Pour pénétrer le marché congolais, en carence structurelle de ciment, le leader du marché sud-africain, PPC s’est associé à Barnet Group. Cette association a donné naissance à l’un des projets industriels le plus ambitieux en République démocratique du Congo dans le secteur du ciment. Une cimenterie d’une capacité de 1 million de tonnes par an est en construction dans le territoire de Songololo, au Kongo-Central. Coût de l’investissement : 280 millions de dollars. PPC Barnet deviendra ainsi l’un des leaders du marché du ciment en RDC. Le début de la production est prévu pour la fin de l’année 2016. Business et Finances a rencontré le directeur exécutif de l’entreprise, chargé des relations avec le gouvernement.
Business et Finances : Quel est, selon vous, l’état de santé du secteur du ciment en République démocratique du Congo ?
Leny Ilondo : Il y a plusieurs études économiques à ce sujet. La RDC est à couper en quatre zones (Est, Ouest, Centre et Sud). Les besoins en ciment sont énormes car le pays est en phase de reconstruction. Qui dit modernisation dit forcément ciment. On ne peut pas moderniser un pays, une ville ou une agglomération sans ciment. Les projections des besoins en de ciment sont de plus de 2,5 millions de tonnes de ciment par an. Cette estimation ne concerne que la zone ouest : Kinshasa, ex-Bandundu, Kongo-Central et ex-Équateur.
Comment l’offre se présente-t-elle actuellement ?
Pour la zone considérée, l’Ouest, l’offre est le fait d’une seule cimenterie, qui est encore opérationnelle. C’est la Cimenterie de Lukala (CILU). Selon les chiffres que CILU nous a fournis, la production actuelle est de 400 000 tonnes de ciment l’an. Ce qui veut dire que l’offre est insuffisante par rapport aux besoins exprimés dans cette partie de la République.
D’où la nécessité de combler le déficit. Mais de quelle façon ?
Nous sommes actuellement en phase de construction d’une usine intégrée de production de ciment d’une capacité de 1 million de tonnes par an. Nous atteindrons cette production de croisière après deux ans. Et nous comptons produire le premier sac de ciment au cours du quatrième trimestre 2016. Pour 2017, nous visons à peu près 500 000 tonnes, avant de 1 millions de tonnes en 2018. La production sera, donc, graduelle. Elle tiendra compte de machines qui nous installerons et de la période de rodage.
Quels sont les actionnaires de l’entreprise ?
Aujourd’hui les intentions sont bien définies. PPC, cimentier leader sur le marché sud-africain, aura 69%, Barnet Group 21%. La Société financière internationale (SFI) a exprimé son intention de prendre 10%. Mais les négociations sont en cours. Elles vont bientôt aboutir à une conclusion heureuse dans les semaines ou les mois à venir.
Lorsque la production deviendra effective, à combien estimez-vous le prix du sac de ciment ?
C’est difficile de le dire aujourd’hui. Mais je peux vous assurer que notre prix sera extrêmement compétitif par rapport à l’offre actuelle.
Le produit qui sortira de votre usine aura-t-il des caractéristiques particulières ?
Nous allons produire les deux grades les plus connus et les plus vendus aujourd’hui : 32.5 et 42.5, dans un format de 50 kilos. Lorsqu’il s’agira de participer à la construction de grands ouvrages d’art ou de grandes infrastructures de référence qui requièrent un béton extrêmement solide, dans ces cas-là nous serons en mesure de produire du 52.5.
Les travaux de construction du méga barrage d’Inga III, potentiel grand consommateur de ciment, sont imminents. Serez-vous en mesure d’approvisionner efficacement les constructeurs ?
Certainement. Lorsqu’on avait construit Inga I et Inga II, le ciment avait été importé. Cette fois-ci, CILU, PPC BARNET, CIMKO, les trois producteurs de ciment dans la partie Ouest, seront en mesure d’offrir la qualité et la quantité de ciment que requiert la construction d’une telle méga infrastructure. Nul n’aura plus besoin de recourir à l’importation car nous allons répondre aux spécifications techniques du constructeur du barrage d’Inga III.
Avec trois cimenteries dans la même zone économique, ne redoutez-vous pas la concurrence ?
