La construction d’établissements scolaires décidée par le gouvernement suit son petit bonhomme de chemin à travers le pays. Mais beaucoup reste à réaliser pour que l’enseignement dispensé soit vraiment de qualité et que l’élève congolais sache réellement lire et écrire. Ce qui n’est pas encore tout à fait le cas, comme cela a été constaté lors d’un voyage dans quatre provinces.
Cet avant-midi du 1er avril, un avion se pose sur le tarmac de l’aéroport de Gemena, dans l’extrême nord-ouest de la province de l’Équateur. Quand les moteurs s’éteignent, une délégation venant de Kinshasa débarque. À sa tête, le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Initiation à la nouvelle citoyenneté, Maker Mwangu Famba qu’accompagne Alice Albright, la directrice du Partenariat mondial pour l’éducation (PME), en provenance de Londres, le quartier général de son organisation. Sous un soleil déchaîné, le comité d’accueil s’égosille en guise de bienvenue. Poignées de mains fermes, profusion de sourires…
Une fois les formalités protocolaires terminées, les visiteurs s’engouffrent dans une dizaine de véhicules tout-terrain. Destination : Kanzi, un petit village à une quinzaine de kilomètres de Gemena. Il y a un an, le Partenariat mondial pour l’éducation, ainsi que d’autres institutions comme la Banque mondiale, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), l’USAID, la coopération belge, la coopération britannique, avaient alloué un budget de 100 millions de dollars pour la réhabilitation et la construction d’écoles dans les provinces de l’Équateur et du Kasaï-Occidental.
La route qui mène à Kanzi est en terre et inégale. Une poussière rouge envahissante s’envole pour tout recouvrir, n’épargnant rien. Après la grande voie, les véhicules s’engagent sur une piste sinueuse. L’habitat est encore précaire, avec sa succession de cases croulantes en banco ou en briques de terre battue, coiffées de paille ou de rameaux. Des écoles de fortune, tout en herbes, soutenues par des piquets, apparaissent de temps en temps. Et puis, à voir le nombre de personnes assises à l’ombre et taillant bavette, on se rend compte de l’ampleur du désœuvrement dans cette zone déshéritée.
Les cahots du convoi n’arrangent pas les arrière-trains des passagers. Mais voici Kanzi, enfin ! Les cases se ressemblent et s’étendent à perte de vue. La principale voie du village, celle qui mène à l’école primaire, est bondée. Des élèves reconnaissables à leur uniforme bleu et blanc chantent avec allégresse un air de bienvenue en battant des mains. Les écoliers sont là, reconnaissables à leur uniforme bleu et blanc. Ils entonnent avec allégresse une chanson de bienvenue et battent des mains. L’école apparaît. Deux bâtiments de six classes, en matériaux durables et en tôles, aux murs peints en beige et en gris, avec des portes marron, se font face. Entre les deux, tel un vigile, le bureau du directeur, plus petit. Un peu à l’écart, des latrines séparées pour les filles et les garçons. Pour l’aération, plutôt que d’installer des fenêtres, des ouvertures ont été faites à travers les murs. Le modèle est le même sur l’ensemble du pays, qu’il s’agisse des écoles construites par le gouvernement avec ses propres deniers ou celles qui ont bénéficié d’un financement extérieur, comme c’est le cas à Kanzi. C’est une sorte de « modèle républicain » destiné, si l’on en croit Maker Mwangu Famba, à promouvoir l’égalité nationale et à donner les mêmes chances à tous les enfants congolais, du moins au niveau des infrastructures. Et puis, détail important, les bâtiments qui abritent l’école primaire de Kanzi sont les seules constructions en matériaux durables de ce village en fête ce 1er avril.
Les enfants de Kanzi, dont l’habillement traduit l’extrême dénuement des parents, vont enfin suivre leur scolarité dans des conditions idéales. À voir leurs mines épanouies, nul doute qu’ils envisagent déjà l’avenir avec plus d’assurance, même s’ils n’ont ni eau potable ni électricité. La construction de l’école primaire de Kanzi aura coûté quelque 98 000 dollars. Quelques motos sont distribuées au corps enseignant ainsi qu’aux inspecteurs de l’enseignement pour faciliter leurs déplacements et leur permettre de jouer, le mieux possible, leur rôle dans ce coin perdu de la République. Des manuels scolaires sont distribués aux élèves pour les éveiller à la lecture, même s’ils se limitent au français et au calcul. De toute façon, il n’y a pas de bibliothèque dans ce village ngbaka.
Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, le 2 avril. Quand l’avion qui nous transporte vers la ville volcanique entame la descente en survolant le lac Kivu, beaucoup de passagers ne peuvent échapper à une espèce de stress, tant ils sont persuadés que l’appareil prend tout son temps au risque de tomber dans les eaux lacustres. D’autres ont le souvenir d’atterrissages ratés, qui se sont mal terminés sur la piste. Se poser à Goma donne le frisson. Pourtant, l’avion se pose sans encombre, au grand soulagement des angoissés. Le comité d’accueil est au rendez-vous. Après les échanges protocolaires, le tête-à-tête entre le gouverneur du Nord-Kivu et ses hôtes, une armée de véhicules 4X4 s’ébranle vers Kanyaruchinya, à quelques kilomètres de l’aéroport, dans le territoire de Nyiragongo.
La terre de Goma est cendrée. Des débris de roches grises dominent le paysage, vestiges des éructations létales des volcans qui planent sur sa tête. Il n’est donc pas étonnant de voir ce nuage de poussière qui se lève, monte dans le vide, avant de retomber sur ses pattes dans cette ville aux rues pelées. De petites maisons agréables à voir cohabitent avec d’autres en planches. Les commerces se succèdent, peut-être plus nombreux que les habitants de tous les quartiers réunis. Ici, sur cette terre fertile, survivre est un combat de tous les jours. Comme partout ailleurs.
Voici Kanyaruchinya. C’est l’un des lieux où se réfugiaient, quand le Nord-Kivu était en proie aux affres de la guerre, des milliers de déplacés, la peur au ventre. Mais, ce 2 avril, l’école visitée est un havre de paix où se retrouvent des milliers d’élèves qui ont interrompu leurs vacances pour répondre à l’appel de leurs directeurs à l’occasion du passage de Maker Mwangu Famba et d’Alice Albright. Chaque école a préparé sa chanson de bienvenue. Le soleil brûlant, au lieu de les perturber, semble plutôt inoffensif. Ici, les nombreuses guerres qui ont meurtri la province ont porté un coup dur à l’enseignement : déscolarisation des enfants, volatilisation des enseignants… Dans l’école du jour, celle de Mboga, on se souvient encore des conditions difficiles dans lesquelles les cours étaient dispensés, entre les bruits des canons et les tâches ménagères pour assurer la survie. Tout ce qu’il fallait pour que les enfants soient perturbés, déboussolés.
En termes d’infrastructures, huit écoles ont déjà été reconstruites, dont celle de Mboga, qui a été rebâtie par le Fonds social sur financement de la Banque mondiale. Le Partenariat mondial pour l’éducation, l’Unicef, Save The Children y ont également contribué. La situation sécuritaire a nécessité un accompagnement du Nord-Kivu à travers certaines mesures comme l’ouverture de classes dans les camps, sans qu’il soit exigé des parents démunis de payer les frais de scolarité ou encore la dispense de frais de test pour ceux qui achèvent le cycle primaire. Les deux Kivu, l’Équateur, le Katanga et la Province-Orientale appartiennent à des zones dites d’éducation en urgence où il faut favoriser un enseignement inclusif et permanent de qualité, privilégier la formation des enseignants, apporter un appui psycho-social.
L’école primaire de Mboga a plus d’un tour dans son sac. Au moment où personne ne s’y attend, elle sort un joker. Et pas n’importe lequel : un anglophone ! Ce jeune garçon, entre six et dix ans, mal fagoté, attire l’attention d’Alice Albright qui se met à lui poser quelques questions dans la langue de Shakespeare. L’enfant répond d’une voix faible, presque éteinte par l’émotion. Les plus heureux sont sans doute ces élèves d’une classe de troisième. Sagement assis dans la salle des cours, sur des bancs en bois, les bras croisés sur la poitrine, comme le leur rappelle à tout bout de champ l’instituteur, ils voient débarquer le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Initiation à la nouvelle citoyenneté, le gouverneur du Sud-Kivu et tous ceux qui les accompagnent. Le message est clair : « Si vous allez au bout de vos études, vous serez les dirigeants de demain. » Mais quand on leur demande s’ils connaissent les États-Unis ou l’Amérique, aucune main ne se lève. La même question est posée sur Obama et sur Kabila. Résultat : pas la moindre réponse. Dès qu’ils reçoivent chacun deux livres illustrés- français et mathématiques – ils sont émerveillés et se mettent à feuilleter les deux ouvrages avec moult commentaires.
