Le forum économique mondial (FEM) sur l’Afrique, qui s’est déroulé la semaine passée au Cap, en Afrique du Sud, a fourni une opportunité intéressante de discuter de la place occupée par l’Afrique dans le commerce mondial, ainsi que des perspectives futures pour le commerce africain. En particulier, la session intitulée « The Future of Trade » – « Le futur du commerce » – s’est penchée de près sur cette question, soulignant le grand potentiel du commerce en tant que moteur de la croissance et du développement économique en Afrique.
La part de l’Afrique dans le commerce mondial est actuellement très faible et s’élève aux alentours de 3 pourcent. Par ailleurs, l’Afrique reste le continent qui commerce le moins avec lui-même, les échanges intracontinentaux ne représentant qu’environ 12 pourcent du commerce africain, contre approximativement 55 pourcent pour l’Asie et plus de 70 pourcent pour l’Europe. Dans un contexte marqué par le ralentissement de la croissance du commerce mondial, une tendance à la baisse des prix des matières premières, et l’émergence d’accords commerciaux méga-régionaux, le continent africain se trouve face à de grands défis.
Comment donc l’Afrique pourrait-elle s’accaparer une plus grande – et meilleure – part des échanges mondiaux ? La plupart des observateurs et experts présents à la réunion du FEM semblaient s’accorder sur certaines recommandations clés : les pays africains devraient initier une transformation structurelle de leur économie, développer des infrastructures permettant l’essor du commerce, et s’efforcer d’offrir un environnement propice aux affaires. Mais évidemment, la mise en œuvre d’un tel programme ne sera pas une tâche aisée, et comme souvent, les contours précis seront plus difficiles à définir que les grandes lignes. Une chose est toutefois claire : récolter de plus grands bénéfices du commerce mondial nécessitera une combinaison d’actions à différentes échelles.
Tout commence au niveau domestique
Lorsque l’on aborde la thématique du commerce, on a souvent tendance à focaliser son attention sur la sphère internationale, en s’intéressant aux modalités d’accès au marché. Cependant, tout commence au niveau domestique. Comme l’a souligné Yonov Frederik Agah, directeur général adjoint de l’OMC, même si elles sont influencées par des facteurs externes difficiles – ou impossibles – à contrôler, les performances commerciales sont profondément enracinées dans des conditions domestiques. À cet égard, le commerce n’est pas différent de l’investissement, et de l’activité économique en général : il a besoin d’un environnement favorable et prévisible pour prospérer.
Les pays africains devraient donc s’efforcer de mettre ne place un tel environnement domestique, ce qui implique essentiellement deux types d’éléments. En premier lieu, il est important que les gouvernements nationaux développent des infrastructures physiques appropriées, qui font cruellement défaut dans nombre de pays africains, afin de permettre aux acteurs économiques de faire des affaires et de transporter des marchandises de manière aussi efficiente que possible. Ces infrastructures, qui comprennent notamment les routes, les chemins de fer, ainsi que les réseaux électriques et de télécommunications, nécessitent d’énormes investissements financiers.
En second lieu, tout pays désireux d’offrir des conditions propices au développement de l’activité commerciale doit également mettre en place les bonnes institutions. Pour ce faire, il est essentiel de construire des fondations solides dans le domaine politique, en se focalisant sur « toutes les institutions politiques qui ont amené au succès de nombreux pays », comme souligné par Patrice Motsepe, l’un des co-présidents de la réunion du FEM. Cela peut paraître évident, mais la vitalité de la démocratie, le renforcement du l’état de droit, l’amélioration de la gouvernance, et la lutte contre la corruption constituent autant d’objectifs cruciaux qui nécessitent des efforts continuellement renouvelés. Une fois ce socle politique en place, des politiques économiques et commerciales plus spécifiques sont nécessaires, afin de fournir aux opérateurs économiques un cadre institutionnel favorable, transparent, et prévisible. « La clé, c’est de s’attaquer à ces réformes domestiques », a insisté Agah, ajoutant que les réformes et politiques domestiques devraient cibler certains secteurs spécifiques en vue de stimuler la diversification.
