Ah, qu’il est loin ce temps où écrire une lettre faisait partie de nos habitudes ! Ah, qu’il est loin ce temps où l’on apprenait la calligraphie, où l’on apprenait la grammaire, la conjugaison, la stylistique, la rédaction pour tout dire ! Le temps où l’école représentait un lieu d’apprentissage, de formation, de transformation, d’acquisition du savoir, du savoir-penser, du savoir-s’exprimer, du savoir-faire. Aujourd’hui, on n’apprend non plus à parler mais à crier ; non plus à rédiger mais à aligner des pictogrammes et des formules alambiquées sur des smartphones et autres bidules de la « modernité ».
Comme la plupart d’entre vous, j’ai depuis longtemps renoncé à louer une boîte postale. En effet, depuis l’avènement et l’invasion des nouvelles technologies de l’information et de la communication, mes correspondances se font essentiellement par messagerie électronique. Et lorsqu’il s’agit de paquets et de colis à envoyer ou à recevoir, je m’adresse, comme la plupart d’entre vous, à ces maisons de plus en plus nombreuses qui se sont spécialisées dans le fret, aérien ou maritime.
Imaginez donc tout mon étonnement, toute ma surprise, lorsqu’un matin, juste au moment où je m’apprêtais à sortir de chez moi, l’on vient m’annoncer la visite d’un facteur, d’un agent de la poste ! Ma première réaction a été de penser avoir affaire à un importun ou à un plaisantin, voire un mendiant déguisé.
– Bonjour, Monsieur ! Que puis-je faire pour vous ? (J’essaie de me montrer poli).
– Bonjour ! Je suis un agent de la poste. Je viens vous remettre votre courrier puisqu’on vous l’a envoyé à votre domicile.
– Ah bon, vous êtes certain qu’il s’agit bien de moi ? Faites-moi voir un peu.
– Bien sûr, après que vous m’aurez apposé une signature ici. Voilà !
L’homme n’est plus tout à fait jeune, la cinquantaine en apparence. Rien qui, de sa mise, prouve sa qualité d’agent de la poste, excepté le vélo aux couleurs de son entreprise et qui lui permet de se déplacer. Je fais ce qu’il m’a demandé et récupère le pli, curieux de découvrir l’expéditeur qui a eu le culot de s’adresser à moi de la façon la plus inattendue. Mais avant tout cela, il me faut libérer mon facteur. Il ne réclame rien, mais il ne manifeste pas non plus le moindre empressement à remonter sur son engin et à repartir. Je comprends alors qu’il a besoin d’un bon pourboire. Mais comment le lui donner avant de savoir ce que contient exactement la grosse enveloppe ? Et s’il s’agissait d’une paperasse sans valeur aucune ?
Le pli, je n’en reviens pas, provient de l’étranger, de France plus exactement. Deux mois plus tôt, j’avais demandé à une relation en partance pour Paris de me poster le manuscrit d’un ouvrage que je désirais faire publier auprès d’un éditeur français. Je ne sais pas pourquoi j’avais mentionné l’adresse de mon domicile sur la lettre accompagnant l’envoi. On me retournait donc le manuscrit avec la lettre m’expliquant pourquoi l’éditeur n’avait pas jugé bon de le retenir, etc.
Ainsi notre Poste existe encore ! Cette découverte m’a beaucoup amusé et intrigué à la fois. Elle m’a amusé car cette performance postale constitue un cinglant démenti à propos de tout ce qui se raconte sur notre entreprise postale. Mais que serait-il advenu si le pli avait contenu un objet de valeur ? Je pense que c’est pour m’être posé et reposé ce genre de questions que je me suis décidé à aller faire un tour au grand bazar qui se dresse sur le boulevard du 30-Juin, en plein centre-ville. Un bazar qui résiste tant bien que mal aux vicissitudes du temps, et qu’on s’acharne à cantonner dans l’exploitation des services quasiment moribonds.
Pourquoi l’État, propriétaire, je suppose, du bâtiment ne le cèderait pas à un privé pour qu’il le transforme de fond en comble en un bel immeuble de services et de commerces, en n’oubliant pas, dans le lot, sa mission d’origine ? L’emplacement est superbe, stratégique. Le bâtiment rénové et transformé contribuerait à embellir grandement la ville, à renflouer les caisses du Trésor public, et à occuper plus dignement et utilement les centaines d’agents qui passent leur temps à se tourner les pouces dans ce mastaba poussiéreux et menacé de délabrement.