Mbuji-Mayi, Kasaï-Oriental, 9 avril. Quiconque a connu la ville il y a de cela une quarantaine d’années ne peut qu’être surpris par sa métamorphose. Comme la plupart des villes du pays, la capitale du diamant n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Bien sûr, les ravins sont toujours là. Mais les rues sont méconnaissables. Jadis, elles étaient bitumées. Aujourd’hui, elles portent de nombreuses blessures. Ce qui était considérée comme le centre-ville, c’est-à-dire le quartier de la Minière de Bakwanga (Miba), est complètement défiguré. Mbuji-Mayi, en dépit du fait que le diamant n’est quasiment roi, continue à vivre. Mais les nostalgiques sont inconsolables.
Comme à Gemena et à Goma, ce qui touche à l’école mobilise des foules. Ici, c’est à grand renfort de fanfares, de chants et de danses du terroir. Peu avant midi, après l’atterrissage à l’aéroport de Bipemba et un arrêt au gouvernorat de la province, rendez-vous est pris dans un quartier de la ville pour la remise officielle d’une nouvelle école à ses bénéficiaires. Les élèves sont surtout contents d’avoir reçu des manuels scolaires qui vont leur permettre de consolider leurs acquis. Mais il y a un hic : les bancs attendus n’ont pas encore été livrés. Selon un membre de la délégation venue de Kinshasa, « le temps des maçons n’est pas celui des menuisiers. Il faudra à l’avenir, commander les bancs au moment même où la construction des bâtiments scolaires démarre ».
Mbuji-Mayi, première étape de ce nouveau périple sur le chemin des écoles, ne tarde pas à dire au revoir à ses hôtes. Prochaine étape, Ngandajika. Mais sur le trajet il y a Tshilenge, puis Katanda. Évidemment, la route n’est pas bonne. Les conducteurs, roulant à vive allure, n’arrivent pas à amortir les chocs. Sur le parcours, le même constat : ce visage triste, avec leurs cases en terre battue, avec des toitures recouvertes de paille. Le passage d’une colonne de véhicules attise la curiosité des villageois, qui se demandent bien de qui il peut bien s’agir.
En roulant vite pour atteindre Ngandajika de bonne heure, la délégation a presque oublié qu’il fallait visiter une école à Tshilenge. Il faut rebrousser chemin pour ne pas décevoir la foule et les notables locaux qui attendent. L’école sera visitée. Et le constat est amer : les élèves n’arrivent pas à s’exprimer en français. Ne faut-il pas, comme le souhaitent certains, instaurer l’enseignement en langues nationales ? Le temps d’y réfléchir, le voyage vers Ngandajika reprend. C’est tard dans la nuit qu’a lieu l’arrivée dans cette localité pas du tout éclairée.
Le lendemain matin, 9 avril, la cour de la nouvelle école est déjà envahie par de nombreux curieux. Derrières les grandes personnes, un petit garçon est venu aussi pour voir ce qui va se passer. Il porte un t-shirt d’une couleur indéfinissable. Sa peau a pris la couleur de la terre. Ses pieds errent dans des mocassins destinés aux dames. Très serein, le bout d’homme répond à toutes les questions qui lui sont posées. Il explique qu’il porte les chaussures de sa mère pour éviter que ses pieds soient malmenés par des épines lorsqu’il va faire paître la chèvre familiale. Pourquoi son corps est sale ? « Je ne me suis pas encore lavé. » Et la chemise ? « Il n’y a plus de savon à la maison ». La remise officielle de l’école aux responsables locaux de l’enseignement primaire et secondaire a attiré beaucoup de curieux. C’est alors que le directeur de l’école soulève un problème sérieux : le surpeuplement des classes survenu après la construction des nouveaux bâtiments. Que faire ? Construire encore.
La route Mbuji-Mayi- Kabinda, en passant par Ngandajika ou Katanda, est l’une des plus mauvaises qui soient. Il faut toute la dextérité des chauffeurs de véhicules pour éviter le piège de l’embourbement, qui peut durer des jours lorsqu’il a plu sur cette drôle de nationale. Les cases sont toujours aussi figées. On peut apercevoir, ici et là, quelques panneaux solaires made in China dans la cour de certaines habitations. Mais également rencontrer des pauvres gens poussant un vélo surchargé de plusieurs sacs de maïs à revendre dans les localités environnantes. Pour ces paysans, le manque d’infrastructures dignes de ce nom est une véritable catastrophe.