Du niveau régional au niveau continental
Pour que l’Afrique puisse bénéficier de manière plus substantielle des échanges commerciaux internationaux, le niveau régional est également d’une importance capitale. Cette affirmation est d’autant plus vraie dans une situation caractérisée par une érosion des préférences et une grande incertitude quant à la potentielle conclusion du cycle de Doha. De surcroît, comme cela a été souligné par Fatima HaramAcyl, la Commissaire de l’Union africaine pour le commerce et l’industrie, beaucoup de pays africains sont « trop petits pour justifier d’énormes investissements ». Ainsi, l’intégration régionale – et continentale – a également un rôle crucial à jouer en permettant aux pays de mutualiser leurs ressources et de s’allier pour effectuer certains investissements clés, dans des domaines tels que les infrastructures ou la facilitation des échanges.
Comme les participants du FEM l’ont souligné, des progrès significatifs ont été accomplis dans le cadre des communautés économiques régionales (CER). Bien que la Communauté de l’Afrique de l’Est reste la plus avancée en termes d’intégration, d’autres CER ont pris des mesures importantes pour resserrer les liens économiques entre leurs membres. C’est notamment le cas de la CEDEAO, par exemple, qui a adopté la libre circulation des personnes et dont le tarif extérieur commun (TEC) est entré en vigueur au début de l’année 2015.
Ces évolutions sont perçues par beaucoup de manière positive, car il existe un large accord autour de l’idée que le commerce intra-régional ouvrira la voie au commerce intra-africain. Le marché africain pourrait alors constituer un terrain d’essai pour le marché global, comme l’a souligné Yonov Frederik Agah. Nombre d’experts présents lors du FEM sur l’Afrique ont mis l’accent sur l’importance de la mise en place de la Zone continentale de libre-échange (ZCLE ou CFTA), qui est prévue pour 2017. À cet égard, ils ont insisté sur le fait que les expériences des CER et de la Zone tripartite de libre-échange (ZTLE ou TFTA) constitueront de grands atouts.
« Il est très important pour l’Union africaine (AU) de s’inspirer des meilleurs pratique en la matière », a affirmé Fatima HaramAcyl, avant d’ajouter qu’avec la ZCLE, l’AU vise une approche ambitieuse qui inclura non seulement les marchandises, mais également les services et potentiellement d’autres domaines comme les marchés publics. Étant donné que la ZLEC comprendrait 54 pays, devenant ainsi la plus grande zone de libre-échange au monde, Acyl a également indiqué que l’AU collabore étroitement avec l’OMC, afin de mieux comprendre les défis qui l’attendent et recevoir certains conseils.
S’intégrer à l’économie globale
Enfin, le niveau global sera aussi essentiel pour que l’Afrique puisse prendre une meilleure place dans les échanges mondiaux. « L’Afrique doit, en premier lieu, s’assurer de son intégration dans le système commercial multilatéral, afin de faire partie intégrante de l’économie globale », a affirmé Yonov Frederik Agah. Rappelant l’influence coloniale sur la structure des économies africaines, et l’absence de ces dernières à la table des négociations lors de l’établissement du régime du GATT, Agah a argué que maintenant que l’Afrique peut faire entendre sa voix à l’OMC, elle devrait en profiter pour porter un regard stratégique sur les domaines des accords offrant les meilleures dispositions en matière de traitement spécial et différencié. « Le futur de l’Afrique réside dans le fait de s’assurer que des institutions comme l’OMC fonctionnent », a-t-il ajouté. Il a également insisté sur le rôle de l’OMC en tant que catalyseur de certaines réformes domestiques, comme dans le cas de l’Accord sur la facilitation des échanges qui est en phase de ratification.
Il est également nécessaire, pour les économies africaines, d’apporter une réponse à l’évolution de l’environnement économique global. En particulier, dans un contexte marqué par la prolifération d’accords de libre-échange toujours plus ambitieux, les préférences dont jouissaient jusque là les pays africains s’érodent rapidement. Même si le renforcement de l’intégration régionale et continentale représente certainement une réaction judicieuse, permettant d’intensifier le commerce intra-africain, cela ne sera pas suffisant. De manière intéressante, l’OMC pourrait bien s’avérer l’enceinte la plus efficace pour négocier des dispositions bénéficiant aux pays africains. « Le système commercial multilatéral fournit le meilleur environnement, pour de petites économies telles que celles de l’Afrique, pour obtenir de bons accords commerciaux, plutôt que de continuer avec l’approche actuelle qui est axée sur des accords bilatéraux et régionaux avec des pays développés », a insisté Agah.