« Le premier mauvais client qui fait chuter les banques, c’est l’État et ses démembrements. » Cette phrase assassine lâchée par le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Deogracias Mutombo Mwana Nyembo, en pleine conférence sur le climat des affaires en République démocratique du Congo, est un direct à l’estomac. Même si elle a soulevé une valse d’applaudissement dans la salle, pour les initiés, ce « constat » du gouverneur de la BCC est un « non événement ». Mais le fait de le dire dans une conférence consacrée au climat des affaires, et donc aux investisseurs, change tout.
Quelles ont été les motivations réelles du Gouv’ de la BCC est quel est le message subliminal qu’il a voulu bien passer dans l’opinion ? Sur la forme, le coup de communication de Deogracias Mutombo résonne comme une charge. Mais une charge contre qui ? Contre le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, son ministre de tutelle, cet homme pondéré ; contre le ministre d’État en charge de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba ; ou contre le 1ER Ministre, Bruno Tshibala, qui est arrivé à peine aux affaires ; ou encore contre le président de la République, Joseph Kabila Kabange, qui l’a nommé à ce poste ? À quoi Mutombo Mwana Nyembo a-t-il voulu jouer ? Au matamore ou au boutefeu ? Pourquoi un homme d’État astreint au devoir de réserve a-t-il pu se comporter de la sorte?
La démission
C’était sans précédent. Jeudi 31 août, tout observateur avisé voulait savoir et comprendre le mystère de cette communication aux allures d’un camouflet. En effet, l’acte posé par le gouverneur de la Banque centrale du Congo ne pouvait ne pas avoir des suites. Et d’importantes suites. Ailleurs, aussitôt après ou le lendemain, un tel acte conduit ipso facto à la démission ou à quelque-chose qui y ressemble. Et la justice, la vraie, ouvre une information judiciaire… Pour l’anecdote, recevant les délégués de la jeunesse estudiantine du MPR, dont je fus membre, Léon Kengo wa Dondo, alors 1ER Ministre de Mobutu dans les années 1980, déclara : « Une autorité ne se plaint pas, elle agit ». En France, le socialiste Jean Pierre Chevènement eut cette phrase : « Un ministre, ça la ferme ou ça démissionne ». Dommage, dans notre pays, on n’a pas la culture de probité morale.
Ne nous emballons pas outre mesure, et surtout ne sortons pas du contexte dans lequel cette « sentence » a été prononcée. Deogracias Mutombo a évoqué ce constat parmi les facteurs à la base du déclin de la Banque internationale pour l’Afrique au Congo (BIAC). Entre autres facteurs, l’ingérence dans la gestion du système financier national dont la tâche de régulation et de supervision est exclusivement reconnue à la Banque centrale et l’apathie de la justice congolaise. Le Gouv’ de la Banque centrale l’a chargée d’avoir joué « un rôle dans le statu quo observé » quant à la recherche d’un repreneur pour cette banque commerciale en faillite ».
Sur le fond, le gouverneur de la BCC a remis sur la table la problématique de l’indépendance de la Banque centrale. En mai 2016, l’Assemblée nationale a enjoint le gouvernement Matata, débiteur de la BIAC, de « rembourser dans un bref délai les 30 millions de dollars de la BIAC ». Selon Deogracias Mutombo, « n’eut été l’interférence de certaines personnes, la BIAC ne se serait pas écoulée ». Les élus avaient invité le 1ER Ministre de l’époque à respecter scrupuleusement l’indépendance constitutionnelle de la BCC dans son rôle de réguler le marché financier en RDC, « d’autant plus qu’il a été constaté une certaine violation de cette indépendance par le gouvernement ».
« Il faut laisser à la Banque centrale gérer les problèmes financiers. Il faut éviter de vous ingérer », a insisté Deogracias Mutombo. « Il faut que la justice nous aide. Il ne faut pas une justice corrompue ». Allusion à l’épisode du conflit qui a opposé son institution aux propriétaires de la BIAC. En effet, les Blattner qui avaient saisi le Tribunal de commerce ont eu raison sur la BCC. Et pourtant, cette dernière était déjà en discussion avec un investisseur chinois prêt à reprendre la BIAC pour 12 millions de dollars. « La justice a même condamné la Banque Centrale parce que ces défaillants gestionnaires sont allés se plaindre au Tribunal de commerce (…) Moi, j’ai demandé qu’on mette de gens en prison. On ne les met pas en prison. Ils sont en train de sabrer des champagnes tous les jours. Vous trouver ça normal ? Et vous demandez que fait la Banque. » Comme on peut le constater, Deogracias Mutombo avoue son impuissance. Quels pouvoirs alors pour la Banque centrale relookée ? La réforme opérée sur l’organisation et le fonctionnement de l’Institut d’émission ouvre-t-elle des perspectives nouvelles ? La recapitalisation est une étape gagnée, mais les autres réformes institutionnelles, politiques et opérationnelles sont nécessaires pour renforcer la crédibilité et améliorer l’efficacité de la politique monétaire.