DÉCRYPTAGE : Londres et Bruxelles sont pessimistes quant à l’issue des négociations sur un éventuel accord de sortie des Britanniques de l’Union européenne (UE). Les chances d’un accord commercial post-Brexit s’amenuisent chaque jour davantage même si le Royaume-Uni et l’UE vont poursuivre les négociations à Bruxelles pour « voir si un accord de dernière minute peut être trouvé ». Après un entretien téléphonique le dimanche 13 décembre avec Boris Johnson, le 1ER Ministre britannique, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a annoncé la poursuite des négociations sans indiquer la nouvelle date butoir à laquelle le Royaume-Uni et l’UE devront s’entendre sur un accord pour éviter un « no-deal » au 1er janvier.
« Nous pensons tous les deux qu’il est de notre responsabilité de continuer. De ce fait, nous avons mandaté nos négociateurs à poursuivre les discussions et à voir si un accord de dernière minute peut être trouvé », a déclaré Ursula von der Leyen lors d’une brève conférence de presse. Boris Johnson a toutefois prévenu à la télévision britannique qu’un échec des négociations restait le scénario le « plus probable », car Londres et Bruxelles sont « encore très éloignés sur certaines choses essentielles ».
Tout le monde a constaté le vendredi dernier que Londres et Bruxelles affichent encore leur pessimisme sur la possibilité de parvenir à surmonter leurs divergences. Sans accord commercial, les échanges de part et d’autre de la Manche risquent de se faire selon les seules règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), synonymes de droits de douane et de quotas, au risque d’un nouveau choc pour des économies déjà fragilisées par le coronavirus. Pour rappel, le Royaume-Uni, qui a officiellement quitté l’UE le 31 janvier 2020, abandonnera définitivement le marché unique et l’union douanière le 31 décembre.
Points d’achoppement
En dépit d’échanges toujours plus intensifs et d’une dernière salve de négociations qui s’est poursuivie jusqu’à tard dans la nuit samedi entre les deux parties, les divergences semblent inconciliables entre des Britanniques qui veulent retrouver une liberté commerciale totale et des Européens soucieux de protéger leur immense marché unique. Les discussions butent sur trois sujets, à savoir l’accès des pêcheurs européens aux eaux britanniques, la manière de régler les différends dans le futur accord et surtout les conditions que les Européens exigent des Britanniques pour éviter toute concurrence déloyale.
Sur ce dernier point, le plus épineux, les Européens souhaitent s’assurer de la convergence avec le Royaume-Uni de leurs normes sociales, environnementales, fiscales ou sur les aides publiques, pour éviter toute concurrence sauvage. « Il est normal que les concurrents de nos propres entreprises soient exposés aux mêmes conditions sur notre propre marché », a expliqué Ursula von der Leyen lors d’une conférence de presse. Les Européens ne comptent pas obliger le Royaume-Uni à s’adapter à chacune de leurs évolutions législatives, a-t-elle précisé.
Les Britanniques veulent rester « libres, souverains, de décider de ce qu’ils veulent faire ». Dans ce cas, l’UE doit adapter simplement les conditions d’accès à son marché en fonction de la décision de Londres, a laissé entendre von der Leyen qui a déclaré aux dirigeants des 27 réunis en sommet à Bruxelles que les espoirs d’un accord étaient « faibles ». Malgré les sombres prévisions des économistes, le chef du gouvernement conservateur attend de voir une éventuelle « grande proposition » ou « un grand changement » de la part de l’UE.
Berlin, qui assure la présidence tournante de l’UE, et Dublin, en première ligne sur le front du Brexit, tempèrent en jugeant qu’un accord reste « possible ». Commentant l’échéance, un haut responsable européen a ironisé: « C’est au moins la dixième fois depuis septembre qu’on nous dit que c’est le moment décisif. La seule certitude, c’est le 1er janvier, date à laquelle le Royaume-Uni aura quitté le marché unique et l’union douanière. »
Mesures d’urgence
« La géographie est têtue: on va quand même vivre côte à côte », a quant à lui rappelé Emmanuel Macron, le président français, souhaitant un accord « qui préserve les intérêts européens (…) et respecte nos amis britanniques ». L’UE a toutefois déjà prévu des mesures d’urgence en cas de « no deal ». Elles visent à maintenir une connectivité dans le transport routier et aérien pendant six mois, à condition que Londres fasse de même, et à garantir l’accès réciproque aux eaux des deux parties pour les bateaux de pêche en 2021.
En Grande-Bretagne, les milieux financiers se préparent aussi à un « no deal ». « Nous travaillons depuis le referendum (sur le Brexit) de 2016 afin de préparer le système financier à un éventail de possibilités, mais évidemment en se concentrant tout particulièrement sur ce qu’on appelle une sortie sans accord, parce que c’est elle qui a le plus d’implications », a déclaré le vendredi dernier Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, cité par l’agence Press Association (PA).
Selon le Times et le Guardian, quatre navires de 80 m de la Royal Navy seront prêts pour protéger les eaux britanniques dès le 1er janvier en cas de « no deal ». « Le ministère de la Défense a mené une planification intensive et des préparatifs pour s’assurer que la défense soit prête à divers scénarios à la fin de la période de transition », qui se conclut le 31 décembre, a indiqué de son côté un porte-parole du ministère cité par PA. Le gouvernement britannique a exclu de prolonger l’année prochaine les négociations commerciales post-Brexit avec l’UE en cas d’échec à arriver à un compromis d’ici à la fin de cette année.
« Nous sommes prêts à négocier tant qu’il reste du temps disponible, si nous pensons qu’un accord reste possible », a déclaré à la presse le porte-parole de Boris Johnson. Interrogé sur la possibilité d’une reprise des discussions l’année prochaine, sur la base d’un accord provisoire destiné à éviter un « no deal » le 31 décembre, il a répondu : « Je peux l’exclure ». Londres a déjà refusé à de nombreuses reprises toute prolongation de la période de transition suivant la sortie du Royaume-Uni de l’UE, effective le 31 janvier dernier, pendant laquelle il continue de respecter les règles européennes. Mais à un peu plus de trois semaines de l’échéance, Londres et Bruxelles ne sont toujours pas arrivés à s’entendre sur l’accord de libre-échange espéré. Chaque jour qui passe rend plus difficile l’adoption et la ratification d’un compromis dans les temps pour être applicable le 31 décembre. « Actuellement, les négociations semblent bloquées et les obstacles à des progrès demeurent », a déclaré Simon Coveney, le chef de la diplomatie irlandaise au média public RTE après un point tenu par le négociateur européen Michel Barnier avec les ambassadeurs des 27. Il a décrit Michel Barnier comme « très sombre et visiblement très prudent quant à la possibilité de faire des progrès ».