Professeur à l’Université catholique du Congo et à l’Université pédagogique du Congo, Charles Simba-Djungu K. vient de publier un nouvel ouvrage contenant des notes de voyage où il affirme, à la fois, sa déception de voir son pays tourner en rond et sa vocation d’écrivain sans frontières.
Novembre 2014. L’auteur, profitant d’un séjour à Bujumbura, au Burundi, dans le cadre d’un colloque réunissant des écrivains de la région des Grands Lacs (République démocratique du Congo, Rwanda et Burundi), décide de faire un tour dans sa province natale du Sud-Kivu. Priorité : arriver jusqu’à Kamituga, « cité de l’or et du coltan », terre de ses racines, où il est né, à 180 kilomètres de Bukavu. Il n’y avait plus mis les pieds depuis… une vingtaine d’années. Ce retour au « pays natal », c’est-à-dire Kamituga, les retrouvailles chaleureuses, mais parfois encombrantes avec les siens, au goût de l’auteur, est une opportunité que Charles Djungu-Simba saisit pour jeter un regard amer et désabusé sur sa communauté et le destin du pays. Il résume cela en une phrase : « Aujourd’hui, mes compatriotes, marinés dans la culture de l’insignifiance et de la médiocrité dans laquelle les a plongés un pouvoir qui a fait du déficit d’ambition un modus gubernandi, sont complètement blasés ». D’où le titre, Biko Aye qui, traduit en swahili de Bukavu, signifie littéralement « Qu’est-ce que l’on devient ? » Et deux sous-titres : Le droit de vivre, Le droit de se révolter. Pour l’auteur, « aujourd’hui, les formules de politesse ont cédé la place à une expression d’inquiétude, d’incompréhension, de désarroi devant un présent dont les ficelles nous échappent complètement ».
L’accueil à Kamituga va au-delà des attentes du fils prodigue : deux chèvres égorgées et plusieurs dizaines de bouteilles de bière. C’est la fête à laquelle quiconque apprend la bonne nouvelle n’hésite pas un seul instant à s’y inviter. Comme cette vieille dame qui arrive en trombe et demande à brûle-pourpoint à l’hôte de marque : « Papa, c’est vous qui venez rétablir l’électricité dans Kamituga ? Là-bas, à Kinshasa, vous vous voyez quand même avec Mobutu ? » Quand l’assistance scande le nom de Kabila pour que la vieille dame comprenne qu’elle se trompe d’époque, elle rétorque : « Oui, Mobutu ou Kabila, comme vous voulez, ma question reste la même : vous arrive-t-il de rencontrer ces messieurs ? Qu’est-ce qu’ils disent du pays ? »
Le retour au pays natal est un chapelet de déceptions pour Djungu-Simba, qui constate que tout a régressé : les mentalités, les rapports humains, les pratiques religieuses, le paysage. Il ne peut en être autrement quand, pour aller de Kamituga à Bukavu et vice-versa, les voyageurs doivent s’arrêter devant une trentaine de barrières illégales, les unes comme les autres, érigées par l’armée et la police dans le but de racketter la population. L’auteur se demande, par ailleurs, pourquoi les autorités ne se rendent pas compte de la dépendance des habitants de cette province du Sud-Kivu qui, pour leurs affaires ou d’autres raisons, sont obligés d’aller prendre l’avion au Rwanda ou au Burundi. Tout simplement parce que les infrastructures routières et aéroportuaires font cruellement défaut sur l’ensemble du territoire congolais.
S’agissant de la région des Grands Lacs où ont eu lieu ces deux dernières décennies des guerres abominables, des génocides et des violations massives des droits humains dont le souvenir hantera à jamais les peuples qui y vivent, on sera certainement surpris, en fonction du point de vue, de lire certaines affirmations de l’auteur. C’est notamment lorsque, évoquant la situation globale dans la région, il écrit : « On peut affirmer que dans la région des Grands Lacs africains, nos dirigeants politiques ont longtemps manifesté une préférence à d’autres priorités au point d’avoir réussi à transformer ce coin paradisiaque en l’une des régions les plus dangereuses de la planète. On m’objectera en épinglant des réalisations du genre ‘Communauté économique des pays des Grands Lacs’, mais ce serait méconnaître ce que fut réellement la CEPGL, à savoir un machin au service des ambitions ubuesques du tandem Mobutu-Habyarimana ».
