Les riverains de la centrale hydroélectrique vivent dans la psychose d’être délogé. La société civile s’en mêle pour exiger l’application de la loi en matière d’expropriation.
Le ministre de l’Énergie, Matadi Nenga, ne s’opposerait pas à la présence d’un représentant de la société civile dans le Comité de facilitation des travaux sur le site d’Inga (CFI). La Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes et de l’action publique (CORAP) s’en félicite. Mais ce qui est important, pour elle, c’est l’indemnisation des familles affectées ainsi que la relocalisation des riverains du site d’Inga. Il semble que la commission ECOFIRE du gouvernement ne veut jamais aborder cette question. Pourtant, la loi en la matière est sans ambiguïté.
L’avocat et défenseur des droits humains Augustin Ndemba explique que « l’expropriation pour cause d’utilité publique est une action par laquelle l’administration oblige un particulier à lui céder la propriété d’un immeuble moyennant une indemnité préalable et équitable ». L’expropriation est réglementée par la Constitution (article 34) et la loi du 22 février 1977. Du point de vue du droit, la question ne doit pas donner lieu à polémique.
Avis de déguerpissement
À Inga, les habitants se souviennent encore de ce qui est arrivé au Camp Kinshasa, où étaient logés les ouvriers ayant participé à la construction de la centrale d’Inga I et II. En avril 2007, une autorité locale avait donné un ultimatum de trois mois aux habitants de ce campement pour quitter les lieux. Jusqu’à ce qu’un pasteur responsable de l’ONG COPECO, s’implique en faisant du lobbying. En juillet 2009, la Société nationale d’électricité (SNEL) a menacé de déloger les habitants du Camp Kinshasa. La même année, Anders Lustgarten, de l’ONG Counter Balance, avait rencontré le représentant légal des six clans qui occupaient la région d’Inga avant même la construction des centrales I et II. Il détenait des documents juridiques, des requêtes, des plaintes et des réclamations relatifs au déplacement de la population du site d’Inga en 1958, à l’époque coloniale. Ces documents détaillaient les montants compensatoires convenus entre les colons et les six clans. Mais ils n’ont jamais été versés.
Cependant, à la Banque mondiale, on soutient le contraire. Dans les « documents projets », il est signalé que « la population qui avait les droits d’usage de la terre lorsque furent construits les barrages d’Inga I et II ont reçu une compensation adéquate ». Et, par conséquent, « il n’y a pas d’héritage social». D’après des sources à la SNEL, la population d’Inga est partie d’elle-même sous la pression d’une mouche agressive. En 2012, –ce fut le branle-bas quand la firme allemande VOIT Hydro commença à réhabiliter les groupes G 11 et G 15 d’Inga II. Pour les riverains, l’arrivée des Allemands présageait l’expulsion programmée. Depuis, la population vit dans la psychose.
Décision unilatérale
Selon l’avocat Augustin Ndemba, l’administration dispose de prérogatives qui lui permettent de surmonter éventuellement le désaccord du propriétaire : « En droit positif congolais, on distingue trois modes d’acquisition forcée des biens par l’administration : l’expropriation pour cause d’utilité publique, la réquisition et enfin la confiscation des biens ». En fait, l’expropriation est « une décision unilatérale de l’administration prise en vertu d’une loi (article 34, alinéas 4 de la Constitution), car le droit à la propriété individuelle ou collective acquise conformément à la loi ou à la coutume est un droit garanti par la Constitution ». En tant que telle, poursuit Ndemba, cette décision est susceptible de recours en annulation pour excès de pouvoir car, dans la pratique, il y a très souvent détournement de pouvoir dans ce genre de choses. La procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique concerne seulement les immeubles bâtis ou non. « La décision de cession forcée est fondée sur des motifs d’intérêt général. Cela suppose que le bien repris par l’État aura une affectation utile à tous ou à une collectivité déterminée », fait-il remarquer. En outre, le but d’utilité publique couvre les nécessités les plus diverses de la collectivité sociale, notamment dans le domaine de l’économie, de la sécurité, de la défense militaire. Par conséquent, pour son exécution, la mesure d’expropriation exige une réhabilitation préalable de la personne lésée dans ses droits, sous forme d’une indemnité juste et équitable.
L’argent de la Banque mondiale
Dans le cas des riverains du site d’Inga, la Banque mondiale avait octroyé, en 2012, une enveloppe de 900 dollars à chaque foyer du Camp Kinshasa. La société civile du Bas-Congo avait qualifié ce geste d’« une indemnisation de complaisance ». Plus de 10 000 personnes étaient concernées par cette opération d’expropriation. Pour la Banque mondiale, la somme de 900 dollars s’inscrivait dans le cadre d’un projet du Fonds social et que cela n’avait rien à voir avec Inga ou avec une quelconque indemnisation. « Si toutes les procédures ne tiennent pas, soit à défaut d’accord à l’amiable entre l’État et le particulier lésé sur le montant, l’indemnité est fixée par le juge. Il s’agit du juge de droit commun, précisément le Tribunal de grande instance », précise Me Ndemba. L’indemnité fixée doit être payée avant l’enregistrement de la mutation, mais dans tous les cas au plus tard dans les quatre mois à dater du jugement fixant les indemnités. Au cas où ce délai est passé, la loi stipule que l’exproprié peut poursuivre l’expropriant en annulation de l’expropriation sans préjudice de tous dommages et intérêts.
La procédure prévue pour l’expropriation, explique cet avocat, a pour seule origine une décision prononçant l’utilité publique des travaux et ordonnant l’expropriation. En droit positif congolais, cette décision est prise par le ministre des Affaires foncières par voie d’arrêté.
D’abord, l’expropriation ordinaire, lorsque cette décision ne porte que sur un bien. Ensuite, l’expropriation par périmètre lorsque la décision porte sur un ensemble de biens compris dans un périmètre déterminé sans individualisation de ceux-ci. Le président de la République, agissant par voie d’ordonnance, peut aussi exproprier, s’il s’agit d’expropriation par aires portant sur des biens se trouvant dans une zone entière ou un vaste territoire.