« Il est indispensable que nous produisions davantage du bio »
À 42 ans, ce spécialiste de l’agriculture améliorée formé à l’université Kongo, dans le Bas-Congo, avant d’aller se spécialiser à l’université de Massachusetts, aux États-Unis, mène des expériences pour améliorer le contenu des assiettes des Congolais.
BUSINESS ET FINANCES : Où sommes-nous ?
ATHANASE MAKAYA : Nous sommes au Centre de ressources Ferme GK. C’est à Nganda Musolo, entre Nsele et Maluku, à environ 80 km de la capitale.
À quoi servent ces espèces de cages en bois couvertes de plastique qui nous entourent ?
Ce sont des préparateurs. En anglais, un préparateur s’appelle nursery. Autrement dit, ce sont des couveuses de plantes. C’est ici que nous multiplions les germoplasmes, un terme technique pour désigner les boutures que nous allons planter dans la ferme.
L’une des expériences en cours concerne une plante très consommée par une grande partie des Kinois : le mfumbwa. Comment vous y prenez-vous ?
Le mfumbwa est multiplié ici par fragments de feuilles, par morceaux de tiges. C’est une multiplication végétative. Le mfumbwa est un produit forestier non ligneux. Plus nous détruisons la forêt, plus il devient rare. Pour votre information, le mfumbwa qui est actuellement consommé à Kinshasa vient soit de la Province-Orientale, soit de l’Équateur ou encore du Kasaï (par avion) parce qu’il n’y a plus de forêt autour de la capitale. La multiplication des boutures se fait ici. Ensuite, nous les rendons disponibles pour tous les paysans de la zone.
Concrètement, comment cette opération se déroule-t-elle ?
Il y a la multiplication par graines, la multiplication végétative, à partir de morceaux de la plante… Ici, nous préférons la multiplication végétative car elle permet au mfumbwa de garder toutes ses caractéristiques. Nous utilisons des morceaux de boutures de cette plante en les plaçant dans un préparateur où nous mettons
du moellon, du sable, de la caillasse. La multiplication dure un mois. Et le deuxième mois, nous procédons à la distribution.
En clair, vous multipliez pour distribuer aux autres…
Oui. C’est là notre responsabilité. Les acquéreurs n’ont plus qu’à planter le produit dans leurs structures.
Combien coûte une bouture de mfumbwa ?
ν Deux dollars.
Vous en produisez combien ?
ν Notre capacité mensuelle est de 50 000 plants. La demande est plus forte que l’offre pour le moment. Nous espérons pouvoir, un jour, fournir tout Kinshasa.
Pour monter un centre comme le vôtre que faut-il comme investissement ?
C’est 10 000 dollars en moyenne, tout compris. Apparemment, c’est cher, mais c’est beaucoup plus rentable qu’on ne l’imagine.
Quel type d’agriculture pratiquez-vous ici ?
Dans cette ferme notre agriculture est biologique. C’est une agriculture intégrée qui comprend l’agriculture en tant que telle, l’agroforesterie, l’agroécologie. Nous comptons nous lancer dans l’élevage, la pisciculture avec des espèces à croissance très rapide. Comme vous pouvez le constater, nous avons déjà une grande variété d’agrumes. Vous voyez aussi des safoutiers, des mangoustaniers en très grande quantité. La ferme est en mesure de résoudre une partie des problèmes d’approvisionnement de la ville de Kinshasa.
Quelle différence faites-vous entre l’agriculture traditionnelle et l’agriculture biologique ?
L’agriculture traditionnelle n’utilise pas de germoplasmes, c’est-à-dire les graines ou les boutures améliorées.
Améliorer, c’est-à-dire modifier ?
C’est modifier des boutures, des graines, des semences pour qu’elles produisent beaucoup plus. Les variétés locales sont presque dégénérées et leur rendement est faible par hectare. C’est pourquoi il faut renforcer les semences. Nous appelons cela modification. Et c’est ce que nous faisons ici à travers le marcottage, le bouturage, le greffage. C’est de l’amélioration. Nous améliorons la qualité des cultures.
Ce ne sont pas des Organismes génétiquement modifiés (OGM) ?
Pas du tout ! Je vous ai montré des plantes que nous avons marcottées. C’est naturel. Nous utilisons l’inflorescence des palmiers. Nous n’utilisons pas de produit chimique ou synthétique.
