La question de l’indexation des salaires des fonctionnaires et agents de l’État, ainsi que et des émoluments du personnel politique au taux de change moyen (CDF/USD = 1400) suscite la controverse. Déjà, à l’Assemblée nationale, lors de la présentation de la loi de finances 2017 ou le budget de l’État, par le 1ER Ministre, Bruno Aubert Tshibala, elle a soulevé une vague. Pour le député (UNC, opposition) Baudouin Mayo, le 1ER Ministre doit remonter à janvier 2017 pour réparer le préjudice subis par les fonctionnaires et agents de l’État car la loi de finances couvre toute l’année. Le 2 juin, lors de la séance réservée à ses réponses aux préoccupations exprimées 24 heures auparavant par les députés, Bruno Tshibala a tenu à lever l’équivoque : « la prudence managériale m’interdit de faire des promesses démagogiques et populistes que le gouvernement ne saurait pas réaliser. ». Et d’ajouter : « La question technique et financière qui se pose est de savoir si, avec un taux de croissance très largement inférieur au taux de change et d’inflation, le gouvernement peut se permettre de prendre le risque d’envisager de distribuer une richesse qui n’existe pas et faire sombrer le pays dans une spirale inflationniste des prix et des salaires. »
Les augmentations prévues dans le projet du budget 2017 sont en fait des projections et non des richesses déjà réalisées que le gouvernement peut commencer à distribuer à travers des rémunérations. II faut donc, a-t-il déclaré, traiter avec prudence cette question de l’enveloppe salariale que le gouvernement doit encadrer dans les limites de ce que la trésorerie publique lui offre chaque mois.
Quand l’État fait usage du faux
Le prédécesseur de Tshibala, Samy Badibanga, et certains ministres de son cabinet comptent parmi les premiers servis avec les billets de banque pimpant neufs, rapportent des sources. Ils ont touché leurs indemnités de sortie, soit six mois des émoluments. Si tous nos contacts ont plutôt été évasifs sur le taux de change qui a été appliqué à l’équipe Badidanga, entre fin mai et début juin 2017, par contre, l’on sait que les travailleurs de l’Office congolais de contrôle (OCC) ont touché du coup trois mois des salaires sur le chapelet d’arriérés qu’ils traînent au taux de 1 400 FC le dollar. « C’était la condition sine qua none pour reprendre le travail, la nouvelle direction générale ne pouvant que s’y plier… », a laissé entendre un leader syndical à la presse.
L’État-employer, a-t-il renchéri, s’est inscrit « dans l’illogique des privés, des patrons libanais, chinois, indiens et autres pakistanais qui appliquent leur propre taux lors de la paie ». À la Marsavco, à Congo Futur, a-t-on appris, la paie s’effectuerait au taux de 590 FC le dollar. Chez les magasiniers de l’avenue du commerce, l’on serait en-dessous de 500 FC le dollar. « C’est à prendre ou à laisser…Tu ne t’en prendras qu’à toi-même, ceux qui ont osé contester le taux au rabais ont été chassés sans ménagement. Leurs plaintes à l’inspection générale du Travail a fini par avoir des barbes blanches sans qu’une lueur de solution ne pointe à l’horizon », confie ce vendeur d’appareils électroménagers auprès d’un commerçant libanais.
Ce taux qui pousse à la grève
À Lubumbashi, les cheminots de la Société nationale des chemins de fer (SNCC) ont perçu, fin mai 2017, 1 mois de salaire sur les 95 mois d’arriérés. Non seulement la direction générale a fait comprendre que la paie portait sur le mois de mars de 2017 mais elle s’est aussi effectuée au taux de 750 FC le dollar. Les travailleurs ont tout naturellement crié au scandale, à la triche; mais la direction générale de la Société nationale de chemin de fer estime avoir plutôt réalisé une sacrée performance. Longtemps les salaires étaient perçus au taux de 440 FC le dollar. Nombre de cheminots se sont résolus au troc: une maison de la compagnie contre ses arriérés des salaires. Beaucoup d’acquéreurs des maisons de la SNCC se retrouvent malheureusement déguerpis après quelques mois seulement de jouissance de titre de propriété, au motif que les habitations leur cédées par la SNCC appartiendraient plutôt au domaine privé de l’État.
