Dans leur dernier rapport, Amnesty International et Global Witness soutiennent que les entreprises américaines ne se soucient pas de la traçabilité des matières premières provenant de zones de conflit en République démocratique du Congo.
Les deux ONG internationales viennent de publier un rapport sur les entreprises américaines. Intitulé ‘Une mine de transparence », il porte sur les obligations qu’elles ont de vérifier la provenance des minerais qu’elles utilisent s’ils ne sont pas issus des zones de conflit d’Afrique centrale. Ce rapport fait l’analyse de cent rapports portant sur les minerais provenant de régions où sévissent des guerres. Et parmi les entreprises qui se sont conformées à l’article 1502 de la loi Dodd-Frank (loi américaine relative aux minerais provenant de zones de conflit), figurent entre autres Apple, Boeing et Tiffany & Co.
Il s’est avéré que presque 80 % de ces sociétés, pour la plupart cotées en bourse aux États-Unis, ne contrôlent pas convenablement si leurs produits contiennent des minerais provenant de zones de conflit de la RDC et ses environs. Il est également reproché à ces entreprises ciblées de ne pas fournir des informations étoffées. Dans leurs conclusions, Amnesty International et Global Witness dénoncent des graves insuffisances dans la transparence de la part des entreprises américaines.
Des entreprises dont les rapports font l’objet d’analyse, 79 % ne remplissent pas les obligations minimales de la loi américaine relative aux minerais provenant de zones de conflit. La majorité d’entreprises sélectionnées ne prennent pas suffisamment de mesures pour suivre la traçabilité de leur chaîne d’approvisionnement en minerais. 16 % ne se sont pas contentées de démarches auprès de leurs fournisseurs directs, car ayant eux-mêmes contacté ou tenté de communiquer avec les fonderies ou les raffineries qui transforment l’or, l’étain, le tungstène ou le tantale qu’elles utilisent. Les conclusions de l’analyse renseignent que plus de la moitié des entreprises examinées ne prennent pas la peine de signaler aux cadres supérieurs de leur société les risques qu’elles constatent dans la chaîne d’approvisionnement.
Lutter contre les minerais de sang
Conformément à la Loi Dodd-Frank, les entreprises cotées en bourse aux États-Unis, qui s’approvisionnent en minerais provenant d’Afrique centrale, ont l’obligation de remettre un rapport à la Securities and Exchange Commission (SEC). C’est à cette autorité américaine de contrôle des marchés que 1 321 entreprises ont remis leurs premiers rapports en 2014.
Réduire le risque de voir les achats de minerais d’Afrique centrale contribuer à alimenter des conflits ou des atteintes aux droits humains dans la région, telle est la visée de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank. « La loi relative aux minerais provenant de zones de conflit est une bonne occasion d’assainir les chaînes d’approvisionnement mondiales en minerais. Toutefois, nos recherches montrent que la plupart des entreprises semblent préférer poursuivre leurs affaires comme si de rien n’était plutôt que de se préoccuper du risque que leurs achats de minerais financent des groupes armés à l’étranger », avance la conseillère stratégique à Global Witness, Carly Oboth
« C’est très inquiétant. De riches groupes industriels ont combattu à chaque étape la loi relative aux minerais provenant de zones de conflit. Si elles avaient plutôt mis tous ces moyens dans des enquêtes et des rapports approfondis sur leurs chaînes d’approvisionnement, leurs clients auraient davantage confiance en leurs produits et en l’absence de liens entre ceux-ci et le conflit. », ajoute-t-elle.
La RDC constitue une zone importante d’où les entreprises du monde tirent des minerais du sang, utiles à la fabrication d’appareils électroniques tels que les Smartphones et les ordinateurs portables. L’exploitation de l’étain, tungstène, tantale et de l’or par des groupes armés contribue à alimenter le conflit ou des atteintes aux droits humains en RDC et dans les pays limitrophes. Selon des analyses, le minerai le plus pur serait celui du Kivu et rien qu’en 2000 la RDC aurait produit 130 tonnes de tantale, soit 11% de la production mondiale. Au niveau mondial, les estimations indiquent que les guerres de ressources ont permis aux rebelles et autres seigneurs de guerre de récolter au moins 12 milliards de dollars, en entraînant la mort de centaines de milliers de personnes.
Dodd-Frank : pas difficile à respecter
Les deux organisations de défense des droits humains indiquent dans leur rapport qu’une entreprise sur cinq a bien respecté les obligations de la loi, ce qui sous-entend que la mise en œuvre de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank n’est pas compliquée ou très coûteuse. Juste la volonté de vérifier correctement les chaînes d’approvisionnement suffit. « Les consommateurs veulent savoir ce qui se cache derrière les logos. Les entreprises sont soumises à une forte pression : elles doivent montrer qu’elles font tout leur possible pour garantir qu’aucune histoire terrible de conflit ou d’atteintes aux droits humains ne se cache derrière les produits qu’elles mettent en rayon. Il ne suffira pas de cocher des cases pour faire retomber cette pression », explique James Lynch, membre d’Amnesty International, avant d’ajouter que « les entreprises qui font toute la lumière sur leurs chaînes d’approvisionnement contribuent à empêcher un commerce néfaste des minerais qui alimente un conflit dévastateur pour l’Afrique centrale»
Pour le chirurgien congolais Denis Mukwege, responsable de l’hôpital de Panzi, à Bukavu, « les entreprises doivent prendre davantage de mesures pour déterminer comment les minerais qu’elles achètent sont produits et vendus […] En juin, lorsqu’elles rendront leurs deuxièmes rapports sur les minerais provenant des zones de conflit, elles devront prouver qu’elles ont fait le nécessaire en ce sens ».
Renforcement des dispositions légales en Europe
Après les États Unis, le tour est maintenant à l’Europe qui doit barrer la route au commerce des minerais du sang. Dans quelques jours, soit du 18 au 21 mai 2015, le Parlement européen va procéder au vote de la loi européenne sur les minerais provenant de zones de conflit. A cette occasion, Amnesty International et Global Witness demandent aux parlementaires européens de voter pour une disposition qui comprenne une obligation de diligence et de compte rendu pour toutes les entreprises qui font le commerce de ces matières qui sont à l’origine du conflit. Actuellement en Europe, le texte proposé est encore faible parce que seulement dix-neuf entreprises (fonderies et raffineurs) sont concernées par une obligation de ressourcer leurs minerais. Les autres entreprises dont les fabricants, commerçants et entreprises qui importent des produits contenant de l’or,… continuent à s’auto-évaluer.
Entre-temps, aux Etats Unis, il est fait état de la réexamination de la décision prise en avril 2014, jugeant anticonstitutionnelle l’obligation pour les entreprises d’indiquer que leurs produits n’ont « pas été identifiés comme non liés au conflit en RDC ». En effet, c’est derrière l’argument de la liberté d’expression que se cachent ceux qui refusent de respecter l’obligation de rendre des comptes sur les minerais provenant de zones de conflit. C’est aussi derrière cet argument que se réfugient ceux qui empêchent la transparence de se faire sur les informations des entreprises qui intéressent les consommateurs, les investisseurs et les défenseurs des droits humains.