Né à Kinshasa, il fait partie de la génération montante du folk congolais. Pour se distinguer des autres, il a trouvé sa recette : le « folblues », où le folklore luba épouse le blues. Portrait.
«Je suis le père du folblues congolais », dit d’entrée de jeu Jacques Tshimankinda, un colosse d’environ deux mètre, natif de Bandalungwa, l’une des communes les plus chaudes de Kinshasa. Mais il n’aura passé que huit ans dans sa commune natale car son père, un homme d’affaires luba, décide de l’emmener à Mbuji-Mayi. Il y sera inscrit dans une école publique, le jeune Kinois apprend le tshiluba, la langue maternelle de son père et en même temps langue d’enseignement. Cette découverte de ses racines et de sa culture n’est pas sans effet: Jacques Tshimankinda se passionne pour une musique différente de tout ce qu’il avait l’habitude d’écouter à Kinshasa : le folklore luba. C’est un déclic!
Découverte d’une vocation
Mais son goût pour la musique vient surtout du fait que son père, un grand mélomane écoute aussi bien le blues, le jazz que la rumba. « Tout petit, mon père me faisait écouter les vinyles des chanteurs tels que B.B. King, Otis Redding, Ray Charles, Tabu Ley, Luambo Makiadi… », se souvient-il. Ces artistes renommés deviennent ses modèles et il se met à interpréter leurs chansons. « J’étais le seul de tous les enfants, alors que je n’avais que six ans, capable d’ « interpréter » facilement les chansons de ces stars. C’est à partir de là que mon père a détecté en moi le talent de chanteur », affirme-t-il. Et papa de le surnommer « Coach de mingongo ». « Pour lui, j’étais né sous l’étoile de la musique », explique Tshimankinda. Il se souvient également de ce que lui disait son père : « Tu deviendras un grand musicien et une grande star mondialement connue ».
Du rap au folblues : le tournant
En 1990, après la mort de son père, Jacques Tshimankinda, anéanti, regagne Kinshasa, la ville qui l’a vu naître. Le chagrin amène l’inspiration. Il écrit alors ses premiers textes pour exprimer sa déception et sa colère contre la nature qui lui a arraché très tôt un être cher. Un chanteur va ainsi naître, comme pour bien honorer la mémoire du père disparu. Le rap est le seul genre musical qui trouve grâce à ses yeux. De toute façon le rap est en train de gagner les cœurs des Kinois. En 1992, il devient donc rappeur. Une année plus tard, après avoir consolidé son art, Jacques Tshimankinda fonde un groupe, Danger public ennemi. Il appartient en même temps à un « clan » nommé Ngaliema City. Mais ce n’est qu’une étape car celui qui a pris « Doggy Will », comme nom de scène, se retrouve, en 1994, au sein du groupe Symphonie Rap et chante aux côtés de Didjack Munia et Chick Baby. Ensemble, ils se produisent dans plusieurs écoles et communes de Kinshasa. En 1995, regagnant son « clan », il réforme le groupe en System Tempo. C’est à cette époque qu’il enregistre alors son premier album intitulé « Dear Daddy » pour rendre hommage à son père.
Puis l’année suivante, il sort un single « Démangeaison ». Mais, en janvier 1999, Jacques Tshimankinda est kidnappé par des hommes armés qui le torturent et cherchent à lui ôter la vie. Il y échappe de justesse. « J’ai vu ma vie défiler devant moi », résume-t-il. Cette terrible parenthèse contraint le rappeur à marquer une pause dans sa jeune carrière. Le temps de la réflexion et du doute dure jusqu’à la fin de l’année. Il prend une décision radicale : tourner définitivement le dos au rap.
De cette épreuve, il ne s’est pas remis complètement. Jacques Tshimankinda exprime alors ses angoisses à travers le R’n’B. Il sort, en 2002, « Où ira mon âme ?», un album où il se pose des questions existentielles tout en se remettant en question. Il revient sur son kidnapping en se demandant de quel côté allait être son âme si ses bourreaux lui avaient ôté la vie. L’album, produit par une maison de disques anglaise, Mecho Production, est également distribué dans l’espace Schengen. Rapidement, Jacques Tshimankinda, dont la voix mélancolique rappelle le chanteur américain Robert Sylvester Kelly, alias R. Kelly, emballe jeunes et vieux. Il gagne du terrain et en notoriété.
