Brazzaville, la capitale du Congo, du 27 au 30 avril, une conférence internationale consacrée à l’exploitation illégale et au commerce illicite des produits de la faune et de la flore sauvages d’Afrique. Objectif : élaborer un plan de lutte contre le crime organisé.
Richesse et diversité. Ces deux mots définissent le mieux la situation de la faune et de la flore africaines. Le continent est partagé en deux zones : la zone nord et nord-ouest qui englobe le Sahara, et la zone éthiopienne qui comprend l’ensemble de l’Afrique subsaharienne (Afrique centrale, Afrique de l’Ouest, Afrique australe, Afrique de l’Est). Chaque zone a ses particularités. Le Nord et le Nord-Ouest sont le domaine de daims rouges, de dromadaires, de fennecs, de gazelles, d’ânes sauvages, de dromadaires, d’addax… Dans la zone éthiopienne, le rôle du bassin du Congo, en Afrique centrale, est fondamental : c’est le deuxième poumon écologique du monde après l’Amazonie. Il se distingue par la séquestration du carbone, en plus de sa faune et de sa flore très riches et variées. Le bassin du Congo héberge des espèces de premier plan comme l’éléphant de forêt, l’okapi, quatre sous-espèces de gorilles, le bonobo, la genette aquatique, le paon congolais…
L’Afrique de l’Ouest est le domaine de l’hippopotame nain, de primates, des antilopes, de nombreux oiseaux, amphibiens et reptiles. C’est aussi la principale zone d’hivernage pour une bonne partie des espèces d’oiseaux paléarctiques. L’Afrique de l’Est est plus variée de par sa géographie, son climat, sa biodiversité. Quant à l’Afrique australe, elle se caractérise par ses grands parcs et ses réserves, en plus de sa population d’éléphants et de rhinocéros, la plus importante de tout le continent.
Mais toute la flore et la faune africaines sont sérieusement menacées par une exploitation illégale et un commerce illicite dans un contexte marqué par l’explosion démographique, ainsi qu’une forte demande intérieure et internationale. Cela dure depuis des années et comporte de nombreux risques aux conséquences désastreuses. Un rapport qui résume la situation actuelle a été présenté lors de la conférence de Brazzaville. Il indique que « de nombreuses espèces, charismatiques ou non, animales et végétales, souffrent de cette exploitation qui conduira à terme, si rien n’est fait, à leur extinction. L’état préoccupant des aires protégées existantes, la difficulté d’en créer de nouvelles, la superposition d’usage des terres, la forte demande des espèces et produits de la faune et de la flore sauvages qui alimentent les marchés internationaux, la demande intérieure en viande de brousse sont des défis à relever ».
Le même rapport souligne par ailleurs que « le commerce illicite des espèces et produits de la faune et de la flore sauvages, issus de l’exploitation illégale, résulte de nombreux phénomènes (la corruption, les pratiques mafieuses, le financement de groupes armés) avec comme conséquence la déstabilisation de régions entières ». La situation est tellement préoccupante que la sonnette d’alarme est tirée en permanence. Les chiffres sont encore plus inquiétants. Ainsi, « près de 25 % d’espèces de faune pourraient disparaître d’ici 2020 », d’après le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). D’autres spécialistes sont convaincus que, dans ce laps de temps, « la disparition de la faune se produirait à l’échelle d’un cinquième pour toutes les espèces existantes ».
Le fait que l’Afrique soit aujourd’hui au centre de l’approvisionnement du reste du monde en trophées et spécimens vivants d’animaux d’un côté, et que la demande extérieure soit de plus en plus en hausse (les principaux pays qui profitent du trafic aussi bien des cornes de rhinocéros qui auraient des vertus aphrodisiaques et les défenses d’éléphants sont la Chine, le Vietnam, la Thaïlande, la Corée du Sud, l’Inde, le Japon…) montre l’ampleur des dégâts. Alors qu’en 2007 la demande de cornes de rhinocéros en Afrique du Sud, par exemple, se situait en deçà de 50 rhinocéros, elle concerne aujourd’hui plus de 1000 rhinocéros. Cette situation est de mauvais augure pour la survie d’une espèce qui a déjà disparu en République démocratique du Congo et en République centrafricaine. Elle est menacée d’extinction en Afrique de l’Ouest. De temps à autre, des saisies importantes de pointes d’ivoires sont effectuées dans les pays asiatiques de destination. Entre 2009 et 2014, plus de 90 tonnes d’ivoire ont été saisies. Pour les spécialistes, cela représente entre 20 000 et 25 000 éléphants abattus de façon illégale chaque année. Les chiffres sur la population totale des pachydermes varient entre 420 000 et 650 000 individus. À cause du braconnage, les éléphants de forêt ont connu un déclin de 62 % entre 2002 et 2011.
