RÉUNIS jeudi 18 avril matin pour un débat dans la grande salle de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), des cadres d’entreprise et des responsables d’administrations publiques ont porté un regard critique mais constructif sur le régime fiscal relatif à la réévaluation libre des actifs corporels et financiers immobilisés des entreprises. Un diagnostic sans complaisance qui a porté sur la lettre N°CAB/MIN/FINANCES/CMR/NGMI/2018/5308 d’Henri Yav Mulang, le ministre des Finances. Une correspondance administrative adressée à José Sele Yalaghuli, le numéro un de la Direction générale des impôts (DGI), datée du 20 décembre 2018, avec copies réservées à André Foko Tomena, le secrétaire général par intérim du Conseil permanent de la comptabilité au Congo (CPCC), et à Kimona Bononge, l’administrateur délégué de la FEC.
Que dit la lettre ?
Au directeur général du fisc, le ministre des Finances écrit ceci : « Je vous informe que plusieurs assujettis m’ont écrit dans le cadre d’une demande d’interprétation sur le régime fiscal qu’il convient d’appliquer en cas de réévaluation libre au regard de l’Acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière du 27 janvier 2017 ainsi que de l’Acte uniforme du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêts économique. »
Il poursuit : « À ce sujet, bien que la législation fiscale ne fasse pas directement partie du droit OHADA, il n’en demeure pas moins vrai que certaines dispositions à caractère fiscal sont censées s’adapter à l’évolution du droit OHADA. Tel est, me semble-t-il, le cas des dispositions fiscales actuelles en matière de réévaluation des actifs corporels et financiers immobilisés des entreprises. »
« Ce faisant, ajoute-t-il, en collaboration avec le Conseil Permanent de la Comptabilité au Congo, je vous demande d’élaborer une nouvelle loi fiscale sur la réévaluation des actifs corporels et financiers immobilisés des entreprises en remplacement des dispositions fiscales actuelles en vigueur selon les orientations en annexe en vue de leur insertion dans le projet de loi de finances 2020 ».
Et il conclut : « Par ailleurs, j’invite Monsieur l’Administrateur Délégué de la FEC… à informer les entreprises qui sont dans la nécessité de procéder à une opération de réévaluation libre pour éviter la présence des fonds propres négatifs dans leurs états financiers pouvant entraîner leur dissolution anticipée au regard du droit OHADA, de le faire à titre exceptionnel et ce, en franchise de l’impôt professionnel sur les bénéfices et profits sur l’écart de réévaluation, en ce qui concerne les exercices comptables 2018 et 2019 ».
Parole à l’expert
Pour animer la matinée d’échanges, organisée le jeudi dernier par la FEC sous le contrôle de Marc Atibu Saleh Mwekee, le secrétaire général, sur le thème « Réévaluation libre des actifs immobilisés », le principal patronat du pays a fait appel à un expert de première force : Samuel Manzambi-Kavako, 61 ans (en mai prochain). Il est actuellement le directeur général et associé principal de M&M Partners Congo. Ce cabinet (audit, commissariat aux comptes, expertise comptable et fiscale) est aujourd’hui coté parmi les plus grands cabinets en République démocratique du Congo en matière d’audit et d’expertise comptable et fiscale au même titre que les Big Four internationaux, du point de vue taille, chiffre d’affaires, nombre du personnel et des sociétés affiliées, encadrées ou conseillées, me souffle à l’oreille quelqu’un dans la salle pendant le débat. Certainement le plus grand en matière de fiscalité et de comptabilité, dit-il.
Enseignant au supérieur (Institut supérieur de commerce), Samuel Manzambi a un CV en béton armé. On notera au passage que cet expert-comptable, diplômé d’État (doctorat) de Belgique, est le premier Congolais et le premier Africain reconnu et enregistré comme membre de l’Ordre des experts comptables de Belgique depuis 1982. En outre, il est juge au tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe et président des juges consulaires de la RDC. Il est aussi membre de la Commission spéciale de l’Ordre national des experts comptables du Congo (ONEC)…
D’entrée de débat, le professeur Manzambi-Kavako a voulu faire comprendre, avant toute chose, surtout aux non-initiés, la notion de réévaluation. On retiendra utilement de son exposé que la majorité des systèmes comptables à travers le monde, comme le système comptable CPCC (jadis) et le système comptable OHADA, utilisent la convention du coût historique, c’est-à-dire les biens acquis sont enregistrés dans la comptabilité au coût (prix) de la date d’acquisition.