La concurrence ne nous fait pas du tout peur car elle a toujours été le moteur de la diminution des prix relatifs. Nous investissons tous dans l’outil de production pour contribuer à la réduction de la structure des prix. Et nos consommateurs seront contents de voir qu’ils ont des produits de qualité à des prix abordables. La concurrence a toujours été une très bonne chose pour les consommateurs. Elle suscite l’émulation, la compétition. Nous allons nous retrouver entre professionnels. Chacun des acteurs va tirer son épingle du jeu. Mais toujours dans la perspective de satisfaire les consommateurs.
Le manque d’infrastructures, notamment routières ne sera-t-il pas un handicap pour vous lorsqu’il s’agira d’évacuer le ciment ?
Nous sommes dans le territoire de Songololo, dans le Kongo-Central, à sept kilomètres de la nationale numéro 1. Notre premier objectif était de réhabiliter les ponts sur la route provinciale n°111, qui va jusqu’à Luozi. Nous avons construit, sur fonds propres pour le compte de l’Office des routes, trois nouveaux ponts d’une tolérance de 100 tonnes, alors qu’avant ils n’avaient qu’une tolérance de 15 tonnes. L’entretien et la maintenance de la route n°111 sont assurés par nous afin que les camions entrent et sortent facilement de l’usine. Toujours est-il que nous réfléchissons à une solution logistique efficace pour l’acheminement de notre ciment vers les différents centres de consommation. Nous travaillons sur plusieurs options.
Que pensez-vous du climat des affaires en RDC ? Vous a-t-on facilité la tâche ?
Nous l’avons dit à nos partenaires financiers et techniques ici tout comme à l’étranger. Ce projet est pour nous un modèle qui atteste de l’amélioration notable et continue du climat des affaires en RDC. On ne peut réaliser un projet d’une telle envergure sans l’accompagnement de l’administration. Nous sommes satisfaits de l’accompagnement que nous recevons de l’administration aussi bien centrale que provinciale. À ce jour, nous avons obtenu tout ce que nous avons demandé au gouvernement : les autorisations dans les délais légaux, les permissions dans les délais réglementaires. Nous n’avons rencontré aucun obstacle. Et nous n’avons subi aucune tracasserie administrative. L’amélioration du climat des affaires ne se traduit pas simplement à travers les textes publiés. Elle s’appréhende aussi dans le comportement des Congolais. Les Congolais se sont appropriés le projet et l’accompagnent comme s’ils tenaient quelque chose d’extraordinaire dans leurs mains Nous avons rencontré des compatriotes se sont imprégnés des réformes entreprises par le gouvernement. Ils se sont appropriés le projet, en ont fait leur affaire personnelle. Pour nous, c’est motif de satisfaction.
Comment avez-vous accueilli la décision du ministre de l’Économie par rapport à l’importation du ciment ?
Nous l’avons très bien accueillie. Parce qu’on ne peut pas continuer à accepter la fraude organisée par des étrangers qui viennent détruire le tissu industriel local. Pourquoi est-ce que le gouvernement prend-il ce genre de mesures ? Pourquoi accorde-t-il des incitations fiscales, les moyens pour bien fonctionner? Pour deux raisons. La première : retenir les investissements qui sont déjà présents au pays. La deuxième : inciter d’autres investisseurs à venir. Raison pour laquelle j’ai parlé de l’amélioration notable et continue du climat des affaires. Pourquoi est-ce tous les pays limitrophes de la RDC imposent-ils des quotas d’importations de ciment ? Leurs excès de production sont subventionnés et sont vendus sur le territoire national. Certains importateurs sont réputés d’être des grands fraudeurs. Il faut que cela cesse. Le gouvernement a demandé à tout le monde de faire du business, mais en respectant les lois. Ce n’est pas parce que le gouvernement va frapper les fraudeurs que l’on va dire que le climat des affaires est malsain en RDC. Ce n’est pas ça la situation.
Que peut-on attendre de la décision du ministre Bahati Lukwebo ?
Elle permettra au gouvernement d’avoir la traçabilité sur ces importations-là. Et de savoir qui a importé quoi, quelle qualité, quelle quantité. Combien l’importateur a payé comme droits, taxes et redevances à l’État. Il est intolérable, par exemple, que quelqu’un, un Chinois notamment, se lève un bon matin avec des entrepôts mobiles, importe du ciment et commence à en vendre à la population. Mais qui peut contrôler la qualité de ce ciment-là ? Qui peut savoir si les taxes sont payées ? Il faut qu’à un moment donné cela cesse. Nous ne pouvons, donc, qu’applaudir la décision du ministre de l’Économie.
Propos recueillis par Israël Mutala.