LA RÉPUBLIQUE démocratique du Congo a reçu de la Banque mondiale un financement additionnel de 50 millions de dollars. L’argent va aider à financer le Projet de renforcement de la redevabilité et de la gestion des finances publiques (Profit-Congo) dont la coordination et la gestion sont placées sous la responsabilité du Comité d’orientation de la réforme des finances publiques (COREF).
Les services, au titre de ce contrat, portent sur les prestations du consultant (auditeur) visant la vérification du degré de transparence et des conditions de régularité des procédures d’élaboration, de passation et d’exécution des marchés publics, des avenants et marchés complémentaires conclus au titre des exercices budgétaires 2014, 2015 et 2016 par les autorités contractantes tant au niveau central que provincial.
Traitement des recours
La mission du consultant consistera entre autres à fournir, autant que possible, une opinion sur la qualité des contrats, incluant les aspects techniques, économiques et juridiques à partir des recommandations pertinentes des rapports d’audit annuels portant sur les exercices budgétaires 2011, 2012, et 2013. Le consultant appréciera également le degré de mise en œuvre par les organes de gestion et de contrôle des marchés publics ainsi que les autorités contractantes, des recommandations et du respect des feuilles de route y afférentes.
Autre mission : évaluer l’exhaustivité, l’efficacité et la pertinence du traitement des recours des soumissionnaires par l’organe compétent au regard de la réglementation en vigueur. Par ailleurs, les consultants peuvent s’associer avec d’autres firmes pour renforcer leurs compétences respectives en la forme d’un groupement solidaire.
L’audit réalisé sur les marchés publics passés en RDC en 2012 par le cabinet d’audit sénégalais Business System Consult Group a confirmé les critiques émises par la Banque mondiale sur « la maffia caractéristique du système » des passations des marchés publics en RDC. « En plus de causes liées au dysfonctionnement du système budgétaire, le faible taux d’exécution des marchés publics est aussi dû à des problèmes du processus de passation des marchés », note la Banque mondiale. Entre 2008 et 2012, que du gâchis !, à en juger par le rapport de la Banque mondiale. « Même lorsque les fonds sont disponibles et alloués, le taux d’exécution des programmes reste faible… et reflète en grande partie des déficiences du processus de passation des marchés », poursuit le rapport de la Banque mondiale. Qui souligne que bon nombre de contrats ont été à l’arrêt pendant de longues périodes, et finalement résiliés puis réadjugés avec à la clé un gaspillage important des ressources.
Le cabinet sénégalais va plus en profondeur en citant nommément entreprises et institutions politiques, dont des ministères, qui sont totalement trempés dans des chinoiseries de bric et de broc pour maquiller la corruption dans les passations des marchés publics.
Refus de collaborer
Le Sénat, l’Assemblée nationale, l’Inspection générale des finances, la Cour des comptes, le ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire n’ont pas collaboré à une enquête sur la régularité des marchés publics qu’ils ont passés en 2012, lit-on dans un rapport de Business System Consult Group. Le cabinet sénégalais a, en effet, bouclé son travail en 2015 et l’a rendu public, il y a peu. Les différentes institutions précitées ont carrément refusé l’accès aux « documents et informations requis », note-t-il.
Business System Consult Group s’est réservé de faire le moindre commentaire sur les ministères des Transports, du Genre et de la Famille, du Développement rural, des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstructions ainsi que sur des entreprises et établissements, comme OVD, Office des routes, REGIDESO, DGI, etc., « en raison de nombreuses limitations à l’étendue de nos travaux ». Aucune institution de l’État n’a totalement collaboré à l’enquête, laisse comprendre le cabinet d’audit, d’autant plus que nul n’a reçu la mention satisfaction.
Hélas, aucune sanction n’a suivi, par ailleurs. Aucune réforme non plus. La lourdeur administrative dénoncée par la Banque mondiale s’affermit davantage. Quatre organes interviennent, en effet, dans le processus de passation des marchés publics. D’abord, le régulateur, l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) coiffée par la primature. L’ARMP est chargée de la réglementation ainsi que du contrôle a posteriori, c’est-à-dire des audits annuels, la revue de la performance du système, etc.
Ensuite, la Direction générale du contrôle des marchés publics (DGCMP) qui relève du ministère du Budget et est chargée du contrôle a priori par émission des non-objections aux diverses phases de processus. Puis, les Cellules de gestion des projets et des marchés publics (CGPMP) placées sous l’autorité administrative des autorités contractantes. Elles initient le processus de passation des marchés et préparent des dossiers et assurent la responsabilité d’exécution des contrats. Et enfin, les autorités approbatrices, à savoir le 1ER Ministre pour les appels d’offre internationaux, le ministre du Budget pour les appels d’offre nationaux, ainsi que les ministres de tutelle pour les établissements publics.
Un autre audit couvrant les exercices 2012 et 2013 est mené par un cabinet congolais, cette fois : le Bureau d’expertises comptables et de commissariat aux comptes (BEC Sarl). L’audit est, en effet, qualifié d’« audit définitif de conformité des marchés publics » et est réalisé à la demande de l’ARMP. Il prouve à suffisance que « les marchés publics congolais évoluent plutôt dans le marché noir ». L’étude de BEC Sarl a, en effet, porté sur 1 537 marchés publics d’une valeur de 2 164 341 215, 84 dollars. « La plupart des marchés initiés par la procédure dérogatoire de gré à gré n’ont aucunement respecté les dispositions de l’article 42 de la loi 10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics et des articles 143, 144 et 145 du décret n°10/22 du 22 juin 2010 portant manuel des procédures de la loi relative aux marchés publics, si bien que les marchés dérogatoires (gré à gré) représentent en termes de volume 48.48 % », lit-on dans son rapport.
La culture du gré à gré
Le BEC Sarl rappelle que les conditions essentielles pour obtenir un marché de gré à gré portent sur la détention d’un brevet d’invention, d’une licence ou d’un droit exclusif, les raisons techniques ou artistiques détenues par un seul prestataire, l’extrême urgence, les marchés spéciaux…
Hélas, ces conditions ne sont pas toujours respectées. Et la DGCMP se retrouve enjambée sinon complice des forfaitures dans les marchés dérogatoires. L’autorité spéciale de la DGCMP a été accordée en violation de la loi pour le marché conclu entre l’Office des routes (OR) et la firme SGBTP pour un montant de 174 424,74 dollars portant sur les travaux de sauvegarde de la route nationale RN1, tronçon Kenge-Kikwit. Il s’y ajoute, poursuit l’audit, que ce contrat n’a même pas été soumis à l’autorité d’approbation, le ministère de tutelle, donc celui des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction (ITPR).
BEC Sarl fait également état de ce marché non prévu dans le plan prévisionnel initial des passations des marchés, relatif aux travaux de lutte antiérosive du site Bolikango dans la commune de Ngaliema attribués par l’Office des voiries et drainages (OVD) à la société chinoise Zhengwei Technic Congo pour un montant de 2 294 840, 22 dollars, toutes taxes confondues. Ce marché a été attribué et son exécution entamée bien avant la formulation de la demande d’autorisation de passer un marché en attente directe (gré à gré).
L’audit du BEC Sarl met notamment à nu les pratiques du Bureau central de coordination des projets (BCECO), pour des marchés de gré à gré.