Cependant, explique-t-il, en fonction des tendances inflationnistes observées dans les États, on relève des fortes distorsions (différences), pour les biens ou éléments qui restent longtemps dans l’entreprise, notamment les actifs immobilisés de l’entreprise (par exemple, l’immeuble, les machines, les véhicules, etc.) entre les valeurs historiques figurant au bilan et les valeurs du marché, c’est-à-dire du moment. C’est pourquoi, poursuit-il, dans l’optique de tenir compte de cette fluctuation (différence), on procède à la réévaluation. « Il s’agit de l’opération (enregistrement) comptable qui permet de réactualiser les valeurs des biens fixes de l’agent économique (entreprise, entité commerciale ou industrielle) », souligne Samuel Manzambi.
Pour cet expert-comptable, une réévaluation peut se justifier soit par l’inflation (en fonction de la ou d’une valeur du marché, valeur de remplacement, valeur estimée), soit suivant les méthodologies de détermination de la nouvelle ou d’une valeur prescrite par des normes professionnelles (nationales ou internationales), soit encore par une obligation de la législation nationale (nouvelle valeur calculée à partir des indices officiels à appliquer communiqués par les autorités compétentes).
Dans les deux premiers cas, on parlera de la réévaluation libre, tandis que dans le troisième cas, il s’agira de la réévaluation légale. Bref, « la réévaluation entraîne donc la constatation d’une plus-value de réévaluation (PVR) égale à la différence entre la valeur actuelle ou réévaluée (VR) et la valeur comptable d’origine ou historique (VO). PVR = VR-VO », nous dit le professeur Manzambi.
Avantages et inconvénients
Les avantages, il y en a nombreux, mais ce spécialiste de la fiscalité en épingle quelques-uns. Par exemple, la réévaluation des immobilisations se justifie économiquement dans un contexte inflationniste. Elle a pour but de donner aux actifs fixes les nouvelles valeurs suivant le prix réajusté et une « image fidèle » du patrimoine et de la situation financière de l’entreprise. La réévaluation n’influence pas le compte de résultats mais uniquement le bilan. Elle est une des solutions qui permettent à l’entreprise de reconstituer ses capitaux propres, donc un outil efficace pour renforcer ses fonds propres. Par conséquent, la réévaluation influence positivement son niveau d’endettement, donc de sa solvabilité.
« Cette nouvelle valeur comptable réévaluée sera utilisée pour calculer les amortissements annuels, des plus-values réalisées ultérieurement lors de la cession des actifs réévalués », souligne Samuel Manzambi. Qui ajoute : « Sans cette réévaluation, les dotations aux amortissements seraient calculées sur une valeur d’origine inférieure à la valeur actuelle. Ce qui a pour conséquence de minorer les charges de l’exercice comptable, donc de surestimer les résultats. Du fait aussi de cette sous-évaluation des amortissements, le renouvellement des immobilisations ne peut plus être assuré par l’autofinancement de maintien. »
Cependant, cette pratique a des inconvénients, rappelle l’expert. En ce sens qu’elle donne la possibilité aux entreprises en difficulté de gonfler les capitaux propres leur permettant ainsi d’accroître leur capacité d’endettement. « Plus le ratio d’endettement est élevé, plus les entreprises ont tendance à procéder à des réévaluations dans l’objectif de satisfaire les exigences des bailleurs de fonds », pose-t-il. Par ailleurs, renchérit-il, l’augmentation du total du bilan et des fonds propres a une influence négative sur les risques de rentabilité. Pour les immobilisations corporelles amortissables, cette influence négative se remarque tant au niveau du numérateur – le résultat diminue sous l’effet de l’augmentation des amortissements – qu’au niveau du dénominateur – le capital investi augmente. »