Les peurs augmentent du fait que l’escroquerie qui règne dans ce pays rivera la majorité de sa population du partage équitable de la richesse générée par les riches réserves de gaz naturel.
À Dar es Salaam, les posters encadrés du président tanzanien Jakaya Kikwete sont en tête sur la liste des meilleures ventes au niveau de la rue, devançant les images du pape François, de Jésus, de Barack Obama et du père fondateur de la nation, Julius Nyerere. Ce n’est pas réellement une surprise, étant donné que tous les services gouvernementaux doivent avoir un portrait du président bien en évidence sur les murs. Pourtant, dans ce paisible pays encore pauvre d’Afrique orientale, le vendeur de posters Yanga Idrissa raconte que, s’il veut mettre ses posters de Kikwete sur les murs officiels, un certain degré de pratique déloyale est exigé. Il doit être prêt à vendre moins cher que les concurrents, et corrompre les fonctionnaires – et falsifier les reçus pour leur compte – leur permettant ainsi de déclarer des fausses dépenses. Même quand la vente a lieu à un poste de police.
« Ils disent que je dois les vendre à 30,000 shillings (9.59 livres), mais faire une facture au-delà de 45 000 pour que les 15 000 reviennent à la police », dit Idrissa qui, comme beaucoup de Tanzaniens interviewés dans la rue, a demandé d’office de l’argent pour répondre aux questions. En 2013, la Tanzanie était le deuxième plus grand bénéficiaire de l’aide étrangère en Afrique subsaharienne, recevant 3, 43 milliards de dollars des donateurs. Malgré des années d’une paix relative, et d’une croissance économique de plus de 5% par an durant la dernière décennie, les deux tiers de ses près de 49 millions d’habitants vivent encore dans la pauvreté.
La Tanzanie s’est retrouvée en bas de l’index de perception de la corruption de Transparency International, et occupe maintenant la 119e place sur 175 pays. Il y a des raisons de penser que la corruption officielle prend de l’ampleur, faisant craindre que les richesses du gaz naturel ne puissent pas se traduire en richesse générale. Ce ne sont pas des bonnes nouvelles pour un pays classé 159e sur 187 dans l’indice de développement humain.
À la fin de l’année dernière, les donateurs avaient suspendu une contribution de 490 millions de dollars pour soutenir le budget général après qu’on ait révélé que des ministres avaient siphonné plus de 180 millions de dollars à la banque centrale, en utilisant des comptes bloqués d’une société énergétique. « Lorsque ceci s’est produit, nous l’avons perçu comme la finale de la Coupe du monde. Et maintenant, les gens savent à quel point leurs dirigeants sont sales et corrompus », a déclaré un analyste international qui n’a pas souhaité être cité par peur de représailles pour avoir parlé sans détour.
Les Tanzaniens doivent élire un nouveau président et un nouveau Parlement en octobre et la combinaison d’une corruption bien établie et d’un environnement répressif croissant pour les activistes et la société civile inquiètent beaucoup d’analystes. Le parti Chama Cha Mapinduzi (CCM) dirige le pays depuis l’indépendance en 1961. « C’est comme un supermarché où 60% des produits sont volés sans que personne n’en sache rien et sans que quiconque ne soit pris », selon un défenseur international de l’environnement, qui avait précédemment reçu des menaces pour avoir parlé sans langue de bois du braconnage endémique.
La corruption est endémique : un recensement du gouvernement rendu public en juin a montré que la Tanzanie est au cœur de la crise de la crise de l’ivoire en Afrique, en perdant 60 % de ses éléphants en juste cinq ans. Entre 2009 et 2014, le nombre d’éléphants est passé de 109, 51 à 43, 330. Quand un taux annuel de naissances de 5% est pris en compte, le nombre de morts est de 85, 181. Le tourisme est le plus grand fournisseur de devises étrangères pour la Tanzanie, même si les découvertes de gaz naturel au large de sa côte méridionale pourraient se révéler lucratives à partir de 2025.
