J’enrage ! Ce qui vient d’arriver à mon ami est tout simplement ahurissant, scandaleux, inacceptable ! Si les honnêtes gens ne peuvent plus vivre dans ce foutu pays, qu’allons-nous devenir ? Ouais, j’imagine déjà votre réaction lorsque vous aurez pris connaissance des faits : « Ça n’arrive qu’à ses amis ! » Oui, cela n’arrive qu’à mes amis : qu’y puis-je ? Est-ce de ma faute si les vôtres regardent mais ne voient rien autour d’eux ? Entendent mais n’écoutent pas ce qui se dit et se murmure dans leur entourage ?
Wenceslas – oui, il existe encore des Congolais qui portent des prénoms normaux, et tous mes amis en font partie, contrairement, peut-être, aux vôtres qui s’affublent de prénoms ridicules, rafistolés, du genre Touvidi (pour Tout vient de Dieu), Glodi (pour Gloire à Dieu), Jemajo (pour Jésus-Marie-Joseph), etc. Mon ami Wenceslas, disais-je, n’a pas encore totalisé une année dans son beau studio situé au quartier Beau-Vent, dans les environs de la Cité de la Radiotélévision nationale qu’il doit déjà déménager malgré lui et … en coup de vent !
Pourtant, il se plaisait fort bien sur ce site hybride, un îlot coquet en pleine cité populaire et à proximité du centre-ville, où il était venu entre autres noyer une déception sentimentale. La raison de son départ ? Ses voisines et surtout sa jeune voisine de palier. Avec la chaleur légendaire de la capitale, WC (ainsi l’appellent affectueusement ses proches) s’est vu fréquemment obligé, à l’instar d’autres Beauventois, de prendre de l’air frais dehors. Pour lui, c’était plus indiqué, évidemment, au balcon de l’immeuble où il habitait. Et là, quel spectacle diabolique !
Sa voisine, trentenaire célibataire mais néanmoins mère d’une enfant, sans se soucier le moins du monde du qu’en-dira-t-on, étalait crânement tout ce qu’elle a d’intime dans sa pulpeuse anatomie. En fait, c’est toute la journée et par tous les temps que WC avait droit à ce strip-tease gratuit : poitrine en rébellion, ventre et cuisses en promotion, etc.
N’en pouvant plus, mon ami a, dans un premier réflexe, cherché à banaliser, à ignorer le spectacle offert. Mais cette stratégie n’a ni impressionné ni dissuadé l’exhibitionniste. Il s’est alors dit : « Aux grands maux, les grands remèdes ! » Ne sachant comment aborder lui-même l’effrontée, il décide de rédiger une plainte au propriétaire de l’immeuble, plainte qu’il dépose dans la boîte aux suggestions et réclamations (sic !) prévue à cet effet au rez-de-chaussée de l’immeuble. Erreur fatale !
Si mon ami WC s’était donné la peine de fréquenter davantage les quartiers populaires de Kinshasa (il le fait depuis), il se serait rendu compte que la mode aujourd’hui pour la jeunesse kinoise, tous sexes confondus, est aux fringues qui laissent certaines parties du corps à l’air libre. Et qu’il n’y avait par conséquent pas de quoi se faire du mouron avec les extravagances de sa sulfureuse voisine.
S’il l’avait su, il n’aurait pas glissé sa plainte dans cette boîte de malheurs car, deux jours plus tard, il recevait chez lui, dès potron-minet, la visite du propriétaire de l’immeuble qu’il ne connaissait pas et qui n’était autre que le concubin de sa voisine. Il venait lui notifier la fin de son bail et l’ordre de déguerpir illico presto.
Ah, mon cher Wenceslas, les mœurs se meurent ! Ô tempora, ô mores ! J’enrage !