Après l’euphorie de l’inauguration, le premier parc pilote du gouvernement attend toujours l’arrivée des hommes d’affaires. Entre-temps, l’État a lancé seul l’opération de semailles d’une centaine de tonnes de maïs.
Le parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo a été inauguré à la mi-juillet. Mais les premières récoltes n’arrivent pas avant fin février 2015. L’opération de semis de 100 tonnes de maïs qui avait été menée en septembre, ne pourra produire qu’en mars 2015. Avec une étendue de 80 000 hectares, la culture n’a, jusque-là, occupé qu’un espace de 5 000 hectares de maïs.
De l’avis des experts, l’État, qui a aménagé ce cadre, n’attend plus que l’arrivée des investisseurs pour assurer une production totale du parc.
« Tous les regards des Congolais sont rivés sur Bukanga-Lonzo. Si le gouvernement ne le réussit pas, le reste des parcs encore en projet n’aura aucune crédibilité auprès de la population », estime Béni Bongila, agronome et spécialiste en phytotechnie. Pour lui, l’agro-industrie exige une autre politique agricole, notamment celle qui consiste à faciliter la tâche aux investisseurs. Depuis un temps, constate-t-il, il devient difficile pour les opérateurs du secteur d’accéder au crédit agricole au niveau des banques. « L’État a donc le devoir d’attirer le plus d’investisseurs possibles pour que l’agro-industrie résiste longtemps », conclut l’agronome.
C’est cette difficulté qui a laissé stagner le secteur agricole des décennies durant, faute de moyens à la mesure de ses ambitions. Le peu d’intérêt que les institutions bancaires accordent à ce secteur et le climat des affaires sont entre autres des facteurs qui justifient les hésitations des opérateurs privés à rejoindre le projet du gouvernement. Quant il a fallu inaugurer ce site de Bukanga-Lonzo, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Jean-Chrysostome Vahamwiti savait ce que vaut la présence des privés pour la réussite de ce « grenier » : « Si les institutions de l’État peuvent contribuer à l’aménagement des infrastructures publiques, comme les routes, le système d’irrigation, l’électricité, l’eau, etc. Un appel est donc lancé aux investisseurs privés, tant nationaux qu’étrangers ainsi qu’aux partenaires bilatéraux et multilatéraux de la RDC pour s’impliquer dans la dynamique. »
Mais avant que ces investisseurs n’arrivent, Bukanga-Lonzo ne devrait pas rester comme un « éléphant blanc ». Le gouvernement a promis, le 13 novembre, de poursuivre l’opération de semailles. « Nous allons passer à l’autre phase de production dans les mois à venir avec plusieurs millions de tonnes de légumes, notamment le haricot et la tomate », d’après le Premier ministre, Augustin Matata Ponyo.
Problème de politique agricole
« L’instauration d’une agriculture industrielle ne doit pas détruire celle de subsistance », insiste Béni Bongila. « L’investissement que le gouvernement peut faire au niveau de l’agro-industrie ne va pas atteindre directement les paysans, notamment à cause du problème des routes de desserte agricole qui n’existent pas dans certains territoires. » En dépit du succès probant de quelques programmes agricoles aujourd’hui, les failles relevées dans certaines études réalisées en 2012 continuent de persister. Les rapports et témoignages des acteurs sur le terrain indiquaient que, en 2011, les activités du secteur agricole et rural n’étaient pas adéquatement financées. Les infrastructures d’appui à la production, et celles de transport (routes, rail) sont toujours dégradées et peu opérationnelles. C’est ce sous-financement chronique qui a également maintenu près de 70 % de la population congolaise dans la « pauvreté absolue et la faim sévère », d’après un rapport du comité de pilotage des Objectifs du millénaire pour le développement élaboré, en 2012, par le Conseil national des ONG de développement (CNONGD). Ce document indique que les enfants, les jeunes et les femmes en sont les premières victimes.
A en croire Éric Tollens, ingénieur agronome et professeur à l’université de Louvain (Belgique), la part du secteur agricole se situe entre 0 et 2 % du budget national. En plus, le taux de décaissement n’atteint pas les 20 %. Parfois, les projets cofinancés (gouvernement-partenaires) ne reçoivent pas la contrepartie du gouvernement. En conséquence : « La RDC importe de plus en plus de nourriture », avait-il affirmé dans une étude réalisée en 2011 sur le terrain. Il déplorait, en même temps, la mauvaise politique héritée de la Deuxième République qui consiste à octroyer des étendues estimées en milliers d’hectares de terres, restées en jachères pendant des années, avec une majorité de bénéficiaires absentéistes. Cette politique se poursuit, selon lui. Avant d’ajouter que l’exploitation effective de ces concessions ne dépasse guère 10 % et le reste est gardé à des fins spéculatives.
Nouvelles estimations de la production
Avant la construction des nouveaux parcs, il est certain que celui de Bukanga-Lonzo ne produira pas la quantité souhaitée avant fin 2015. Le niveau de production du gouvernement ne dépasse pas les 5 000 hectares. Mais, en attendant, le pays bénéficiera d’une production de 27 000 tonnes de maïs représentant 2 500 camions de dix tonnes, qui viendront déverser, chaque jour, leur contenu à Kinshasa. Véritable pilier de l’économie congolaise, l’agriculture peut contribuer à près de 40 % du produit intérieur brut (PIB) et faire vivre les trois quarts de la population active. Avec 80 millions d’hectares de terres arables, le potentiel agricole du pays est par ailleurs énorme. Pourtant, la production a chuté ces dernières décennies et cela dans toutes les filières, notamment en raison des multiples crises qui ont frappé le pays depuis la fin des années 1990 et qui a eu comme résultat, l’importation d’environ 1,5 milliard de dollars de denrées alimentaires presque chaque année. Si le parc produit la quantité requise, le PIB atteindra un taux supérieur à 6% et la faim sera réduite de plus de 20 %.