De succès en succès
L’ascension de Jacques Tshimankinda débute en 2004. Avec son album « Où ira mon âme ? », il remporte le prix du meilleur chanteur au Festival Africa Revelation, organisé par Nescafé à Kinshasa. Cette même année, il est en tournée à travers le pays pour la promotion de son disque. Soucieux de parfaire son art, le chanteur se lance dans la recherche musicale. Et c’est à partir de là qu’il fait le rapprochement entre le folklore luba et le blues. Un genre de musique qui est né à partir des chants des esclaves africains déportés en Amérique. Pour lui, le blues tire son inspiration du folklore luba. Une conviction qu’il assume : « Cela n’engage que moi-même ». Convaincu par cette « découverte », il crée son style musical. Il le nomme le folbues, pour dire folklore luba-blues.
En 2006, sa rencontre avec la guitariste Monique Tenday, professeur d’histoire de la musique à l’Institut national des arts (INA), apporte une touche particulière au folblues. Ensemble, ils partagent la passion de la musique dite de recherche, du blues et de la musique traditionnelle. Grâce à son folblues, ce chanteur atypique est récompensé, en 2008, par l’ONG La Rose, à Matadi pour son implication dans la sensibilisation à la lecture en langue française et son engagement dans la protection de la nature. Il reçoit le diplôme d’honneur du prix Henry Morton Stanley. En décembre de cette même année, il est nominé meilleur chanteur toutes catégories confondues et remporte le plus grand trophée lors du Festival international de gospel de Kinshasa. Lauréat de ce festival, Jacques Tshimankinda enregistre, en 2009, l’album « Tshilobo » qui signifie vainqueur en tshiluba.
Cet album, totalement folblues, est riche en technicité vocale et ne laisse pas indifférents les mélomanes. En 2010, son travail artistique lui vaut un diplôme de valeur culturelle congolaise. Cette reconnaissance lui est remise par l’association Epurons la culture, engagée dans la promotion culturelle en collaboration avec le Programme national multisectoriel de lutte contre le sida (PNMLS). Grâce à la chaîne de télévision B-One, Jacques Tshimankinda est l’invité spécial du gouvernement congolais pour agrémenter la cérémonie consacrée à la présentation officielle du logo du cinquantenaire. « C’était un réel plaisir de chanter devant les autorités du pays, surtout que l’on reconnaissait mon travail », commente-t-il.
Le cheval de bataille
Sa thématique est basée sur la morale sur fond de messages bibliques. Jacques Tshimankinda affirme : « Je suis plus centré sur la morale à travers mes chansons. Mes thèmes sont la plupart du temps évangéliques. Je dénonce les violences faites aux femmes mais également l’esclavage ». Pour cet artiste, l’esclavage sous toutes ses formes n’a jamais été aboli. « Il y a encore des gens qui sont esclaves aujoud’hui, ici au Congo et partout dans le monde », regrette-t-il. Parlant de ses chansons, Jacques Tshimankinda déclare les avoir écrites lors de circonstances assez particulières : « « Touche pas à ma maman », par exemple, je l’ai écrite pendant mon tout premier voyage dans l’Est du pays. J’étais d’abord à Bukavu puis à Goma. C’est là que j’ai rencontré quelques femmes violées qui racontaient leur malheur. Parmi elles, il y en avait qui reconnaissaient leurs bourreaux et qui ne pouvaient pas les dénoncer. Je n’avais que ma musique comme arme pour faire entendre au monde les misères que vivent nos femmes congolaises. Je savais que je toucherais du monde avec la chanson », confie-t-il. Et de poursuivre : « Je l’ai donc jouée au Centre culturel français ici à Kinshasa, et à la résidence de l’ambassadeur du Royaume – Uni, en présence de la star américaine Angelina Jolie ». Marié et père de deux enfants, Tshimankinda rêve de redonner à la culture congolaise la place qui lui est due.