La plupart des personnes âgées de dix à vingt-cinq ans se livrent à des pratiques dangereuses, selon une récente enquête du Programme national de la santé de l’adolescent. Parmi ces pratiques, l’interruption volontaire de grossesse, qui a pris des proportions inquiétantes, occupe une bonne place.
La dernière enquête en date du Programme national de la santé de l’adolescent (PNSA) est une mine d’informations intéressantes pour les chercheurs. Elle révèle, par exemple, que plus de la moitié des 20 millions d’adolescents congolais n’ont pas accès aux soins de santé appropriés. Plus grave, la plupart des jeunes âgés de dix à vingt-cinq ans se livrent à des pratiques nuisibles à leur santé. Selon les données actualisées du PNSA, la pratique d’interruption volontaire de grossesse (IVG) a pris des proportions alarmantes : plus de 40 % des jeunes s’y adonnent chaque année. Dans leurs rapports sexuels, la majorité des adolescents ne font pas un usage strict du préservatif. Pourtant, celui-ci est distribué gratuitement par des ONG ou vendu dans les officines à 50 francs la petite boîte de trois pièces. Cette situation inquiète l’Organisation mondiale de la santé (OMS), particulièrement en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne où des milliers de filles et femmes meurent dans l’indifférence chaque année, à cause d’avortements clandestins, dus notamment à des lois très répressives.
Banalisation
En République démocratique du Congo, l’IVG est devenue un fait banal, selon le sociologue Adrien Makengele. Il explique ce phénomène par la perte de repères moraux et de la tradition, surtout en milieu urbain, à cause de la précarité de la vie sociale depuis plus de trois décennies. Au siège du PNSA, on souligne que l’abstinence ne joue plus pleinement son rôle de régulation de la fécondité comme le montrent les chiffres sur les avortements pratiqués à Kinshasa et dans les provinces. Les raisons de l’avortement volontaire sont variés et variables, selon l’âge et la situation des filles et femmes ; selon leur statut social, leurs conditions de vie et leurs possibilités d’accès à la planification familiale… Elles sont également liées à la perception de la fécondité dans la société et du statut social acquis par la femme à travers la maternité, ainsi que de l’acceptation des grossesses hors mariage. La majorité des filles et femmes interrogées considèrent l’avortement plutôt comme une réponse à une grossesse non désirée. Pour la simple raison que la grossesse chez une mineure, une fille encore aux études ou une célibataire est généralement perçue comme une honte pour la famille. Chez les femmes mariées, l’avortement est une manière d’espacer les naissances. L’enquête du PNSA montre que, dans la plupart des cas, les filles et les femmes mettent en avant le fait que les enfants coûtent actuellement cher. Les élever convenablement, c’est-à-dire les nourrir, les soigner et les instruire signifie qu’il faut avoir des ressources suffisantes pour faire face aux dépenses. La situation devient plus complexe quand l’auteur de la grossesse refuse de la reconnaître.