Même pas de pesticide ?
Nous produisons des pesticides biologiques à partir de plantes qui sont dans notre ferme. Tout est fait sur place : fongicides, acaricides, raticides, pesticides…
Y a-t-il dans ce pays une agriculture biologique ? Si oui, est-ce à cela qu’il faut aboutir ?
L’avenir de l’agriculture bio est indiscutable. Nous n’avons pas le choix. Comme vous le savez, presque tout ce que nous consommons à Kinshasa est importé. Et ce n’est pas du tout bio ! Nous avons beaucoup d’OGM qui nous causent de nombreuses maladies. Ils sont cancérigènes et provoquent toutes ces maladies dites coronariennes. La sclérose, l’infarctus du myocarde, l’embolie, des maladies d’origine alimentaire. Nous n’avons pas d’autre choix que de consommer congolais. Pour moi, comment consommer congolais si nous ne produisons pas congolais ? Nous devons donc déployer des efforts pour produire davantage. Notre exemple devrait servir de modèle aux autres. Parce que l’agriculture de demain sera l’agriculture verte. Nous avons tout et on ne se développe qu’avec ce qu’on a. Il est indispensable que nous produisions davantage du bio.
La question de l’agro-industrie se pose aussi. Y en a-t-il une dans le pays ?
Elle existe. On sent une certaine impulsion, même si elle est timide. Mais il faut faire une distinction entre la grande industrie et la petite. En dehors des grands du secteur, les petits sont quand même là. C’est notre cas. Nous aurons ici une petite industrie pour transformer des fruits. Actuellement, tous les jus de fruit qu’on consomme à Kinshasa sont importés. C’est une insulte pour notre pays, dans la mesure où nous avons plus de 120 millions d’hectares de terres arables. Seuls 10% sont occupés, dont 7% par l’élevage et 3% par l’agriculture ! Toute cette étendue inutilisée doit être occupée. Nous avons besoin de semences, de boutures. C‘est pourquoi ce centre de ressources arrive à point nommé.
Semences, boutures… Mais ne faut-il pas avoir d’abord beaucoup d’argent pour investir ?
En réalité, l’apport de l’argent tourne autour de 20%. Il faut avant tout de l’intelligence et des bras. C’est ce qui produit l’argent.
Le pays compte-t-il assez d’agronomes ?
Oui. Malheureusement, dans notre métier on dit : « Plus il y a d’agronomes, moins il y a de manioc sur la table des consommateurs ». Je pense que les agronomes congolais doivent être réalistes. Nous devons dépasser l’étape théorique pour entrer dans la pratique. Les jeunes gens que vous voyez ici sont fraîchement sortis de l’université et ils appliquent ce qu’ils ont appris. Cette expérience n’est pas limitée à cette ferme.
Elle a été menée à Kimpese et, depuis, le gouvernement angolais vient acheter des germoplasmes chez nous. Elle a été rééditée au Plateau
des Bateke, où nous avons travaillé avec la coopération néerlandaise. Un centre de ressources a été monté dans deux localités et on y produit beaucoup de mfumbwa. Nous devons reprendre cette expérience un peu partout afin d’avoir, par exemple, des arbres fruitiers et des germoplasmes de qualité.
Quel genre de personnes votre centre forme-t-il ?
Nous formons tout le monde et nul n’a besoin d’avoir des diplômes pour venir. Nous avons besoin de gens qui peuvent regarder ce que nous faisons pour l’appliquer ensuite. Ils ne sont même pas obligés de prendre des notes. Ce que les gens vont appliquer eux-mêmes, ils n’ont pas besoin de l’écrire, parce qu’ils apprennent beaucoup plus avec les yeux. Ils passent à l’application et le savoir reste gravé dans leurs têtes. Notre système de formation n’est pas ex cathedra, il est participatif.
À quoi ceux qui viennent sont-ils formés ?
