Ça plane pour Ethiopian Airlines

« Vous voulez atterrir où ?

– Paris, c’est possible ?

– Bien sûr. De jour ou de nuit ? »

Quelques tapotis sur l’ordinateur du capitaine Elias Katema, vingt ans d’expérience et 14 000 heures de vol au compteur, et l’aéroport Charles-de-Gaulle apparaît soudain à l’horizon, sous un ciel sans tâche. Sans la petite porte située à l’arrière du cockpit menant à une passerelle, puis aux étages d’un bâtiment sans charme à deux pas du périphérique d’Addis Abeba, on se croirait aux commandes d’un vrai Boeing 787, le « dreamliner ». « Pour cet appareil, c’est le seul simulateur de vol en Afrique », se félicite le capitaine avec un sourire satisfait. « Avant, pour ces séances de formation, nous devions à aller à Singapour, Londres ou à Seattle, le siège de Boeing. » Quelques jours plus tôt, le 7 octobre, Ethiopian Airlines a reçu le prix de la compagnie aérienne de l’année, décerné par CAPA, un cabinet de conseil en aviation.

Au premier et dernier étage de locaux qui ont à peine changé en près de 70 ans, le patron d’Ethiopian Airlines, membre de Star Alliance et autoproclamée « plus grande compagnie aérienne d’Afrique », savoure. « En 2014, nos bénéfices étaient de 175 millions de dollars (158,5 millions d’euros). C’est plus que l’ensemble des autres compagnies africaines », assure Tewolde Gebremariam. Difficile à vérifier mais pas impossible. Dans le ciel africain, où l’aviation civile continentale vole plutôt en rase-mottes, la santé financière de la compagnie éthiopienne est quasiment une exception.

Tewolde Gebremariam et ses plus de 9 000 employés ne se contentent pas de survoler un paysage morose. Ethiopian Airlines ambitionne de devenir le principal transporteur aérien africain. Le plan de développement de l’entreprise « Vision 2025 » prévoit de porter la flotte nationale de 77 appareils à 150, et de passer le nombre d’étudiants pilotes, techniciens et hôtesses de l’air qui fréquentent son académie de 1 400 à 4 000. Client fidèle de Boeing, Ethiopian Airlines se permet même de faire jouer la concurrence en commandant à Airbus quatorze A350-900 que le constructeur européen devrait livrer en mai 2016.

Bientôt un nouvel aéroport international

Quelle est la recette éthiopienne ? « Un meilleur management, un meilleur leadership et des dirigeants formés au pays qui ne travaillent pas pour l’argent mais pour le transporteur aérien national », répond sans ciller Tewolde Gebremariam, lui-même un pur produit de la maison. Gérée pour se faire une place sur un marché international très concurrentiel, l’entreprise n’en reste en effet pas moins propriété de l’Etat. Et doit, comme les autres institutions publiques, œuvrer à la « renaissance » de l’Ethiopie qu’orchestre depuis vingt-quatre ans un gouvernement très fier de sa croissance économique à deux chiffres.

Accessoirement, Addis Abeba bénéficie aussi des quelques avantages géographiques et diplomatiques : la capitale éthiopienne accueille le siège de l’Union africaine et une concentration de représentations onusiennes non négligeable. La capitale éthiopienne est un lieu de passage régulier pour les diplomates. La ville est surtout bien située au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, ce qui lui permet de peu à peu damer le pion à son voisin kényan et sa compagnie Kenya Airways.

En 2013, plus de 6 millions de passagers ont transité par l’aéroport international d’Addis Abeba, soit une hausse de 13 % par rapport à l’année précédente, contre 5,8 millions pour l’aéroport de Nairobi, en baisse. Gourmand, le gouvernement éthiopien a annoncé en septembre dernier la construction prochaine d’un nouvel aéroport international dans la banlieue éloignée de la capitale, au bout des 60 kilomètres d’autoroute toute neuve et capable d’accueillir 20 millions de passagers. Soit à peu près l’équivalent des aéroports du Caire, en Egypte, ou de Johannesburg, en Afrique du Sud, situés aux deux extrémités du continent. « Cela fera d’Addis Abeba le carrefour de l’aviation en Afrique », s’est enthousiasmé le ministre des transports Workneh Gebeyehu. A titre de comparaison, l’aéroport Charles-de-Gaulle de Paris gère 64 millions de passagers par an.

Destination Asie

Les destinations desservies par Ethiopian épousent des choix politiques nationaux, voire continentaux, résolument tournés vers les économies émergentes. « L’Asie et la Chine en particulier sont notre priorité. C’est notre marché le plus porteur », confirme le patron de la compagnie. Elle assure ainsi un vol quotidien vers quatre villes chinoises (Pékin, Shanghai, Hongkong, Canton), soit 28 vols par semaine, ce qui évite aux hommes d’affaires angolais, congolais ou nigérians de passer par l’Europe.

Un tropisme asiatique qui fait la joie de He Xupong, un jeune steward guilleret en route vers sa salle de classe de l’académie d’aviation. Lui et 27 autres compatriotes chinois achèvent une formation dans les locaux d’Ethiopian Airlines avant, fin octobre, d’effectuer leurs premiers allers retours entre leur pays et Addis Abeba. Pour l’entreprise éthiopienne, recruter en Chine est devenu une nécessité pour le confort et la sécurité de passagers chinois rarement anglophones. « Mais nous avons aussi des personnels de vols francophones pour nos vols vers l’Afrique de l’Ouest », précise Tewodros Balcha, responsable de l’académie.

« Nous avons investi 80 millions de dollars dans ce centre de formation », explique le patron des lieux, en surplomb d’une piscine où les futures recrues s’entraîneront aux évacuations d’urgence. Plus loin, un groupe de techniciens achève l’installation d’un simulateur de turbulences pour le personnel de vol. « Ce centre est déjà le plus grand d’Afrique », se gargarise Tewodros Balcha. Avec 49 nationalités représentées, pas toutes africaines, c’est certainement l’un des plus cosmopolites.

Dans son bureau, le PDG d’Ethiopian Airlines finit tout de même par nuancer ce tableau idyllique. « Aujourd’hui, 80 % des connexions intercontinentales entre l’Afrique et le reste du monde sont contrôlées par des compagnies non africaines. Le partage du marché est biaisé.

Malheureusement, les gouvernements africains n’agissent pas en faveur d’un marché commun comme le fait l’Union européenne. » Mais si un jour des compagnies aériennes africaines dominent le ciel du continent, Ethiopian Airlines sera sans aucun doute parmi les premiers sur la piste de décollage.