BUSINESS ET FINANCES : La volonté affichée par la communauté internationale de lutter contre l’exploitation illégale et le commerce illicite des ressources naturelles de la faune et de la flore africaines signifie-t-elle que ce combat peut être gagné ?
NIK SEKHRAN : La bataille peut être gagnée si tous les pays travaillent ensemble pour cela et montrent une volonté politique claire. Le problème c’est que l’ennemi que nous devons affronter est plein de ressources et gagne beaucoup d’argent grâce à ce commerce illicite. En plus, il est en train d’aller au-delà des capacités des États. C’est, donc, très important de travailler la main dans la main pour le combattre et gagner cette guerre.
Mais où se trouve cet « ennemi » ? En Afrique ou dans les pays dits consommateurs de ce qui quitte illégalement le continent ?
Tout le monde est consommateur, en fin de compte. Il n’est pas vrai que les consommateurs se trouvent uniquement en Asie. On les trouve aussi en Europe ou aux États-Unis. Et même en Afrique où la viande de brousse est consommée. C’est pourquoi il faut mettre l’accent sur l’éducation des consommateurs, essayer de freiner la demande et l’offre au niveau de l’Afrique.
Les pays africains ont beaucoup de problèmes à résoudre. Cette lutte contre les syndicats du crime organisé qui pillent la biodiversité peut-elle devenir une priorité pour eux ?
Plusieurs raisons entrent en compte pour que ce soit une priorité. Premièrement, il s’agit de l’héritage africain. Les ressources naturelles qui englobent les éléphants et certains autres grands animaux ont une valeur particulière. On estime par exemple, au Kenya que, durant sa vie, un éléphant rapporte un million de dollars au trésor public. Il est vrai que beaucoup de pays n’ont pas encore d’industrie touristique. Mais il y a un potentiel très important. C’est également important pour la sécurité parce que nous savons que ce commerce est de plus en plus le fait de groupes qui ont d’autres intérêts et créent l’insécurité. La question sécuritaire n’est pas à négliger.
Ce n’est pas la première fois que des pays se réunissent, prennent des résolutions. Mais les effets sont rarement positifs. Pensez-vous que Brazzaville est une étape importante ou tout simplement un rendez-vous comme les précédents ?
La particularité de Brazzaville c’est qu’il s’agit de la voix de l’Afrique. Les nations africaines, l’Union africaine se sont levées, ont uni leurs forces pour trouver une stratégie commune. Avant, les rencontres étaient toujours dominées par les pays européens ou les donateurs. Le processus qui a commencé à Brazzaville est très important parce que l’Afrique s’est approprié le problème et veut trouver un consensus, sa propre vision en vue d’en finir avec les prédateurs. Voilà pourquoi cette conférence de Brazzaville est importante.
Une initiative comme celle-ci nécessite beaucoup de moyens financiers pour aboutir. Avez-vous le sentiment que, au-delà des discours, les moyens suivront ?
Nous avons eu aujourd’hui [le 30 avril, NDLR] une table ronde avec différents donateurs. L’Union européenne, le gouvernement allemand, le PNUD, le Fonds mondial pour l’environnement ont annoncé de grosses contributions. Le Fonds mondial pour l’environnement a parlé de 100 millions de dollars disponibles en mai. Mais il ne s’agit pas simplement d’injecter plus d’argent. Le plus important c’est d’avoir une approche nouvelle. Si on ne travaille pas différemment, on n’arrivera pas à résoudre les problèmes qui se posent.
Comment se présente cette nouvelle approche ?
L’ancienne méthode consistait en la protection des aires naturelles en les finançant. Nous nous sommes rendu compte que cela ne marchait pas. Tout simplement parce que le problème était tellement énorme qu’il dépassait les capacités des acteurs. Ce que nous avons dit à Brazzaville c’est de travailler désormais avec les douanes, les contrôleurs des exportations, la police, la justice pour infliger des peines conséquentes et dissuader les braconniers. Nous avons affaire à de gros bonnets qui sont, notamment, impliqués dans le blanchiment d’argent. Il faut qu’on leur rende la vie difficile. D’où la nécessité de travailler tous ensemble dans la même direction. C’est ce que nous avons proposé. Bon nombre de pays africains montrent que cela est possible. En Namibie, des politiques qui ont été mises en place impliquent les communautés dans le problème, en combinant l’approche conservation et développement. Résultat : le braconnage a reculé. Au Kenya, les pénalités à payer en cas de braconnage sont extrêmement sévères. Comme vous le voyez, il y a des exemples concrets.
Quelle est la vision du PNUD à propos des communautés qui vivent, survivent, grâce au braconnage ?
De façon claire, nous savons très bien que certaines communautés dépendent de la viande de brousse et qu’il est impossible de l’interdire complètement. D’où l’idée de les accompagner pour essayer des solutions alternatives. Certaines viandes de brousse véhiculent des maladies comme la fièvre à virus Ebola. Il s’agit surtout de sensibiliser ces communautés sur les questions sanitaires en les aidant à trouver d’autres sources de protéines durant les mois qui se situent entre les récoltes.