Au pouvoir depuis vingt-sept ans, le président burkinabè a été contraint à la démission, le 30 octobre, par la population qui était descendue par centaines de milliers dans la rue pour s’opposer à sa tentative de modifier la Constitution afin de s’éterniser à la tête du pays.
A une certaine époque, on l’appelait « le beau Blaise ». Il avait un visage d’ange qui ne laissait pas indifférentes les dames. Les années passant, les traits du « beau Blaise », 63 ans aujourd’hui, se sont épaissis, mais l’homme a toujours bonne allure. Pourtant, il a suffi d’une journée pour que Blaise Compaoré, qui a peut-être commis l’erreur de croire qu’en politique tout est acquis et que ses compatriotes sont un troupeau de moutons prêts à aller en bêlant dans la direction qu’impose le berger, tombe de son piédestal. Le 30 octobre, la révolution des spatules a eu raison de son entêtement à vouloir changer la loi fondamentale, spécialement son article 37, qui limite le nombre de mandats présidentiels. Face à l’ampleur des manifestations, il a tenté de faire marche arrière, lorsque la foule a pris d’assaut le siège de l’Assemblée nationale, où son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) était majoritaire et bénéficiait du soutien du troisième parti du pays, l’Alliance pour la démocratie et le progrès/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) et de celui de la Convention des forces républicaines (CFR). Si l’Assemblée nationale s’était prononcée à la majorité qualifiée, soit 97 voix sur 127, la révision de la Constitution aurait été entérinée et appliquée. Au contraire, en cas de majorité simple, entre 64 et 95 voix, il aurait fallu recourir au référendum. La détermination des manifestants a été telle que Blaise Compaoré a voulu changer de cap. « J’ai entendu le message, je l’ai compris et pris la juste mesure des fortes aspirations au changement », a-t-il déclaré. Dans la foulée, il a dissous le gouvernement, retiré le projet de loi, avant de l’annuler, et proposé des pourparlers pour une période de transition. Mais l’opposition, la société civile et la rue sont restées fermes en faisant de son départ un préalable à toute négociation. Acculé, le désormais ex-président, dont le mandat devait se terminer fin 2015, a déposé les armes, avant de sortir par la fenêtre, toute gloire perdue. Dans une interview à un confrère, en juillet dernier, Blaise Compaoré affirmait : « Battons-nous justement pour des scrutins véritablement démocratiques plutôt que pour des verrous constitutionnels destinés à limiter la durée de vie au pouvoir. Au Burkina, notre histoire prouve que les gens sont mûrs, qu’ils peuvent faire leur choix en toute sincérité. » Il disait également : « Je n’ai aucun problème à écouter les autres, ni même à recevoir des leçons. Mais ce qui m’intéresse le plus, c’est ce que pensent les Burkinabè. » En voulant retailler la Constitution à son avantage, l’ex-président envisageait-il de diriger le Burkina Faso à vie ? Le doute n’est pas permis là-dessus, ainsi que le prouve cette autre déclaration de sa part : « Je n’ai pas envie d’assister à l’effondrement de mon pays pendant que je me repose ou parcours le monde. » Il avait, donc, une vision presque messianique du pouvoir et une croyance au fait que, sans lui, le Burkina Faso serait tout simplement un déluge de larmes. En août dernier, lors du sommet entre les États-Unis et l’Afrique, à Washington, Blaise Compaoré ne s’était pas empêché de dire que le continent avait plus besoin d’ « hommes forts que d’institutions fortes », prenant le contrepied du credo du président américain, Barack Obama. Il se croyait certainement encore au vingtième siècle, à l’époque des « pères de la nation », comme son parrain, l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, qui a dominé la scène politique de son pays à partir des années 1940 jusqu’à sa mort en 1993, avec une présence de trente-trois ans à la tête de l’état.
