Toutes les dépenses ministérielles autres que celles liées aux rémunérations et fonctionnement doivent être soumises à l’appréciation du Premier ministre et obtenir son aval préalable. La circulaire prend effet à compter du 20 avril 2015.
C’est un tour de vis, aussi prévisible qu’inattendu, que le Premier ministre a opéré en imposant des restrictions budgétaires aux membres de son gouvernement. De manière claire, les ministres sont ainsi interdits d’engager toutes les dépenses non prises en compte dans le budget de fonctionnement de leurs cabinets respectifs, sauf « en cas d’autorisation expresse du Premier ministre ».
Matata explique que « cette décision est consécutive aux évolutions récentes de l’économie mondiale ainsi qu’à certains facteurs conjoncturels endogènes qui ont entraîné une baisse sensible de recettes ». « Baisse des recettes » : un pan de l’énigme est levé.
Le Premier ministre avait pourtant deux choix. Soit d’autoriser des dépenses de complaisance au bénéfice des ministres attirés par des missions à l’étranger ou friands des actions de communication publique aux contours discutables. Soit de préserver son aura de technocrate, qui le distingue des professionnels de la politique politicienne. Il a donc préféré, sur le coup, répondre aux attentes des institutions de Bretton Woods qui, de loin, veillent sur la planète.
Comment pouvait-il en être autrement quand on sait que la baisse des recettes, en théorie, est un indicateur, un signal d’alarme qui doit nécessairement inspirer tout manager avisé. On ne s’étonnerait pas que, conscient de l’état des finances de la République, le chef du gouvernement se soit senti interpellé, ne redoutant pas, dans la foulée, de mécontenter une large frange de politiques.
Marge de manœuvre des jouisseurs limitée
Sa réaction semble tout aussi logique. Le sauvetage des finances publiques, et donc du pays, ne résidait que dans la décision « d’ajuster ses dépenses et d’observer avec rigueur l’affectation et l’utilisation des ressources disponibles, tel que prévu par la législation en matière des finances publiques ». Quand il décrète que « toutes les dépenses, en dehors de celles relatives aux rémunérations et fonctionnement » doivent être « désormais soumises à son appréciation et obtenir préalablement son aval », la marge de manœuvre des jouisseurs est drastiquement limitée.
Tout aussi limitée devra être, concomitamment, la liberté d’action reconnue aux autres institutions de l’État – Présidence de la République, Parlement, Armées, Renseignement, notamment – d’actionner à leur guise les comptes du trésor. Autrement dit, les restrictions ne doivent pas cibler que les ministres. Sinon l’opération s’apparenterait à un énième épisode du « Théâtre de chez-nous ». Tout gouvernement sensible aux cris de la population devrait se rappeler que les récriminations qui fusent des élus au Sénat et à l’Assemblée nationale à l’occasion, chaque année, de la reddition des comptes des institutions aiguisent l’esprit critique des gouvernés. Pas seulement.
À considérer l’agenda de la République démocratique du Congo, la période 2015 – 2016 est pour le moins particulièrement cruciale. Le gouvernement a ouvert plusieurs chantiers sur le plan tant politique qu’administratif. Leur exécution nécessite des ressources dont ne dispose pas le trésor public. C’est dans cette perspective que peut s’expliquer aussi la circulaire du 20 avril. « Pour le gouvernement, il est question de mobiliser des moyens nécessaires afin de faire face aux impératifs de mise en place et d’installation de nouvelles structures et entités ainsi qu’aux échéances politiques à venir ».
Solde des opérations financières de l’État déficitaire
Quoi qu’il en soit, l’opinion publique a des raisons de s’interroger : Matata avait-il observé un laisser-aller dans la gestion des budgets ministériels avant de réagir ? Y a-t-il eu des dérapages avérés ? Les mécanismes traditionnels d’ordonnancement et de contrôle des dépenses publiques ont-ils failli ? Les responsabilités peuvent-elles être établies ? Quelle est la validité de la circulaire dont question aujourd’hui ? Qu’envisage le Premier ministre comme actions de conscientisation pour mettre au pas toutes les institutions de la République ? Comment pérenniser les bonnes pratiques de gestion des deniers publics ?
D’ores et déjà, face aux questionnements pertinents ci-dessus, il apparaît que les raisons d’encadrer les dépenses publiques, comme le souhaite le Premier ministre, sont légion. Illustration : le compte rendu de la troïka stratégique du gouvernement du 20 avril dernier. Il y est écrit noir sur blanc que « le solde des opérations financières de l’État, au 17 avril 2015, est déficitaire de 107,27 milliards de francs, résultant des recettes de 130,87 milliards de francs, soit 30% de réalisation, et de dépenses de 238,14 milliards de francs, soit 58% d’exécution. Ce niveau de déficit se justifie essentiellement par la paie et les transferts aux provinces exécutés respectivement à 91% et 106% ».
Gouverner, c’est prévoir
Difficile est la situation financière du moment, mais pas au point d’atteindre le niveau dramatique. Il n’empêche que c’est l’actuel gouvernement qui devrait organiser, en 2015, les élections locales, municipales, législatives provinciales, sénatoriales et, en 2016, les législatives nationales et la présidentielle.
Déjà, la Commission électorale nationale indépendante attend la libération de son budget pour organiser les scrutins controversés dans les délais. Dans ce cas de figure, c’est tout naturellement à Matata, chef de l’Exécutif, qu’il incombe de mobiliser des financements, d’abord nationaux, avant de solliciter ailleurs.
Il est une coïncidence qui mérite quelques lignes. La presse de Kinshasa a récemment publié des réflexions rédigées par deux membres influents de la Majorité présidentielle, en l’occurrence Christophe Lutundula et l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito. Les deux députés ont opportunément rappelé au gouvernement le manque de pragmatisme dans son titanesque projet de découpage territorial, couplé à l’installation de nouvelles structures et de leurs « 50 000 » animateurs politiques, sans oublier l’organisation de plusieurs scrutins en un temps record. Ils ont dénoncé la non faisabilité de tous ces projets, en l’absence de budget. Ce double appel de pied a-t-il réveillé Matata ? Loin de spéculer, admettons que gouverner, c’est prévoir. La diète peut alors commencer pour les ministres.