À l’image de l’enseignement en général, cette filière connaît une descente aux enfers inédite. La sauver est une gageure : la volonté et les moyens manquent.
Dans les milieux « scientifiques » congolais, c’est une évidence : il faut repenser l’université et son corollaire, la recherche scientifique. Or, cela n’a jamais semblé être la préoccupation des dirigeants. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur la part de la recherche dans le budget de l’État : moins de 1%. Pourtant, dans plusieurs pays du Sud, ce secteur bénéficie de l’attention des pouvoirs publics au point d’obtenir 10% du budget national. En RDC, la Conférence nationale souveraine avait, au début des années 1990, pris une résolution pour mettre en place une nouvelle politique scientifique.
Plus de deux décennies après, rien n’a été fait pour concrétiser cette option. Au contraire, la recherche s’est enfoncée davantage dans le gouffre. Au ministère de la Recherche scientifique et de la Technologie, un de ses conseillers, Pierre Bukasa, assure pourtant la main sur le cœur, que cela pourrait se concrétiser dans les prochains jours. Il explique qu’un plan national de recherche scientifique et de développement technologique sera bientôt présenté au public.
Retour à l’histoire
Pierre Bukasa rappelle que les états généraux de l’Enseignement supérieur, universitaire et de la Recherche scientifique avaient été organisés à Zongo, dans le Bas-Congo, en 2005. Le constat qu’y avait été fait, est que le pays n’a pas de politique nationale de recherche scientifique. C’est ainsi que, à l’issue de ces assises, une commission avait été mise en place pour son élaboration. Les conclusions de cette commission de travail ont été remises, en avril dernier, au ministre de la Recherche scientifique et de la Technologie. Pour le moment, des copies de ce document ont été envoyées dans toutes les provinces pour enrichissement. Pierre Bukasa ajoute que depuis 2005, un expert de l’UNESCO et deux experts nationaux ont travaillé en collaboration pour la confection de ce document, et qu’un forum national sera convoqué très prochainement pour valider la version finale de ce document.
État des lieux de la recherche
Le ministère de la Recherche scientifique et de la Technologie a dans ses attributions la coordination, le financement, le contrôle et la planification de la recherche. Par rapport au Plan de Lagos de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de 1980 et auquel la RDC a adhéré, l’État doit allouer au moins 1% du budget national à la recherche. Cependant, le gouvernement congolais n’y consacre que 0,30% de son budget. Sont-ce les moyens qui manquent ? En 2010, la part de la recherche représentait environ 18 millions de dollars. Or les besoins en financement sont toujours importants. Le directeur général du Centre de recherche géologique et minière (CRGM), Valentin Kanda, indique, par exemple, que son organisme n’a pas les financements qu’il faut pour pouvoir mettre à la disposition du gouvernement des données fiables.
Outre le problème du financement de leur fonctionnement, les centres et instituts nationaux de recherche sont dans un état d’abandon total, et ressemblent à des simples administrations. Selon un agent du Conseil scientifique national, la plupart des laboratoires qui existent sont vétustes, tandis que certains centres en manquent même. Mais il n’y a pas que cela : les salaires du personnel administratif et scientifique sont à l’image de ceux de la Fonction publique. Ils suffisent juste pour le ménage. Pour faire leur travail, les chercheurs doivent recourir à des organismes internationaux. Souvent, quand les programmes de recherche ne correspondent pas aux canons occidentaux, il est difficile d’obtenir une bourse de recherche de l’étranger. Les difficultés sont les mêmes pour les chercheurs d’autres ministères comme celui de la Santé publique ou celui de l’Enseignement supérieur et universitaire.
À ce sujet, le directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) de la faculté des sciences économiques de l’Université de Kinshasa (UNIKIN), Mathias Nzanda Buana Kalemba, a, lors d’une matinée scientifique d’éveil de la recherche, organisée, fin août, invité le gouvernement et les partenaires nationaux et internationaux à financer la recherche. Selon lui, l’avenir du pays en dépend. « Cet appui permettra d’équiper et de moderniser les laboratoires et les bibliothèques en vue de répondre à la triple mission de l’Université qui est l’enseignement, la recherche et les services à rendre à la société », a-t-il déclaré. En décembre 2014, le directeur général de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB), Jean Jacques Muyembe Tamfum, avait déploré le fait que son institution ne reçoive pas souvent l’aide du gouvernement.
L’appui du gouvernement
Selon Pierre Bukasa, le ministère de la Recherche scientifique et de la Technologie s’occupe aussi bien de la recherche fondamentale que de la recherche ciblée. Toutefois, l’accent est surtout mis sur les sciences appliquées parce que les résultats obtenus ont pour objectif d’appuyer les efforts de reconstruction et de développement du pays. Actuellement, le gouvernement verse des frais de fonctionnement aux centres de recherche. Mais ce sont des moyens modestes qui ne permettent pas de faire de la recherche. À l’Institut géographique national (IGN), par exemple, les financements font cruellement défaut notamment pour les études cartographiques et géographiques. José Dola, agent à l’IGN, indique que le gouvernement a recruté un cabinet de renommée internationale pour aider cet institut à mettre à jour ses données.