Burkina Faso aujourd’hui, Haute-Volta hier
Ce qui s’est passé au Burkina Faso le 30 octobre n’est pas tout à fait nouveau. En remontant plus loin dans le temps, on trouve un précédent. C’était en 1966. Le Burkina Faso, alors Haute-Volta, est dirigé par Maurice Yaméogo, un ancien séminariste passé maître dans l’art de la volte-face et très proche d’Houphouët-Boigny. Yaméogo, contrairement à Compaoré, assez austère, aime les frasques. Plus souvent qu’il ne faut, il défraie la chronique. Une fois, il embastille sa femme, dont il se sépare par la suite et se remarie, en grande pompe, avec une miss Côte d’Ivoire. Le peuple, qui tire le diable par la queue, comme aujourd’hui, n’apprécie pas ce comportement ostentatoire. Dans la foulée, le président dissout les syndicats qui revendiquent des salaires décents et des conditions de vie acceptables. En décembre 1965, l’agitation sociale reprend. Entre le pouvoir et les syndicats, c’est le début d’un bras de fer. La tension monte d’un cran lorsque, le matin du 3 janvier 1966, la population descend dans la rue pour manifester contre la vie chère. Les manifestants sont prêts à tout. Maurice Yaméogo comprend le message. Dans l’après-midi, il est contraint à la démission, sans effusion de sang. Mais il prend le temps de transmettre le pouvoir à son chef d’état-major, le lieutenant-colonel Sangoulé Lamizana, le plus âgé et le plus gradé des militaires. En comparant les deux situations, l’on se rend compte que, sur le plan social, le Burkina Faso d’aujourd’hui n’est pas différent de la Haute-Volta d’hier. S’il est vrai que le Pays des hommes intègres a réalisé des performances louables en dépit du fait qu’il est classé parmi les plus pauvres du continent et n’a comme premier produit d’exportation que le coton, auquel on peut ajouter l’or, il est encore plus vrai que la condition sociale du plus grand nombre, en majorité des jeunes, ne s’est pas du tout améliorée. La pauvreté est toujours là, rampante, pernicieuse. Résultat: la jeunesse, qui se sent abandonnée, scrute en vain l’horizon pour voir poindre ne serait-ce qu’une mince lueur d’espoir.
Militaire avant tout
C’est dans ce contexte de désespérance aggravée, de grande soif de changement et de lassitude face à un gouvernement impuissant, que Blaise Compaoré avait cru bon de lancer son idée de modification de l’article 37 de la Constitution afin de s’éterniser au pouvoir. Et il n’a pas voulu tenir compte des nombreux signaux que lui envoyaient les Burkinabè dans leur immense majorité : mutineries, grèves… Encore moins des dissidences, et non des moindres, au sein même de son parti, le CDP. L’homme est d’abord un militaire. Né à Ouagadougou en février 1951, Compaoré choisit le métier des armes en 1973, juste après avoir obtenu son baccalauréat l’année précédente. Sa formation commence à l’Ecole militaire interarmes de Yaoundé, au Cameroun. De 1975 à 1976, il se spécialise à l’Ecole d’infanterie de Montpellier, en France, où il suit encore un stage en troupes aéroportées. En 1978, il gagne le Maroc pour un stage d’inspecteur parachutiste. Quatre ans plus tard, Compaoré reprend le chemin de la France pour suivre un stage de perfectionnement d’officier parachutiste à Pau. Sous-lieutenant en 1975, lieutenant en 1977, ses supérieurs l’affectent en 1978 à la Compagnie d’intervention aéroportée de Bobo-Dioulasso. Il sera, en 1980, aide de camp du chef d’état-major des armées, commandant du Centre national d’entraînement commando à Pô, avant d’être promu capitaine en janvier 1983.
A cette époque, la Haute-Volta est dirigée par le commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, chef du Conseil de salut du peuple. Des divergences idéologiques divisent l’armée. En mai 1983, certains officiers sont mis aux arrêts, parmi lesquels un certain capitaine Thomas Sankara. Compaoré, lui, a réussi à passer entre les mailles du filet. A partir de Pô, il s’organise pour libérer ses camarades.
Le 4 août 1983, des commandos placés sous son commandement attaquent Ouagadougou. Jean-Baptiste Ouédraogo est renversé, le Conseil de salut du peuple est remplacé par le Conseil national de la révolution (CNR) avec, à sa tête, Thomas Sankara. Le pays devient Burkina Faso. Au sein du CNR, Compaoré sera ministre d’état délégué à la présidence, puis ministre d’état chargé de la Justice, entre 1983 et le 15 octobre 1987. Mais les membres du CNR ne parlent plus le même langage. Les divisions sont telles que la méfiance et la suspicion s’installent. C’est à qui dégainera le premier. Blaise Compaoré est dans le camp de ceux qui pensent que le problème c’est Thomas Sankara, le fougueux capitaine et chef de l’Etat. Y a-t-il complot ? Certainement. Sankara est assassiné le 15 octobre, en pleine réunion. Compaoré était-il là ? Il a toujours affirmé que, ce jour-là, il était cloué au lit par un accès de fièvre. Pourtant, c’est lui qui devient le numéro un des antisankaristes, qui créent le Front populaire. Pour beaucoup d’observateurs, son rôle dans l’élimination de Sankara ne fait l’ombre d’aucun doute. En décembre 1991, il est élu président de la République au suffrage universel.
