En dépit du moratoire pour la conversion des titres forestiers et de l’aide logistique de l’Union européenne afin d’y mettre un terme, l’évasion des recettes se porte bien. Et les pertes pour le pays sont colossales.
L’enquête diligentée par le ministère de l’Environnement sur l’exploitation du bois, qui fut réalisée entre janvier 2010 et août 2012, est toujours d’actualité. Elle a révélé un manque à gagner de 5 millions de dollars en termes d’évasion des recettes. Trois ans après, la perte pourrait être plus importante. Quoi qu’il en soit, la Banque mondiale estime la perte pour les pays forestiers à quelque 15 milliards de dollars. Pour remédier à cette situation, l’Union européenne (UE) apporte une aide logistique à la République démocratique du Congo pour qu’elle puisse mieux contrôler son industrie forestière. Concrètement, l’UE a doté la Direction du contrôle et de la vérification interne du ministère de l’Environnement de panneaux solaires, dix-huit motos, deux canots rapides, des caméras, des appareils photographiques…
Mais le problème dans ce ministère, comme dans toute l’administration congolaise, n’est pas tant celui des moyens techniques que de l’homme. Il a été observé, dans le chef des inspecteurs forestiers, un laxisme motivé par la recherche de gain et le manque de capacités opérationnelles sur le terrain, indiquent plusieurs rapports du ministère de l’Environnement et de la Conservation de la nature.
Les mêmes rapports ajoutent que la République démocratique du Congo n’est pas encore en mesure d’établir des statistiques fiables relatives à l’exploitation forestière illégale.
Toutefois, le volume de bois provenant de cette exploitation est de loin supérieur à l’ensemble des bois produits par l’exploitation industrielle légale.
Permis de complaisance
La fraude documentaire revêt des formes différentes selon qu’il s’agit de l’exploitation artisanale ou industrielle. L’administration est fortement impliquée dans cette fraude notamment à travers l’émission de plusieurs permis de coupe en faveur d’un même exploitant, sinon d’un seul permis pour plusieurs exploitants. L’exploitation artisanale pose plus de problèmes documentaires à cause des contraintes liées à son exécution. Les dispositions relatives à l’exploitation forestière prescrivent que celle-ci est effectuée par des exploitants, personnes physiques, agréés, titulaires de plus de deux permis de coupe artisanale par an. Et la coupe ne s’effectue exclusivement que dans les forêts des communautés locales.
Cependant, nombre de détenteurs de permis de coupe artisanale de bois sont plutôt des personnes morales, des grandes entreprises. Certaines sociétés comme Medrada, Forest Pro, CAB, Groupe Ondika Business Trading ont été indexées à un moment. La société MLB a, quant à elle, acquis des autorisations d’achat et de vente de bois qu’elle a unilatéralement transformées en permis de coupe. La société chinoise Xunbang dispose même de plus de deux permis de coupe artisanale délivrés par un ancien ministre de l’Environnement. Depuis 2003, la production artisanale du bois varie entre 1,5 et 2,4 millions de m³, soit cinq à huit fois plus que la production officielle du secteur industriel formel. En ce qui concerne l’exploitation industrielle, la fraude documentaire porte particulièrement sur la forme du contrat de concession forestière. Le code forestier prévoit que le contrat de concession soit approuvé par un décret présidentiel lorsque la forêt à concéder dépasse une superficie totale de 300 000 hectares. Aussi, il faut une loi lorsque la superficie à concéder est supérieure à 400 000 hectares. Mais les sociétés telles que ITB qui dispose d’une concession de 688 191 hectares, Trans-M (553 670 ha), Soforma (550 198 ha) ou encore Sodefor (416 809 ha) n’ont jamais respecté cette procédure. L’État s’est totalement désengagé de la Sodefor, société d’économie mixte, en vendant pour 2 millions de dollars ses 17% de parts.
Des exigences ignorées
Et quoique exigés par le code forestier, la majorité d’exploitants de bois affirment ne pas avoir des documents comme le carnet de chantier, le permis de circulation, le bordereau de dépôt et les déclarations trimestrielles du volume de bois exploité. Or ces documents permettent d’établir la traçabilité de ce qui a été exploité. Si bien que, une le bois scié et vendu, il est quasiment impossible de chiffrer le volume ou encore d’avoir la moindre idée sur les essences coupées (afromosia, wenge, tola…). Par conséquent, l’administration forestière ne peut percevoir comme il se doit droits, taxes et redevances y relatifs. Par ailleurs, en République démocratique du Congo, il ne devrait y avoir que deux catégories d’exploitants industriels. D’une part, les détenteurs de conventions portant octroi de la garantie d’approvisionnement en matière ligneuse et de lettres d’intention dont les titres ont étés convertis et qui ont signé avec le ministère de l’Environnement (gouvernement central) des contrats de concession forestière. Et, d’autre part, les détenteurs de titres convertis mais qui n’ont pas encore signé de contrats de concession forestière.
Provinces rebelles
Depuis plusieurs années, l’État s’est interdit d’octroyer, de renouveler ou encore d’étendre des concessions forestières. Il a pour ce faire engagé un processus de conversion des anciens titres forestiers en contrats de concession forestière, en étendant le moratoire en matière d’octroi des titres d’exploitation forestière jusqu’à la publication des résultats définitifs du processus de conversion des titres et de zonage. Ce moratoire couvre également toute acquisition de droit d’exploitation, y compris par échange, relocalisation ou réhabilitation d’anciens titres. Mais dans l’industrie du bois, l’autorité de l’État est bafouée avant tout par ceux-là mêmes qui devraient la rendre effective : les administrations provinciales de l’Environnement, les gouverneurs de provinces, et même le ministère de tutelle, lit-on dans un rapport du ministère de l’Environnement. Dans cette ambiance où tout le monde commande et où personne n’obéit, il serait illusoire d’escompter ne serait-ce qu’un semblant de contrôle par l’État, en dépit de l’appui logistique de l’Union européenne.
Certes, le ministère de l’Environnement dispose d’une liste à jour des exploitants industriels de bois regroupés au sein d’une fédération nationale, qui est une branche de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Mais la réalité est qu’au-delà des exploitants officiels, il y a de gros braconniers, des raseurs de forêts qui échappent à tout contrôle ou, plutôt, qui jouissent de la protection et de la complicité quasiment à tous les niveaux de l’appareil d’État. Entre 2011 et 2012, la Compagnie africaine de bois (CAB) qui opère autour du lac Tumba, dans la province de l’Équateur, a bénéficié de six permis d’artisanaux; la Compagnie d’exploitation de bois d’Afrique (CEBA) qui rase la forêt dans le Bandundu, s’est retrouvée avec quinze permis de coupe artisanale. Au Katanga, les directives de Kinshasa sont superbement ignorées. Le gouvernorat de la province a, par exemple, octroyé à l’entreprise Katanga Wood Processing un lot de permis pour couper des arbres dans la forêt de Kasomeno. Aucune de ces entreprises n’aurait dû avoir de permis de coupe, conclut l’enquête.