Parmi la trentaine d’instituts et centres publics de recherche, il y a l’Institut national pour l’étude et la recherche agronomiques (INÉRA), le Centre de recherche nucléaire, l’Institut africain d’études prospectives (INADEP), le Centre de recherche agro-alimentaire, le Centre de recherche en sciences humaines (CRESH), l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS), etc. Plusieurs autres centres et instituts de recherche fonctionnent dans le cadre des universités et instituts supérieurs. Ce qui donne un total de 350 établissements publics et privés. Au forum sur l’éveil de la recherche, Labana Lasay’Abar, recteur de l’UNIKIN, et Mathias Nzanda Buana Kalemba ont appelé leurs collègues, les chefs de travaux et les assistants à publier au moins une fois par an. Jusque dans les années 1970, rappelle Nzanda Buana Kalemba, l’UNIKIN était dans le peloton de tête des universités africaines, avant de tomber trop bas, à la 900ème place, avant de remonter à la 153ème. Cela demande beaucoup d’efforts et de soutien de la recherche pour relever les défis, insiste Nzanda Buana Kalemba.
Les initiatives de relance
Malgré la crise de la recherche consécutive à la crise économique, certaines structures encouragent la culture de la recherche scientifique en appuyant les efforts des chercheurs. C’est le cas de l’ONG Investing in People qui organise la « Semaine de la science et des technologies » pour pousser les jeunes à s’intéresser à la recherche scientifique. Raïssa Malu, responsable de cette organisation, s’emploie à vulgariser le travail fait dans les écoles, les universités et les centres de recherche du pays. Même avec les moyens de bord, des chercheurs congolais étonnent par leur génie créateur. Par exemple, la première tablette et le premier smartphone conçus en RDC ont été présentés en juillet au ministre de la Recherche scientifique et de la Technologie. Ces appareils aux applications dénommées Motema, œuvre de Dieudonné Kayembe, prennent en compte les réalités congolaises dans le domaine de l’éducation, de la linguistique, etc. D’autres chercheurs, à l’instar de ceux qui ont fabriqué le « robot-roulage » ou qui ont créé des logiciels comme Stérocompte, sont toujours en quête de perfectionnement.
En séjour à Kinshasa, au mois de juillet, le président du Fonds international pour le développement agricole (FIDA), Kanayo Nwanzo, a annoncé au ministre de la Recherche scientifique et de la Technologie, Damien Madimba l’intention de son organisme de financer plusieurs projets de l’INÉRA et de former les chercheurs congolais. Pour sa part, le directeur général d’Africa Rice, Harold Roy Macauley, est venu à Kinshasa, toujours en juillet, pour signer un partenariat avec le gouvernement. À la suite de la situation socio-politique du pays dans les années 1990, la plupart des partenaires dans le domaine de la recherche avaient levé le pied, considérant que les fonds étaient détournés de leur fonction initiale. Parmi ces partenaires techniques financiers figurent le PNUD, la FAO et la BAD.
À quand la Cité de la science?
Ministre de la Recherche scientifique à l’époque de la transition politique 1+4, Joseph Lititiyo Afata avait pris l’initiative de construire la Cité de la science. Chargé de projets environnementaux dans l’Initiative du Bassin du Nil (IBN) qui regroupe dix pays africains, avant sa nomination comme ministre, Joseph Lititiyo Afata s’était assigné également deux objectifs majeurs : la création d’un fonds d’appui à la recherche scientifique et technologique et le réchauffement du Conseil national scientifique.
À son avènement, Lititiyo avait fait tôt de redresser une injustice. Il a demandé au gouvernement que le même barème salarial appliqué à l’Enseignement supérieur et universitaire (ESU) soit accordé à la Recherche scientifique. Il avait aussi fait part de sa préoccupation de sortir les centres de recherche du fonctionnariat en leur dotant des moyens de fonctionnement conséquents. Pour la mise en pratique de ces projets de redynamisation de la recherche scientifique, il entrevoyait des mécanismes indépendants générateurs de ressources en vue de l’auto prise en charge des activités de recherche scientifique.
La Cité de la science devait être construite sur la concession de l’Institut géographique national, sur le boulevard du 30-Juin. L’idée de Lititiyo était d’y installer tous les centres de recherche, du moins ceux qui n’ont pas d’infrastructures. «Le Conseil national scientifique existe déjà, mais je pense qu’il faut le rendre opérationnel », avait-il estimé. En 2009, les lignes budgétaires prévoyaient la réhabilitation des bâtiments des centres et instituts de recherche, l’équipement ainsi que les frais de fonctionnement. Des actions ont été menées, mais elles restent marginales.