Sur la route de Kabinda, un obstacle naturel se dresse soudain : la rivière Lubilanji. Pour la franchir, il faut prendre une pirogue ou monter sur un bac, qui est là depuis plusieurs décennies et met sept minutes entre les deux rives. Sur l’autre rive, au village de Kazadi Musoko, arrêt obligé de tous les voyageurs, on trouve des restaurants de fortune en plein air et toutes sortes d’aliments, en attendant le moment de reprendre la route. La vue d’inconnus est toujours un moyen pour les jeunes garçons et filles de s’approcher des nouveaux venus. Les enfants de Kazadi Musoko sont drôles et n’ont pas, les garçons surtout, leur langue dans la poche. Un garçon de dix ans, interrogé sur les rapports que les filles entretiennent avec l’école, répond tout de go : « Les filles ne s’intéressent pas du tout à l’école, elles ne pensent qu’au mariage. Un sac de manioc suffit pour qu’on les épouse ». Les intéressées ne démentent pas. Elles préfèrent sourire. Un autre garçon jure qu’il ne sera pas agriculteur comme ses ancêtres ou ses parents parce qu’ils ont des pieds pleins de gerçures. D’autres laissent entendre qu’ils seront médecins ou fermiers. Une fille se voit en future enseignante et une autre en religieuse.
Kabinda, le 9 avril. L’arrivée en fin d’après-midi dans la petite ville, si on peut encore l’appeler ainsi, est un véritable événement. Des milliers de personnes sont mobilisées, rendant du coup la circulation difficile. Les divers partis politiques ont sensibilisé leurs militants pour qu’ils ne ratent pas le rendez-vous avec Maker Mwangu Famba dans le chef-lieu de la nouvelle province du Lomami. L’accueil est vraiment triomphal et chaleureux. La réception des nouveaux bâtiments scolaires est aussi l’occasion d’aborder auxquelles est confronté le corps enseignant, désormais divisé en deux catégories : ceux qui sont régulièrement rémunérés et ceux qui ne le sont pas, parce que non mécanisés. En plus, faute de banques, les enseignants sont condamnés à parcourir de longues distances pour toucher leur dû. Conséquence : les horaires scolaires sont perturbés, pénalisant les élèves. D’autres problèmes sont soulevés à Kabinda : manque de système de soins pour les enseignants malades, création d’écoles techniques, manque de dictionnaires…
Kazadi Musoko, le 10 avril. En attendant, la traversée, sur le chemin du retour, le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’Initiation à la nouvelle citoyenneté et ceux qui l’accompagnent se reposent, après un voyage éprouvant à cause du mauvais état de la route Kabinda-Mbuji-Mayi. Les jeunes garçons s’approchent, pleins de curiosité. Un groupe demande à parler au ministre. Cela débouche sur une situation inattendue : Maker Mwangu Famba demande à l’un des enfants de lire quelques passages d’un livre. L’exercice paraît difficile au garçon, qui ne semble pas comprendre ce qu’il lit. Un deuxième ne fait pas mieux. Aucune fille n’ose s’aventurer sur ce terrain. Stupéfait, Mwangu Famba interpelle un enseignant à qui il reproche le fait que les élèves ne sachent. L’instituteur rétorque que les enfants sont plutôt intimidés. Le ministre est exaspéré. Un garçon confie qu’il ne fréquente plus l’école de son village. Ses parents l’ayant inscrit dans celle du village voisin, il prend du lundi au samedi une pirogue moyennant 200 francs pour l’aller et le retour.
Lodja, le 11 avril. La piste du petit aéroport est plutôt déroutante. Au lieu d’être goudronnée, elle est parsemée de petits cailloux. Au bas de la passerelle, quatre fillettes étonnamment très sérieuses attendent le ministre et sa suite. L’une d’elle, sans sourciller, sans hésiter, récite sa phrase de bienvenue. Le long des rues poussiéreuses de Lodja, qui ressemble à un gros bourg, des files de gens surpris par cette arrivée matinale commencent à se former. L’inauguration du jour concerne l’école primaire Sembola II qui compte quelque 640 élèves, dont 345 filles. Les problèmes qui se posent sont les mêmes : certains enseignants ne sont toujours pas rémunérés. Ceux qui le sont doivent aller chercher très loin leurs salaires, à cause d’un nombre insuffisant de centres de paiement. Cela a pour conséquence la diminution des jours de classe. Du côté du Collège Saint-Augustin, d’où sont issus de nombreux cadres du Sankuru, dont Mende Omalanga, c’est le désespoir : le bâtiment est en ruines. Un appel au secours a été lancé au gouvernement.
Kananga, 12 avril. Le tour des nouvelles écoles du pays s’achève par le chef-lieu du Kasaï-Occidental. L’école choisie se trouve dans un petit village, Kambote, dont le chef et les habitants ne cachent pas leur joie de voir que leurs enfants pourront désormais étudier dans une école construite aux normes fixées par le gouvernement. Des normes qui restent identiques sur l’ensemble du pays. Il reste beaucoup d’efforts à fournir pour qu’il y ait de plus en plus de filles à l’école et pour que les enfants congolais apprennent vraiment à lire et à écrire.