Mais les rhinocéros et les éléphants ne sont pas les seules espèces animales à subir la loi des braconniers et de leurs commanditaires. Les grands singes ne sont pas épargnés : 22 000 gorilles et chimpanzés ont été ainsi massacrés entre 2005 et 2011. Les pangolins viennent s’ajouter à la liste déjà longue d’animaux recherchés par les trafiquants. Entre 40 000 et 60 000 auraient été vendus en 2011.
La flore subit le même sort que la faune. À la base de sa destruction les experts évoquent certaines méthodes agricoles, les infrastructures dont la construction mène à la déforestation. Les forêts disparaissent également parce qu’il y a une demande au niveau de l’industrie mondiale du bois et pour satisfaire des besoins en énergie. Le Programme des Nations unies pour l’environnement estime que le commerce illicite de la faune sauvage rapporte à ceux qui s’y livrent de 50 à 150 milliards de dollars par an. La pêche illégale rapporte 10 à 23,5 milliards de dollars, tandis que les recettes issues de l’exploitation illicite du bois se situent entre 30 et 100 milliards de dollars. Mais les trafiquants sont boulimiques. Ils se sont jetés également sur des plantes qui auraient certaines vertus, réelles ou imaginaires, et qui sont d’importantes sources de revenus. Ces plantes sont utilisées dans la médecine, la pharmacie, la cosmétique, l’alimentation, la décoration, le textile… Globalement, les trafiquants s’intéressent à l’ivoire, corne de rhinocéros, aux écailles de pangolin, aux peaux de fauves et de reptiles, aux becs de calaos, aux mains et aux crânes de gorilles, à la viande de baleine, aux ailerons de requins, au bois de rose, d’ébène, d’afrormosia…
La conférence de Brazzaville n’est pas la première à rassembler les pays africains dans leur recherche de solutions appropriées à l’exploitation illégale et au commerce illicite des produits de la faune et de la flore sauvages. Beaucoup d’initiatives ont été prises dans différents pays dans le but de combattre efficacement les réseaux criminels. C’est le cas de la Déclaration sur la lutte anti-braconnage en Afrique centrale faite à Yaoundé, au Cameroun, en mars 2013, lors d’une réunion d’urgence de ministres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Il y a eu la Déclaration de Marrakech de mai 2013, qui préconisait, avec le soutien de la Banque africaine de développement (BAD) et du Fonds mondial pour la nature (WWF) « la nécessité de renforcer la collaboration pour lutter contre le trafic illicite de la faune, de renforcer l’application de la loi et de réduire la demande pour les produits illicites de la faune ». En décembre 2013, une table ronde de haut niveau destinée à lutter contre le trafic et le braconnage des espèces menacées se tient à Paris, en marge du Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique. En janvier 2014, c’est au tour de Londres d’accueillir une conférence sur le commerce illégal de la faune. En Afrique de l’Est, dans le cadre de l’Accord de Lusaka, les pays signataires insistent sur la promotion de la coopération transfrontalière afin de lutter contre les atteintes à la faune. Récemment encore, des rencontres ont eu lieu au Botswana. En mai 2014, un accord entre l’Afrique du Sud et le Mozambique sur la gestion et la conservation de la biodiversité en vue de mettre fin au braconnage des rhinocéros dans un parc situé à la frontière des deux pays.
Si toutes ces conférences ont eu lieu, si des accords ont été signés, force est de constater que les avancées attendues ne sont pas au rendez-vous. Pour certains observateurs, en dépit de toutes les initiatives prises lors de différents sous-régionales, régionales ou internationales, « l’Afrique ne semble pas être disposée à apporter des réponses idoines ». Et d’énumérer les principales raisons qui expliquent cette espèce de paralysie : faible connaissance de la ressource, faible gouvernance des aires protégées et faible niveau de leur valorisation, insuffisance d’initiatives et d’activités alternatives en faveur des populations, faible niveau de financement des aires protégées, faible niveau de collaboration interservices, porosité des frontières et corruption des services de police, des douanes, de l’armée et de la justice, non-respect des engagements pris lors des accords internationaux…
Le plus préoccupant pour les États reste, non seulement la disparition quasiment certaine de plusieurs espèces animales et végétales, mais aussi les conséquences sociales et économiques des pratiques des ennemis déclarés de la biodiversité. L’illégalité entretient la corruption à tous les niveaux, appauvrit de plus en plus les pays qui ne peuvent ni financer le développement ni améliorer les conditions de vie de la population. Elle nuit au bon fonctionnement des entreprises régulières à travers une concurrence déloyale évidente. Plus inquiétant, les experts expliquent que « le braconnage et le trafic d’espèces menacées de notre planète sont le quatrième plus grand trafic international, après celui de la drogue, des êtres humains et des armes. Les montants issus de ce trafic ont été estimés en 2013 entre 8 et 10 milliards de dollars, et ce chiffre est en hausse chaque année ».
La conférence de Brazzaville s’est terminée par l’adoption de ce qui avait justifié son organisation : une stratégie africaine « en tant que feuille de route et directive commune pour la riposte de l’Afrique dans le cadre de la lutte contre le commerce illégal d’espèces sauvages ». Cela, dans le cadre de l’Union africaine.