Éviter le syndrome de Tshikapa

Ailleurs, les autorités ont profité de l’exploitation des matières premières pour diversifier leurs économies en construisant des infrastructures, des commerces, des industries de transformation… Mais en RDC, on ne semble pas tirer de leçons pour le futur

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La RDC a été longtemps le premier producteur mondial de diamants. Cette place de choix, il la doit en grande partie à la ville de Tshikapa, dans la future province du Kasaï. De 1970 à ce jour, plus de 90 millions de carats de diamants de joaillerie produits Tshikapa, selon les statistiques du ministère des Mines. Et ce qui devait arriver arriva : l’usure des mines de diamants. Mais bien avant l’épuisement de ces gisements, les diamants y extraits, d’une valeur de 10 milliards de dollars n’ont pas permis à la ville et ses environs de se développer un tant soit peu. Quand à la population,  elle n’en a tiré aucun profit : Pas un seul kilomètre de routes asphaltées, pas d’écoles viables, pas d’hôpitaux, pas d’eau potable ni d’électricité, pas d’infrastructures de base.  : C’est le syndrome de Tshikapa , qui illustre parfaitement le paradoxe congolais : un sous-sol riche avec une population misérable.

 Syndrome de Tshikapa dans l’ombre du syndrome de Stockholm

Beaucoup de Congolais ne connaissent pas le syndrome de Tshikapa. Mais ils ont certainement entendu parler de celui dit de Stockholm, tiré d’une prise d’otages dans la ville éponyme qui avait vu la victime s’éprendre de son bourreau. Le syndrome de Tshikapa est en fait une déclinaison congolaise de la mauvaise gestion des ressources minières. Et la ville de Tshikapa en est le symbole parfait. Le syndrome de Tshikapa est également révélateur de la gestion catastrophique de l’après-mines. On ne le dira. L’abondance des ressources minières fait souvent perdre de vue que ces ressources naturelles sont épuisables. Tshikapa est là pour  le rappeler.

Il accrédite la théorie de la « malédiction des ressources naturelles » qui postule que les ressources naturelles, loin d’apporter bien-être et prospérité aux populations, charrient guerres, misère et pauvreté. Fausse théorie car les ressources naturelles n’ont pas de valeur morale, tout dépend de l’usage qu’on en fait. Et d’ailleurs, plusieurs pays ont bâti leur prospérité en s’appuyant sur leurs ressources naturelles, minières, gazières et pétrolières notamment.

La Californie, un modèle réussi de l’après-mines

La RDC doit s’inspirer de l’État de Californie, aux États-Unis, modèle en matière de gestion des ressources naturelles. Les villes de San Francisco et de Sacramento, grâce à l’or découvert en 1848, Los Angeles, pour son pétrole découvert en 1920, ont radicalement transformé l’économie de la Californie et des États-Unis. Pendant que l’industrie aurifère et pétrolière tiraient la croissance de la Californie, les autorités en ont profité pour diversifier leur économie en construisant des infrastructures (route, rail, etc.), des universités, des musées, des commerces, des industries de transformation…. Ce qui fait que une fois les gisements épuisés, l’activité économique a poursuivi sa progression. En Californie, par exemple, l’après-mines fut préparée par la réalisation de deux infrastructures majeures, selon Léonide Mupepele, un expert en mines. Les Américains construisirent, en 1869, la transcontinentale, un  chemin de fer reliant l’Est à l’Ouest. Ils percèrent aussi le canal de Panama, en 1914, qui relia par la mer la côte Est à l’Ouest de ce pays continent. Avec ces deux infrastructures, les jalons d’une économie florissante étaient jetés.

