L’Afrique va bien. C’est à la fois une conviction, pour Matthias Leridon, et le titre d’un essai publié en 2010. Le PDG de Tilder, conseil en communication de grandes entreprises, est un afro-optimiste convaincu. Il l’est depuis l’âge de 14 ans, quand en atterrissant à Ouagadougou dans le cadre d’un voyage humanitaire, il éprouve un choc décisif : « J’avais l’impression que je rentrais chez moi. » Difficile d’imaginer ce grand communiquant BCBG se sentir « chez lui » au Burkina Faso.
Sa profession de foi fait sourire ? Elle n’en semble pas moins sincère. Pour lui, l’Afrique ne se résume pas à une litanie de fléaux, entre malnutrition, épidémies, guerres civiles ou corruption. « Je pense que l’Afrique peut nous apporter beaucoup », insiste-t-il. Récemment, il a créé la société Cape & Cape, qui propose une sélection de Rooibos, thé sans théine directement acheté auprès de producteurs africains dans le respect du commerce équitable. Sa femme Gervanne, qui a vécu en Côte d’Ivoire de l’âge de 4 à 6 ans, partage son credo : « Le monde ne peut se développer sans l’Afrique. C’est le continent de l’avenir », dit-elle.
Pour donner « un sens et un futur » aux Africains malgré tout démunis, le couple a lancé en 2009 le fonds de dotation African Artists for Development, qui octroie entre 800 000 et un million d’euros à des actions humanitaires et culturelles. L’idée ? « Soutenir des projets concrets, précis et courts avec des populations qui se prennent en main », précise Gervanne Leridon. Au Burkina Faso, ils épaulent un centre d’hébergement thérapeutique pour femmes et enfants atteints du Sida. En République démocratique du Congo, ils ont financé le forage de trois puits dont la propriété et la gestion ont été confiées aux femmes du village de Makwacha. Dans les camps de réfugiés, ils utilisent la danse pour favoriser un dialogue entre différentes ethnies. Au Bénin enfin, ils ont fait don de mini-bibliothèques.
« L’art occidental, je le trouve sec, beaucoup moins magique ». Gervanne Leridon
Mais les Leridon ont retenu de l’écrivain Edouard Glissant que « les faibles et les dominés ont un pouvoir de contamination fantastique ». Et cette contagion passe par l’art. Pour Gervanne Leridon, le déclic s’opère en 1989, avec Les Magiciens de la terre, l’exposition-jalon organisée au Centre Pompidou et à la Villette. Pour la première fois, une grande institution française présentait des artistes africains. « J’ai découvert soudain quelque chose de volontairement narratif, coloré, qui fait appel à l’émotion, confie-t-elle. L’art occidental, je le trouve sec, beaucoup moins magique ». Pour son mari, l’art africain est tourné vers l’avenir. « Ce n’est pas dépressif, testamentaire, ajoute-t-il. Pour les Africains la vie est toujours plus forte que la mort, que les drames humains ».
Depuis 2000, le couple sillonne le continent à la recherche de nouveaux créateurs. Et achète au coup de cœur. Leur premier tableau, L’Espoir fait vivre de Cheri Samba, sonne comme un lointain prélude à L’Afrique va bien. Même si le duo, marié depuis 2004 est en osmose, chacun a son droit de veto – « Je n’aime pas Marlene Dumas et je n’en aurai pas », affirme Matthias – et ses dadas : une prédilection pour le textile pour Madame, 47 ans, un goût immodéré pour la peinture kinoise pour Monsieur, 53 ans.
En quinze ans, ils ont réuni près de 2 000 œuvres, avec des figures désormais établies comme Frédéric Bruly Bouabré, les Sud-Africains William Kentridge, Guy Tillim, la star ghanéenne El Anatsui, mais aussi des noms moins connus comme Gonçalo Mabunda ou Rigobert Nimi. La majorité des pièces se trouve dans leur appartement parisien. D’autres tapissent les quatre étages de bureaux de Tilder, dans le 8e arrondissement où, dès l’entrée, une grande photo du Sud-Africain Pieter Hugo accueille les visiteurs. On y voit un homme nimbé d’une brume, indécis.
Le cliché a été pris sur une décharge de produits informatiques au Ghana. En 2012, Matthias Leridon en a fait la carte de vœux de sa société, un choix culotté que ses clients n’ont pas tous apprécié.
Jusqu’à présent, les Leridon avaient peu dévoilé leur ensemble : des prêts à l’exposition Africa Remix, des bribes en 2010 pendant la foire Art Paris. Leur rêve serait de l’exposer en Afrique.
« C’est important que les artistes africains ne soient pas systématiquement exposés en dehors de leur continent, insiste Gervanne Leridon. Il faut que cet art circule, qu’il ne soit pas uniquement à destination de l’Occident mais reconnu par les Africains ».
que l’exposition débute en Afrique, « et non qu’elle vienne y mourir après avoir fait le tour ailleurs ». En attendant, ils organisent du 4 au 24 novembre au Théâtre de Chaillot l’exposition « Lumières d’Afrique », en prélude de la Conférence sur le climat (COP21). Cinquante-quatre artistes africains ont été conviés à créer une pièce sur le thème de la lumière, un sujet crucial dans un continent où 621 millions d’habitants n’ont pas accès à l’électricité.