Abattoir de Masina : un quinquagénaire mal en point

Créée en 1959, cette structure étatique dans une commune populaire de l’Est de la capitale traverse une période très difficile à cause de plusieurs raisons, dont l’usure de l’outil de travail et un certain abandon des pouvoirs publics. C’est pourtant l’un des rares établissements de ce type que compte le pays. 

Un troupeau de vaches destiné à la boucherie.
Un troupeau de vaches destiné à la boucherie.

Inauguré en 1964, l’abattoir de Masina a totalisé cinquante ans l’année dernière. On le reconnaît facilement à la couleur rose du vieux bâtiment qui l’abrite, avec un portail peint en noir. C’est là que, chaque jour, se retrouvent ses soixante-dix employés dont le quotidien n’est pas toujours rose.  À les voir, aucun doute n’est permis : ils n’ont plus le cœur à l’ouvrage. Il est 8 h 30, ce matin. Dans la cour de l’abattoir, une foule composée de clients attend avec impatience le dépeçage du bœuf ou du porc du jour, selon les goûts. Dans une grande salle aux murs blancs carrelés, une dizaine de personnes, des salariés de l’entreprise, suivent avec attention le travail de leurs collègues occupés à découper une vache. Leur style est particulier : ils lancent des morceaux de viande dans un coin qui est très loin d’être propre. Ce qui ne semble pas réjouir les clients. Certains protestent en disant que cette viande finira par les rendre malades. Mais les employés de l’abattoir les rassurent en lavant dans une bassine remplie d’eau tout ce qui avait atterri sur le sol crasseux, avant de le vendre, après l’avoir pesé.

Placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, l’abattoir est censé approvisionner en bœuf une population kinoise estimée à une dizaine de millions de personnes. Une mission difficile à remplir, comme l’explique Patrick Mbiki, conseiller  du directeur général  de l’entreprise : « Le travail est compliqué, dans les machines utilisées sont archaïques : elles ont été installées en 1959. L’État ne les a jamais renouvelées. Par conséquent, le personnel est condamné à fournir beaucoup d’efforts physiques. »  Autre regret : l’État n’a pas de fermes. Si cela avait été le cas, la viande ne se vendrait pas aussi cher aujourd’hui, affirme le vétérinaire de l’abattoir. « Ici, on n’abat que des vaches et des porcs », ajoute-t-il. Les bovins viennent des  fermes privées de  la province du Bandundu  à hauteur de 75 %, du Bas-Congo et même du…Katanga.

L’abattoir de Masina a une production moyenne de cinq bêtes par jour, trente  par semaine et cent vingt par mois. Ses clients sont  des fermiers qui travaillent en partenariat avec des grandes entreprises.  La viande qui sort de l’abattoir est achetée par les supermarchés kinois. L’abattage se fait par commande. Pour le commun des Congolais, qui achète des petites quantités,  un kilo de bœuf coûte 8500 francs, contre 1700 francs dans les supermarchés.  L’abattoir paie à l’État  6000 francs par mois et par bête. Avant, les statistiques se faisaient au niveau de la comptabilité  afin de savoir combien de bêtes ont été abattues. Ensuite,  on établissait le pourcentage qui devait revenir à l’État. « Cela  ne se fait plus aujourd’hui »,  déplore le vétérinaire avant d’ajouter que « plusieurs annexes ont été  créées par la hiérarchie dont les animateurs cherchent des postes vacant pour leurs parents au chômage. Et chacun gère à sa manière. » Au sein de l’abattoir, nombreux sont ceux qui sont persuadés que la redevance destinée au Trésor public tombe dans les poches de quelques personnages indélicats.

D’après ses dirigeants, l’une des plus grandes difficultés auxquelles l’abattoir est confronté reste, mise à part la vétusté de son matériel, le manque de fermes d’État, qui aurait permis l’élevage du gros bétail. À Masina on aimerait que le gouvernement encourage l’enseignement public  et sensibilise les élèves congolais au fait que la vie ne se gagne pas seulement dans des bureaux climatisés. Le vœu le plus cher c’est l’existence d’une politique nationale de l’élevage. Mais cela est une autre paire de manches. En attendant, l’abattoir continue de fonctionner dans des conditions qui ne sont pas très motivantes pour le personnel.