« Mon plus gros souci c’est de suivre l’exemple du Nigeria où très peu de gens s’enrichissent alors que la majorité reste aussi pauvre qu’elle l’était auparavant », déclare Zitto Kabwe, un homme politique de l’opposition et ancien président de la Commission parlementaire sur les comptes publics. Kabwe est préoccupé par « l’indifférence des institutions pour réduire la corruption » et un acte pétrolier est récemment parvenu au Parlement après la suspension de membres de l’opposition. Le ministre de l’Intérieur, Mathias Chikawe reconnaît que la corruption est un gros problème. « La corruption aveugle les gens alors qu’ils devraient garder les yeux ouverts. Nous voulons combattre cela plus qu’autre chose parce qu’elle annihile les efforts dans d’autres secteurs », dit-il.
Officiellement, des efforts sont menés pour enrayer la corruption. L’un des bâtiments les plus impressionnants de Dar es Salaam est le quartier général de l’agence anti-corruption, le Bureau de prévention et de la lute contre la corruption (PCCB). « Ce bâtiment a coûté au gouvernement la coquette somme de 4 milliards de shillings”, a déclaré le directeur général du PCCB, Edward Hoseah, juste après une cérémonie de remise d’ordinateurs par la Chine. Les ordinateurs avaient presque la même valeur que l’immeuble, et l’équipe du PCCB a dit avoir déjà assez de machines. Mais Hoseah a relevé que le Serious Fraud Office britannique et l’US Federal Bureau of Investigations avaient aussi de bons équipements. « Si vous voulez fasciner votre staff, le motiver, lui offrir le meilleur, et le gouvernement nous a donné le meilleur, et je pense qu’il devrait être applaudi », a-t-il dit. Les coûteux 4X4 encombrant le parking étaient aussi « sans importance » étant donné que le bureau était « en train de faire des progrès », a-t-il ajouté.
Un journaliste local qui a affirmé que le PCCB lui a payé 20 000 shillings pour des « frais de transport » afin qu’il vienne à la cérémonie – le double de ce que les éditeurs payent pour n’importe quel article – a dit qu’il était presque impossible d’obtenir la moindre information du bureau. Il a soutenu qu’il ne pourrait obtenir que des commentaires s’il a des sources gouvernementales pour lui filer un tuyau, de telle sorte qu’il puisse poser des questions très spécifiques. « Si vous leur faites face avec des faits, ils vont alors ouvrir leurs bouches », a-t- il indiqué. Pour Hoseah, contrairement aux journalistes, son travail n’est pas d’aller vers le public lors des enquêtes. Une attachée de presse du PCCB avait plus tard menacé avec un combinard trois journalistes internationaux de prison si « des articles dommageables » paraissaient. Elle avait traité les journalistes d’espions.
Semkae Kilonzo, qui est candidat au Tanzania’s Policy Forum, dit que plusieurs officiels de haut rang ont tendance à bénéficier de l’immunité contre toute poursuite, pendant que les efforts contre la corruption se focalisent sur les moins puissants responsables de districts. « Le PCCB a des représentants à travers tout le pays qui font la chasse aux médecins et aux infirmières pour avoir touché des pots-de-vin et c’est honteux », a dit l’analyste international. L’impunité même pour « les récidivistes » envoie un message « qui est sans risque pour détourner des fonds publics à grande échelle et l’État n’a pas d’autorité morale pour mettre en garde contre les méfaits », a dit Kilonzo, ajoutant que le public est de plus en plus choqué par la corruption mais qu’il ne s’est pas encore organisé pour agir.
De retour au PCCB, le journaliste qui avait été payé pour assister à la cérémonie semble résigné sur le sort du pays. « Avant le gaz, nous avions des diamants, nous avions la tanzanite, mais qu’est-ce que nous avons obtenu avec cela », demande-t-il, pendant qu’il attend pour prendre un transport en commun avec d’autres reporters de peur que le prix de la course en taxi n’entame ses « frais d’assistance » anti-corruption.
(Traduit de l’anglais par TSHITENGE LUBABU M.K.)