Nous les formons à des techniques comme le marcottage, c’est-à-dire apprendre à gratter l’écorce d’un arbre, y apporter ensuite de la matière organique afin qu’une racine sorte par là. Après on vient couper le morceau pour le planter ailleurs. C’est une sorte de clonage. Cette technique permet d’écourter la durée de végétation des plantes. Le safoutier, par exemple, a besoin de six à neuf ans. Avec le marcottage, il est prêt en un an et demi. Tout est bio. L’autre technique c’est le bouturage. C’est ce qu’on fait avec le mfumbwa avant de le planter. Nous avons également le greffage. On prend une espèce végétale qui est beaucoup plus résistante dans les conditions climatiques de la région, on greffe une autre espèce sur elle afin qu’elle produise mieux. Cela s’appelle porte-greffe pour la première espèce et greffon pour la deuxième. C’est comme si quelqu’un qui veut cueillir une mangue n’arrivait pas à le faire à cause de sa taille. Il est alors obligé de monter sur les épaules de quelqu’un d’autre, de plus élancé pour y arriver. C’est cela le greffage.
Qu’est-ce qui justifie le choix des plantes que vous utilisez dans les différentes techniques ?
Le choix est motivé par la demande sur le marché. Les demandes les plus importantes concernent les agrumes, le safu, le mangoustan, la mangue. Ces produits sont très consommés dans la ville. Nos choix sont donc motivés par cette réalité.
Comment expliquez-vous l’intérêt des consommateurs pour un produit comme le safu ?
Le safu est très riche en une huile essentielle qui permet de lutter contre l’hypertension artérielle, plusieurs cancers comme celui du côlon ou du sein. Ailleurs, c’est le cas au Cameroun, on fabrique des chips de safu. Ici ce n’est pas encore connu. On fabrique du beurre de safu ailleurs, mais pas encore dans notre pays. Maintenant que nous sommes avancés dans ce que nous faisons, la saison prochaine nous pourrons fabriquer du beurre de safu. Non seulement c’est très succulent, mais cela permet de garder le safu un peu plus longtemps.
Et quelle est la valeur nutritive du mfumbwa ?
Le mfumbwa ? Les gens pensent que parce qu’il sort comme il entre, il n’est pas très nourrissant. Erreur ! C’est un aliment riche en fibres et les fibres contribuent à réduire le taux de cholestérol dans le sang. En régulant le cholestérol, il régule l’hypertension artérielle et beaucoup d’autres affections graves, dont le cancer. Il permet également de lutter contre le diabète, de réguler le bon fonctionnement du foie. Le mfumbwa et le dongo dongo sont même très recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour cela. Nous devons, par conséquent, en produire davantage.
Pensez-vous déjà à l’exportation de vos produits ?
ν Bien sûr ! Mais, à ce stade, on ne peut pas parler d’exportation parce que la demande locale est très forte. Nous devons d’abord beaucoup produire pour alimenter Kinshasa qui est vraiment dans le besoin.
Croyez-vous que l’agriculture congolaise arrivera un jour à nourrir toute la population ?
Nous n’avons pas besoin de dix ans pour y arriver. Si tout le monde pouvait faire ce que nous essayons de réaliser à notre niveau, les choses pourraient s’améliorer très vite. Je suis confiant parce que cette expérience nous l’avons déjà menée dans d’autres pays, à l’instar du Cameroun ou de la Côte d’Ivoire. Pourquoi elle ne marcherait pas ici ? Nous voulons et nous pouvons.
Dans votre centre vous semblez mettre l’accent sur une agriculture de contre-saison pour certains produits comme les fruits. Quelle en est la raison ?
C’est, une nouvelle fois, une question de l’offre et de la demande. Nous ne voulons pas produire la même chose que tout le monde, au même moment. Voilà pourquoi nous préférons la contre-saison. En réalité, ce que les gens ne savent pas du fruit c’est qu’à chaque saison, il y a une sorte de bactérie qui attaque le corps humain. Dieu a donc fait qu’il y ait des fruits dont la vitamine C est adaptée à la bactérie de chaque saison. Il est donc important de consommer beaucoup de fruits chaque saison. Nous pensons que nous pouvons tout produire en toute saison. Nous faisons des cultures de contre-saison pour des raisons alimentaires, mais aussi pour des raisons financières.
De plus en plus de pays africains vendent des terres à des étrangers plus fortunés. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes liés à la terre. Personnellement, je ne peux pas encourager de telles pratiques. J’aurais souhaité que cela se fasse en partenariat, en métayage. Après, la terre nous revient. Mais la vendre n’est pas souhaitable. On est sur une pente glissante.