Ainsi se développa une véritable industrie touristique, une industrie agricole, et une industrie cinématographique, notamment. La Californie avait un autre atout : la démographie. Avec 30 millions d’habitants parmi lesquels une main-d’œuvre abondante et qualifiée, elle a su rapidement tirer son épingle du jeu en exploitant judicieusement ses ressources naturelles. Aujourd’hui, son économie représente 13% du PIB américain. C’est donc l’État le plus riche des États-Unis. Dans l’absolu, la Californie est donc le contre-exemple de Tshikapa. Plus près de nous, l’Afrique du Sud,  doit son leadership économique à ses innombrables ressources naturelles. En 1913, elle produisait jusqu’à 40% de l’or mondial grâce à sa mine de Witwatersrand,  où le métal jaune fut découvert en 1886. L’industrie aurifère a fait de Johannesburg un carrefour de l’Afrique australe grâce à ses infrastructures : aéroports, chemin de fer, musées (18), industries, manufactures, bourses de valeurs et zoo (54).c’est aussi le cas du Botswana un exemple qui interpelle car ce pays s’épanouit avec son diamant dont il est le troisième  producteur au monde. Or la RDC fut pendant des décennies le premier producteur au monde de diamants grâce, notamment, à la ville de Tshikapa.

Genèse du drame de Tshikapa

Loin de s’inspirer de ces modèles, la RDC a pris le chemin inverse. Et l’exemple de la ville diamantifère de Tshikapa est symptomatique à plus d’un titre. Comment avec tant de ressources tirées de son sous-sol, le pays n’a pas pu bâtir une économie intégrée qui fasse que, après l’usure des mines, cette ville kasaïenne continue à tourner ? «Rien n’a été entrepris pour favoriser le développement du district minier de Tshikapa», se désole Léonide Mupepele, et ancien patron du Centre d’évaluation, d’expertise et de commercialisation des substances précieuses et semi-précieuses (CEEC).

Le  malheur de Tshikapa a commencé avec le départ, en 1968, de la Forminière,  qui exploitait le diamant de manière industrielle. Vide mal comblé par Britmond, en 1974, qui  se lança dans l’exploitation artisanale de la pierre précieuse. Le mouvement fut amplifié par la libéralisation de l’exploitation artisanale, en 1982, décidée par le gouvernement d’alors. Toutes ces décisions ont provoqué une catastrophe économico-sociale dans le district minier de Tshikapa.

Les stigmates de cette catastrophe sont visibles dans tout Tshikapa : absence d’infrastructures (routes et énergie),  manque d’intérêt de la population pour les activités agropastorales, abandon de l’école  par la jeunesse locale et afflux massif d’expatriés à la recherche de gains faciles.

Plus de 90 millions de carats extraits

Après l’épuisement de ses gisements de diamants, Tshikapa est restée enclavée car il n’a aucun kilomètre de route asphalté et tout son réseau routier, en terre battue, est dégradé. Il fut un temps où l’aérodrome de Tshikapa accueillait par jour douze vols cargo des aéronefs de type Antonov. Mais aucun accent ne fut mis sur le réseau routier. Tous les bâtiments hérités de la Forminière sont en décrépitude. Les 28 maisons et l’Hôpital général sont en ruines. Même la centrale hydroélectrique de Lungudi fonctionne mal car en surcapacité. Bref, à Tshikapa, les diamants n’ont servi à rien.

Loin d’être un cas isolé, le syndrome de Tshikapa s’est propagé dans les autres zones minières : Maniema, Katanga, Nord et Sud-Kivu ainsi qu’en Province Orientale.  L’artisanat minier mal encadré, qui a envahi les concessions minières des grandes sociétés industrielles d’autrefois, est un véritable gâchis qui entraîne la pollution des rivières et dont la contribution aux finances publiques est quasi nulle.

Le syndrome de Tshikapa est loin d’être une fatalité. Il suffit de diversifier, pendant qu’il est temps, l’économie avec les revenus de l’exploitation des ressources naturelles. En mettant l’accent sur  les infrastructures de transport. La recette du Botswana est aussi intéressante : transparence et  bonne gouvernance. Ce pays d’Afrique australe est le moins corrompu du continent. Il est surnommé le « miracle africain » ou encore « l’exception africaine ». La bonne administration du code minier de 2002, qui respecte  notamment la clé de répartition de la redevance minière (taxe la plus importante) entre l’État et la province, la province et la localité d’où  sont extraits les minerais, est une réponse adaptée pour mettre fin au syndrome de Tshikapa.