural – sensibilisent les populations sur l’entretien des toilettes. Mado Mamunene, chef de bureau de l’assainissement au service de l’Environnement du Mont Amba, explique : « Qui dit assainissement pense propreté du milieu. Lorsque, après la sensibilisation, nous surprenons quelqu’un en train de vider sa fosse septique dans un espace public, au mépris des règles environnementales, nous le sanctionnons conformément à la loi ». Mais, en réalité, le service sanctionne peu ou prou, par peur de représailles de la population. Comment, dans ces conditions, briser le cercle vicieux ?
Pots et sachets : même usage
Ne pouvant supporter l’insalubrité des toilettes communes ou le surnombre des usagers d’un unique W.-C. de la concession, certains individus « se soulagent » discrètement dans des pots en plastique, qu’ils vident en cachette dans la nature. Pour la même raison, des étudiantes du fameux home 80, à l’Université de Kinshasa, recourent à cette pratique. À la seule différence qu’après la défécation dans un sachet en plastique, elles balancent le « colis » dans la broussaille environnante !
Une bonne nouvelle, tardive cependant. Depuis la reprise de la coopération, en 2003, des institutions internationales, sensibles à cette problématique, ont entrepris de financer la construction ou la réhabilitation des latrines appartenant à des édifices publiques. Le contingent tunisien de l’ex-Monuc, par exemple, avait construit six latrines sur le site du campus universitaire de Kinshasa. Mais leur nombre s’est avéré insuffisant. Le 19 novembre 2014, à l’occasion de la Journée mondiale des toilettes, Pascaline Mbangu, directrice de l’assainissement au ministère de l’Environnement et du Développement durable, a indiqué que la Banque africaine de développement (BAD) appuie financièrement la construction des latrines publiques, à travers le Projet d’alimentation en eau potable et d’assainissement en milieu semi-urbain (Peasu). Le projet doit construire cinquante-six latrines à Kasangulu, dans la province du Bas-Congo, cinquante à Lisala à l’Équateur et cent quarante-six à Tshikapa, au Kasaï-Occidental.
Il est observé, par ailleurs, que certaines communes de la capitale s’organisent dans le même sens avec l’appui des ONG. La commune de Lemba a financé la construction des latrines publiques dans les quartiers Terminus et Super Lemba. À Bandalungwa, l’ONG Dabitude s’est mise à l’œuvre. La Banque mondiale avait construit à Selembao. L’Union européenne a fait de même au bénéfice de plusieurs établissements scolaires. Le problème qui se pose avec acuité, à Lemba comme à Bandalungwa ou dans les écoles, concerne l’insalubrité permanente et l’absence d’entretien de ces toilettes.
Quoi qu’il en soit des travers décrits ci-haut, les familles, les écoles, les communautés et les médias devraient unir leurs forces pour organiser d’intenses campagnes d’éducation afin de conscientiser les jeunes et les adultes aux bienfaits de l’hygiène permanente des toilettes.