Autre affirmation de Djungu-Simba : la notion de verbe et d’action sur le continent. Car, « comme c’est souvent le cas en Afrique, le verbe précède toujours l’action. On crée d’abord l’association, on se soucie après de comment garnir la coquille vide. Les études de faisabilité, la période de transition ou d’observation, les consultations préalables, c’est l’affaire des Blancs ! » Et Djungu-Simba donne des exemples de ce qui serait une spécificité africaine : « Voyez nos pays dans les années 60, au moment de nos indépendances, chaque nouvel État s’était précipité pour se doter de ce qui passait alors pour des symboles de souveraineté : une équipe nationale de football, une université, une banque nationale, une monnaie nationale, etc. Sans se préoccuper de savoir s’il existait des footballeurs ; si des étudiants et des enseignants qualifiés étaient disponibles ; si la monnaie nationale constituait une priorité là où l’économie du jeune pays était encore sous la coupe de l’ancienne métropole. » C’est très discutable.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Djungu-Simba revient sur sa qualité d’écrivain. Il revient sur son adolescence, à l’époque où il était élève dans un petit séminaire et durant laquelle les lettres envoyées aux parents par les élèves subissaient une forme de censure de la part du Père recteur. Il évoque la publication, en 1984, de son premier livre, « Autour du feu. Contes d’inspiration lega ». Cette naissance de l’écrivain est, à la fois, une fidélité à la culture de son terroir, l’affirmation de son individualité et de sa solidarité avec les lecteurs de tous les horizons pour solliciter leur complicité, leur adoubement. Quatre ans plus tard, il publie un nouveau livre, Cité 15, qui sera suivi de On a échoué, en 1991. Selon l’auteur, ce livre « a été salué sur les deux rives du fleuve Congo comme un réquisitoire contre les régimes en place ». Et de s’interroger : « Qui avait réellement lu ce récit qui me valait la réputation de révolutionnaire ? » En janvier 1988, Charles Djungu-Simba quitte le Zaïre pour la Belgique. Un souvenir revient sous sa plume : « Je n’ai pas oublié non plus qu’en Wallonie, malgré mes qualifications, il ne m’a pas été autorisé d’enseigner le français aux jeunes Wallons dont le français est la langue maternelle sous le prétexte que le français que les Belges m’avaient enseigné n’était pas ma langue maternelle. »
En Belgique, Djungu-Simba, écrivain en exil, constate qu’ « aucune maison d’édition n’a daigné ouvrir ses portes aux ‘écrivains en exil’, qu’ils soient devenus ou non belges par naturalisation ». Comment comprendre cette forme d’ostracisme ? D’après l’auteur, l’institution littéraire belge francophone pense que « les artistes et les écrivains issus de l’immigration subsaharienne, qu’ils soient devenus belges ou non, font partie de la diaspora africaine et, comme tels, citoyens de leurs pays de provenance. » Dépassant les lieux et les espaces, Djungu-Simba refuse, pour sa part, d’être sevré d’aucune des mamelles qui l’ont nourri et le nourriront où qu’il aille. Car « la seule fidélité dont j’aimerais me réclamer, dont je voudrais être comptable, c’est vis-à-vis de la langue que j’ai choisie pour organiser et décliner mes identités, et qui ne se formalise guère des derniers outrages que je lui fais régulièrement subir », conclut-il. On peut ne pas partager les points de vue de ce révolté essentiel, une chose est sûre : il les assume.
Bika Aye ? Le droit de vivre, Le droit de se révolter, Charles Djungu-Simba K., Médiaspaul, 2015, 92 pages.