À Mbuji-Mayi, les travailleurs de la Minière de Bakwanga (MIBA) alignent pour les mieux payés 50 mois d’arriérés des salaires. Pourtant, le salaire a été réduit de quart, avec le consentement du bureau syndical dans l’espoir d’une normalisation de la paie. Hélas. Ici, l’on ne parle plus de taux de change, l’on procède à de laborieux arrangements particuliers pour établir qui percevra quoi… bien souvent sous la houlette du Gouv Ngoy Kasanji.
À la Société commerciale des transports et des ports (SCTP, ex-ONATRA), les arriérés des salaires dépendent d’un site d’exploitation à un autre selon qu’on est proche ou loin de Kinshasa. Si à la SCTP/Mbandaka, la dernière paie remonte à des lustres, à Boma, Matadi, l’on est dans la fournée des travailleurs de la capitale, autour de six mois d’arriérés des salaires. En fait depuis que le nouveau directeur-général, Lewis Banguka, est à son poste. Le 1er juin dernier, ayant appris que leurs collègues de l’OCC ont touché d’un coup 3 mois des salaires, des travailleurs de la Société commerciale des transports et des ports se sont spontanément soulevés, barricadant l’entrée principale de leur bâtiment administratif et scandant la démission de leur directeur général. Lewis Banguka est accusé d’incompétence et de manquer de politique managériale pour fiabiliser la situation financière et redresser la société.
À fin mai 2017, les agents de la SCTP ont totalisé à Kinshasa des arriérés des salaires de quatre à six mois selon les grades et de sept mois pour ceux de Boma et Matadi. Alors que tous les départements pourvoyeurs de recettes de l’entreprise sont opérationnels, notamment les ports maritimes (Matadi et de Boma) dans la province du Kongo-Central et le chemin de fer Kinshasa-Matadi ainsi que le port fluvial de Kinshasa (beach Ngobila). Ici, selon un délégué syndical, tout, salaire, allocation quelconque, se fait au taux de 970 FC le dollar.
Front social
« En fait, 1 000 dollars payés en franc congolais ne valent en réalité que 600 dollars. Et lorsqu’il te faudra acheter le dollar pour payer le loyer ou le minerval des enfants, il ne te reste que de quoi assurer ton transport… ». Au dimanche 4 juin 2017, le taux de change indiquait 1 600 FC le dollar dans certaines places de la capitale (Limete 7ème Rue Place commerciale, Kintambo-Magasin…). La dépréciation de la monnaie locale face au billet vert avait repris de belle depuis fin mai, période qui coïncide avec l’éjection sur le marché de billets neufs de 500 FC et 1 000 FC. Ces billets représentent plus de 35 % de la masse monétaire en circulation contre près de 20 % pour les billets de 20 000 et 10 000 FC.
De quoi tourbillonner davantage la circulation fiduciaire et flamber les prix des biens et services au grand dam des citoyens congolais. À la Banque centrale du Congo (BCC), tout semble passer pour le meilleur du monde. Certains députés poussent Tshibala à avoir un droit de regard sur l’institut d’émission… à l’image de Matata Ponyo qui était, dès les premières heures du début de la semaine, au parfum des faits et gestes liés aux pognons de Deogracias Mutombo, grâce à la traditionnelle troïka de chaque lundi 6 heures. Il y va de la sérénité du gouvernement. L’opinion grommelle, le marché flambe du fait du taux du dollar. Et les leaders syndicaux de l’administration publique qui avaient suspendu leur mouvement de grève générale en mars dernier suite aux négociations directes avec la primature, attendent voir Tshibala, au nom de la continuité de l’État, passer à l’acte les engagements de son prédécesseur : hausse des salaires, pouvoir d’achat, maîtrise du taux du dollar…Un débrayage général couve.