Ange et démon
Pendant des années, Blaise Compaoré a été considéré comme celui qui a consacré le clair de son temps à déstabiliser l’Afrique de l’Ouest. On évoque ses relations plus qu’étroites avec Mouammar Kadhafi, Charles Taylor ou, encore, les rebelles sierra-léonais et ivoiriens. On l’accuse d’avoir donné sa bénédiction à des tentatives de putschs au Togo, en Mauritanie… Mais, contre toute attente, Compaoré se transforme en faiseur de paix, en médiateur incontournable qui réconcilie tous les frères ennemis d’Afrique occidentale. Le mauvais garçon devient un sage, un homme plus que fréquentable. C’est lui qui est à la base de la signature de l’accord intertogolais en août 2006 ; de celui entre le gouvernement de Laurent Gbagbo et les rebelles du nord de la Côte d’Ivoire en 2007. La communauté internationale, notamment les bailleurs de fonds, lui accordent leur confiance. D’autant que la paix règne dans son pays et que tout le monde se tourne vers lui en cas de conflit. En 2008, Blaise Compaoré est invité à l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, où il préside une réunion du Conseil de sécurité sur le thème «Médiation et règlement des conflits». Washington lui tend les bras en faisant signer au Burkina Faso l’adhésion au Millenium Challenge Account, un programme américain destiné à la réduction de la pauvreté. A la clé, 481 millions de dollars, sans doute pour féliciter le faiseur de paix qui a pris ses distances vis-à-vis de Kadhafi. Il jouera encore ce rôle de médiateur entre les Guinéens, les Maliens et beaucoup d’autres frères ennemis. Ouagadougou sera aussi une terre de prédilection pour beaucoup de personnages plus ou moins louches, mais accueillis à bras ouverts au palais de Kosyam. Parmi les points noirs de son règne, on retient surtout l’assassinat, en décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo. Le crime aurait été commandité par son frère, François Compaoré. Jusqu’à ce jour, les soupçons continuent de peser sur l’ex-président et son frère. Il lui est aussi reproché de n’avoir jamais dit la vérité sur l’endroit où a été inhumé Sankara et de refuser l’exhumation réclamée par la famille de son ancien camarade.
Une sortie ratée
Que retiendra l’histoire de cet homme à la fois ange et démon, détesté et respecté, mais toujours controversé ? Il y a beaucoup de zones d’ombre dans son parcours. Evidemment, il a essayé de donner une visibilité internationale à son pays écrasé par les rigueurs du Sahel en le transformant en véritable carrefour culturel, artistique et même politique. Mais il a raté sa sortie en voulant rester président à vie. Blaise Compaoré s’était mis à penser, comme quelques-uns de ses pairs, que la démocratie doit être à géométrie variable. Qu’il y a une démocratie à l’africaine, qui consiste en un non respect des règles établies pour les beaux yeux d’un homme qui se croit providentiel. Pourtant, il est prouvé que le fait de toujours tripatouiller les lois fondamentales est un recul pour la démocratie et un affaiblissement des institutions frappées de sclérose. L’ancien président burkinabè aurait dû écouter le chef de l’état français, François Hollande qui, dans une lettre datée du 7 octobre et publiée par Jeune Afrique, lui disait, en parlant de gouvernance et de démocratie : « (…) Le Burkina Faso pourrait être un exemple pour la région si, dans les mois qui viennent, il avançait lui aussi dans cette direction en évitant les risques d’un changement non consensuel de la Constitution. Vous pourriez alors compter sur la France pour vous soutenir, si vous souhaitez mettre votre expérience et vos talents à la disposition de la communauté internationale. » Au vu de ce qui se passe au Burkina Faso depuis sa démission forcée, on ne pourra pas dire de Blaise Compaoré qu’il aura rendu un grand service à son pays. En décembre 2013, lors de la célébration de la fête nationale, il disait : « Nous avons une Constitution dont la référence suprême est le peuple. Si sur une question il n’y a pas de consensus, le peuple sera appelé à dire ce qu’il pense. » Il savait bien que c’était jouer avec le feu. Mais pour quelle raison, après avoir régné pendant vingt-sept ans ? Il le dira peut-être un jour.