Animaux de compagnie, entre business et errance

Kinshasa compterait plus de 200 000 chiens, chats, perroquets, singes qui sont des compagnons de l’homme. Mais les conditions et les structures de prise en charge n’ont pas suivi cette explosion « démographique », exposant ainsi la population à des risques sanitaires certains. 

Un berger allemand tenu en laisse.
Un berger allemand tenu en laisse.

A  la clinique vétérinaire de la Gombe, le docteur Joseph Mola, médecin directeur, reçoit ses visiteurs dans la cour intérieure. La cause ? Le bâtiment qui abrite cette clinique sur l’avenue des Huileries est en réfection grâce à un financement de la Banque mondiale. Sur le nombre exact des animaux de compagnie à Kinshasa, il n’existe pas de statistiques fiables, en dehors des estimations qui datent de 2009, sur la base de la dernière et vraie campagne de vaccination contre la rage canine, avec un taux de réussite de 10 % seulement. Selon celles-ci, il y aurait 200 000 chiens, chats, perroquets, singes. Pour le docteur Mola, les conditions et les structures de prise en charge des animaux de compagnie à Kinshasa sont déplorables. La plupart de ces animaux sont et vivent dans la rue en situation d’errance. La plus grande menace de cette situation est le risque de contagion à l’espèce humaine de maladies transmissibles dont la plus redoutable est la rage canine qui n’a pas encore de traitement à ce jour, excepté la vaccination préventive. Mais l’actualité d’Ebola dont le réservoir viral est vraisemblablement le singe, rend la crainte du médecin plus vive. Le taux de fréquentation des services de la clinique vétérinaire de la Gombe, la seule institution publique en fonction dans la capitale, n’étant que de 10 cas par mois (une moyenne annuelle de 80 à 100 consultations), on ne peut pas se faire d’illusion sur la qualité de la vie des bêtes qui sont dans la cité et les menaces sanitaires qu’elles font peser sur les humains, estime Joseph Mola. Il n’existe pas de cadre légal qui réglemente le commerce interne des bêtes de compagnie, à l’exception du commerce international régi par la réglementation internationale sur le commerce des bêtes vivantes. Au Congo, tout le monde peut être vendeur ou acheteur, selon le cas. Papy Nzinga, dit avoir dépensé à 100 dollars  pour acheter son petit berger allemand dans un couvent de religieux, à Limete. Il se dit être chanceux parce qu’un commissionnaire lui proposait la même espèce à 300 dollars. Dans les milieux de vente de chiens de compagnie, à la Gombe, le nom de Fidèle Manzeku est souvent cité comme référence. Cet homme qui roule carrosse dit cultiver une passion pour l’animal au point d’en avoir fait son meilleur business depuis une trentaine d’années. Sa spécialité : les chiens de race européenne (berger allemand, boxer, labrador anglais, bulldog). Dans son 4×4, il montre les « pièces » qu’il s’apprête à livrer à un client expatrié à la Gombe. Coût de l’opération : 800 dollars, affirme-t-il. Son carnet de commandes ne désemplit pas et sa zone d’activité s’étend jusqu’au Congo-Brazzaville. Sa marchandise, il l’obtient auprès de propriétaires des bêtes qui mettent bas. « C’est un véritable trader, un négociant qui maîtrise l’offre et la demande », souligne son imposant garde du corps qui tient en laisse un énorme berger allemand prêt à bondir sur tout ce qui bouge. Quant à son chiffre d’affaires, Fidèle Manzeku dit réaliser 2 à 3 000 dollars mensuels et mener une vie à l’abri des besoins ordinaires. « Ma femme et mes enfants ne se plaignent pas trop et sont tous fiers de moi », insiste-t-il. « Le plus grand bénéfice que je tire de mon business, ce sont mes relations avec ma clientèle qui se recrute souvent parmi les grosses légumes du pays ».  Mais il faut tempérer les propos de Fidèle Manzeku et reconnaître que les bénéfices qu’il dit obtenir ne sont possibles qu’avec les races étrangères qui exigent un train de vie qui n’est pas celui du Congolais moyen, soit 5 à 10 dollars par jour rien que pour l’alimentation, sans compter les dépenses d’hygiène et de santé (vaccination de routine et traitement clinique en cas de maladie). Les autres vendeurs de chiens et bêtes de compagnie au quartier Funa, non loin de l’aérodrome de Ndolo, ou encore au croisement de l’avenue des Huileries et du boulevard du 30-Juin, harcelés par les agents de l’ordre et les services d’hygiène et vétérinaires, disent passer un moment peu favorable aux affaires. Leurs bêtes de race locale, même sous évaluées à 10 ou 15 dollars, intéressent très peu les clients congolais. « Avoir un animal de compagnie est considéré comme un luxe ou un besoin de prestige pour le Congolais moyen qui peine à trouver les ressources suffisantes pour sa santé ou son alimentation », reconnaît le vendeur François Luvumbu. Le singe a tout simplement disparu du circuit commercial et n’attire plus les clients, surtout en cette période où le virus Ebola attise toutes les peurs.

Le premier zoogle moderne de Kinshasa         

Les conditions et les structures de prise en charge des animaux de compagnie à Kinshasa sont déplorables. La plupart des animaux sont et vivent dans la rue en situation d’errance.

Docteur Joseph Mola

Des investisseurs privés sont de plus en plus attirés par le commerce des bêtes de compagnie. Si une clinique vétérinaire privée existe depuis une vingtaine d’années au quartier Macampagne, dans la commune de Ngaliema, le supermarché City Market, dans la commune de la Gombe, a aménagé un espace de 30 m2 qui fait office de zoogle. Une première à Kinshasa. Les services proposés sont la clinique vétérinaire, la vente de races exotiques de chiens, d’oiseaux et de rongeurs de compagnie. Paul Mbasu, vendeur et agent de marketing, ne s’est pas fait prier pour présenter les différentes espèces en vente dans ce zoogle qui emploie 30 agents congolais (vétérinaires, pharmaciens, nutritionnistes…) : le rottweiler à 1 550 dollars, le labrador anglo-allemand à 1400 dollars, le berger allemand et le husky sibérien à 1750 dollars, le chow-chow chinois à 2200 dollars, le boxer et bulldog anglais à 1500 dollars, le perroquet multicolore australien cacatoès à 7000 dollars, le couple d’oiseaux inséparables d’Indonésie à 1500 dollars… Sa clientèle, encore timide, comprend essentiellement des expatriés. Méfiants au début, les clients commencent à sortir leur porte-monnaie. Le chiffre d’affaires mensuel du zoogle avoisinerait les 20 000 dollars avec plus de 900 visites par mois.