Pratique prohibée mais lucrative
Le code pénal (articles 165 et 166) punit l’avortement sur soi-même de cinq à dix ans de servitude pénale principale et de cinq à quinze ans quand c’est le fait d’autrui. Mais la loi retient des circonstances atténuantes dans lesquelles l’interruption volontaire de grossesse est autorisée : le viol, l’inceste ou en cas de danger pour la vie de la mère, de risque de santé physique ou de malformation congénitale. Malgré la sévérité de la loi, l’avortement a une portée sociale. C’est ainsi que les filles célibataires font tout pour avorter car la société fonctionne encore sur le mode ancestral. Cependant, seules les filles qui disposent de moyens peuvent recourir à l’avortement dans des hôpitaux avec un personnel médical qualifié, tandis que les démunies n’ont d’autre choix que de recourir à des méthodes abortives (médicaments et curetage) dangereuses pour leur santé ou à des charlatans ou infirmiers mus uniquement par l’appât du gain. À Kinshasa, dans certains centres de santé, le personnel ne s’en cache pas. Les avortements clandestins sont pratiqués parfois au su et vu de tout le monde. E. N, un assistant médical, est le propriétaire d’un centre de santé à Matonge, dans la commune de Kalamu. Il est connu des filles comme spécialiste d’avortements. M. Musau, 24 ans, étudiante en droit à l’université de Kinshasa, confie l’avoir consulté plus de quatre fois pour avorter. À l’époque, dit-elle, elle ne pouvait pas garder ses grossesses parce que ses parents la considéraient comme une « fille exemplaire ». A. Mbombo, 40 ans, regrette d’avoir avorté plus de huit fois dans son adolescence. Aujourd’hui, elle ne peut plus avoir d’enfants suite à une complication post-avortement ayant entraîné une hospitalisation. Dans la commune de Masina, les centres médicaux et les infirmiers qui font avorter les filles, sont bien connus de jeunes, filles et garçons. Partout, dans la capitale, un avortement clandestin coûte en moyenne 100 dollars. C’est souvent dans des conditions sanitaires qui laissent à désirer. D’autres louent une chambre dans des hôtels de fortune pour le faire. Ce qui entraîne des infections, voire des complications provoquant la stérilité ou la mort faute d’avoir contacté un médecin ou un hôpital.
Selon une enquête réalisée par une équipe de l’ONG Libota malamu dans la commune de Kisenso, les filles meurent de plus en plus suite aux avortements : au moins un décès sur sept cas d’avortement par trimestre. Malgré les actions des agents communautaires, les jeunes filles ne maîtrisent pas leur sexualité. Les grossesses sont devenues monnaie courante et sont même à l’origine de conflits entre parents et familles. Les litiges atterrissent souvent au commissariat de police. L’âge des filles enceintes varie entre 12 et 25 ans. La plupart des jeunes filles ont eu leurs premiers rapports sexuels à 13 ans. Dans une étude menée dans les quartiers périphériques défavorisés de Kinshasa, l’ONG Santé pour tous est parvenue à ce constat : chez les adolescentes, une fille sur quatre âgée de 15 à 19 ans, a déjà commencé sa vie féconde (24 %). Une fille sur cinq est mère et une fille sur huit est tombée enceinte pour la première fois.
L’âge moyen à la première union des hommes est de 35 ans, tandis que celui des femmes se situa à 25 ans. Les femmes de 25 à 49 ans ont eu leurs premiers rapports sexuels à 16,8 ans ; une femme sur cinq (22 %) avant l’âge de 15 ans. Selon la même étude, les filles ont leurs premiers rapports sexuels avant le mariage. Pour les garçons, la moyenne des premiers rapports sexuels est de 17,9 ans.
À l’université de Kinshasa, la majorité des étudiants estime qu’il est temps de dépénaliser l’avortement. D’autres pensent, par contre, que l’avortement ne devrait être autorisé que dans certains cas objectifs, notamment quand la fille et l’auteur de la grossesse ne s’accordent pas sur la nécessité de la garder. Selon Béatrice Ndombe, activiste des droits de la femme et de la jeune fille, il est temps que la société s’interroge sur la réponse à donner aux grossesses non désirées. Face aux risques de santé que courent les jeunes, le PNSA se concerte avec ses principaux partenaires, notamment l’OMS et l’UNICEF, afin de définir la nouvelle stratégie nationale de santé pour les adolescents.
D’habitude, le plan stratégique porte sur les directives et les normes qui servent d’instrument de travail pour la promotion de la santé de l’adolescent et de son développement sain en rapport avec les Objectifs du développement durable (ODD). La nouvelle politique nationale devra également tenir compte de la situation politico-administrative nouvelle dans le pays à la suite du découpage territorial. Les responsables du PNSA soutiennent que la nouvelle feuille de route sera le résultat de plusieurs consultations et orientera, dorénavant, toutes les actions des opérateurs sanitaires en matière de prise en charge des problèmes des jeunes en République démocratique du Congo.