Il n’a jamais chanté. Mais il a signé certaines des plus belles œuvres de la chanson congolaise. Une revue brazzavilloise vient de consacrer un numéro à Lutumba Ndomanueno, dit Simaro, pour lui rendre un hommage mérité.
« Fifi nazali innocent » ; « Minuit eleki Lezi »; « Mabele » ; « Maya » ; « Kadima » ; « Mandola » ; « Ebale ya Zaïre » ; « Testament ya Bowule» ; « Inousa »… La discographie de Simon Lutumba Ndomanueno est longue. Ses chansons, interprétées par des chanteurs exceptionnels à l’instar de Sam Mangwana, Jo Mpoyi, Ntesa Dalienst, Kabasele Yampanya, Youlou Mabiala ou encore Mbilia Bel, ont fait le bonheur de générations entières d’amateurs de musique. Du coup, ce guitariste du défunt Tout-Puissant OK Jazz, le groupe de Luambo Makiadi, est devenu aussi populaire qu’un chanteur. Quelqu’un, on ne saura jamais qui, lui a même donné le surnom flatteur de poète pour la beauté de ses textes. Il lui est resté collé jusqu’à ce jour.
Un tel homme ne pouvait qu’attirer l’attention de ceux qui ont savouré ses mélodies. D’autant que, à 77 ans, Lutumba Ndomanueno est au soir de sa vie et de sa carrière. D’où ce numéro spécial de la revue Rétro, qui est publiée à Brazzaville, en République du Congo, par Mfumu Di Fua Di Sassa. Le directeur de la publication a recouru à plusieurs collaborateurs, aussi bien de Kinshasa que de Brazzaville, pour cerner tous les contours du personnage et de son abondante œuvre qui comprend, selon les estimations de Rétro, entre 100 et 150 titres.
Le jeune Lutumba, né à Kinshasa, alors Léopoldville, en 1938, débute sa carrière à l’âge de vingt ans dans un groupe dénommé Micra Jazz en tant qu’accompagnateur. Un an plus tard, le voilà dans un nouveau groupe, le Congo Jazz, dirigé par Gérard Madiata. C’est là qu’il enregistre ses premiers morceaux, « Simarocca », « Muana etike » et « Lisolo ya ndako ».
En 1961, il se retrouve dans l’OK Jazz de Franco Luambo où il mènera une longue et fructueuse carrière musicale. Avec cette particularité que la plupart de ses chansons récoltent un franc succès. Il entre ainsi dans le cercle de ces auteurs et compositeurs dont tout le monde fredonne les chansons avec beaucoup de plaisir grâce à la qualité des textes.
Ouvrier de la parole
Quand Luambo Makiadi décède en 1989, Lutumba devient, naturellement, le numéro un de l’OK Jazz. Mais c’était sans compter avec la famille du fondateur de l’OK Jazz, dont les exigences financières étaient telles que l’auteur de « Mabele » ne pouvait les honorer. C’est le divorce. Lutumba, avec quelques fidèles, monte, en 1994, le groupe Bana OK. Las, le succès sera éphémère. Mais l’homme ne se résigne pas et poursuit sa carrière au gré des circonstances.
Parmi les auteurs qui ont participé à la rédaction de l’hommage qui lui est rendu par la revue Rétro, on trouve le musicologue Manda Tchebwa. Il écrit : « À regarder de plus près, en cet homme peu ordinaire, ô combien discret mais pourtant prolifique et abyssal dans sa production artistique, il y a la marque d’un fleuve tout aussi tranquille que profond. Un fleuve abondant qui coule dans les tréfonds de ses auditeurs avec, sur ses deux rives bien visibles, les empreintes de la fidélité. Aurions-nous affaire à un colporteur obstiné des richesses fines du dedans de l’homme, qui, par mégarde, aurait échoué sur les berges du fleuve Congo ? C’est tout comme. »
Il conclut : « Ouvrier de la parole, tout en polissant l’écriture, il y est attaché par une exigence dont lui seul détient le secret. C’est que la noèse de cet objecteur des consciences est un mélange de travail au corps à corps avec les mots et, au-delà, avec leurs sens poétique et philosophique dans les limites d’un espace social où le poids des us et coutumes de son peuple et des règles universelles d’une coexistence cosmopolite sont encore de mise ».
Pour Matondo Kubu Turé, « la chanson congolaise urbaine (…) a connu un inventaire impressionnant d’auteurs-compositeurs émérites. Cette chanson, au cours de l’histoire jusqu’à nos jours, a rassemblé de grands faiseurs de textes et de mélodies. Beaucoup de grands et un nombre infime de bons. Lutumba compte parmi les deux, c’est-à-dire les meilleurs chansonniers de notre rumba, plus grand que les grands, bon parmi les bons, dans la manière de ciseler ses textes ».
Bouetoum Kiyindou estime que « le poète Lutumba prend sur lui l’hypocrisie des uns, la fausse pudeur des autres et la sincérité pour les plus courageux afin d’étaler l’amour humain, surtout, pour lui redonner son sens sacré, c’est-à-dire aimer sans conditions ».
Adulé par tous ceux qui ont l’oreille fine et le sens des mots, Simaro Lutumba Ndomanueno a incontestablement marqué son époque. Et il a réussi l’essentiel pour un artiste, un vrai : devenir immortel.