ON A RAREMENT vu une telle ferveur lors d’une inauguration d’usine ces dernières années. Le jeudi 30 septembre, l’usine de l’Office national des produits agricoles du Congo (ONAPAC) sise à la 14è Rue dans la commune de Limete, qui va torréfier le café local a été inaugurée par Jean-Michel Sama Lukonde, le 1ER Ministre.
Applaudissements nourris du personnel, en présence des membres gouvernement, de la présidente du conseil d’administration de l’ONAPAC et des représentants de la société COCOI sous le barnum, pour le chef de l’exécutif qui n’avait pas prévu de prendre la parole à cette occasion. Il faut noter que le programme initial n’avait pas prévu la prise de parole par le Premier Ministre. Mais ému par l’accueil chaleureux qui lui a été réservé par le personnel de l’ONAPC et le propos de la présidente de son conseil d’administration sur l’état de la situation de l’entreprise, Sama Lukonde a tout de même bousculé le protocole pour s’adresser aux agents afin de les rassurer.
« Merci d’abord pour l’accueil que vous m’avez accordé ici en tant que 1ER Ministre. Merci ensuite pour ce message que vous donnez. Aujourd’hui, nous sommes venus pour marquer un moment symbolique, pour montrer qu’il y a de l’espoir au Congo. Il y a de l’espoir lorsqu’on peut voir des agents comme vous, qui, malgré les difficultés, vous ne vous êtes pas découragés », a déclaré Sama Lukonde. Et de poursuivre : « Vous êtes restés debout et vous démontrez aujourd’hui que là où il n’y avait plus rien, c’est possible d’avoir une production. Pour cela, je vais demander que tout le monde vous applaudisse ici. »
Responsabilité historique
Remerciement pour l’accueil chaleureux et encouragement pour la reprise de la production, le 1ERMinistre a qualifié l’événement de « moment symbolique ». Il est temps pour la République démocratique du Congo de se réapproprier sa production de café qui, depuis plusieurs années, fait le bonheur de certains pays voisins. « Aujourd’hui, nous voulons nous réapproprier cette production de café et la vendre à travers le monde, afin de montrer notre identité », a souligner Sama Lukonde.
S’il a tenu à inaugurer personnellement cette usine de torréfaction, a-t-il rappelé, c’est uniquement pour marquer sa responsabilité à la fois politique et historique de promouvoir le made in Congo. C’est la symbolique ou le message subliminal qu’il voulait passer la veille de la journée mondiale de la célébration du café et du cacao. « Je suis venu en ce lieu pour montrer à tous les Congolais, partout où ils sont, que c’est possible de produire localement et d’exporter nos produits. C’est possible de montrer la volonté d’avoir une production agricole locale, et l’ONAPAC aujourd’hui nous le démontre », a déclaré le chef du gouvernement. Maintenant, le défi est de retrouver le pic historique de production 120 000 tonnes de café et le dépasser, a-t-il lancé. Ce défi cadre avec la vision présidentielle qui prône « la revanche du sol sur le sous-sol ». Accompagner un projet qui permet de produire localement, c’est de la responsabilité du gouvernement, a encore souligné le 1ER Ministre. « Le gouvernement des warriors est un gouvernement d’action. Je n’aime pas faire des promesses que nous n’allons pas tenir mais nous allons faire un effort pour prendre en compte votre cahier des charges », a conclu Sama Lukonde, visiblement satisfait de sa visite.
L’usine moderne de torréfaction a été montée sur fonds propres (306 840 euros) de l’Office national des produits agricoles du Congo (ONAPAC), en partenariat public-privé (PPP) avec la Congolaise du commerce et des investissements (COCOI). L’objectif est de promouvoir la consommation du café local en RDC et à l’étranger. Mais le chemin à parcourir est encore long.
Production locale
La production du café au pays est encore loin du pic atteint en 2015 : 18 116 tonnes, soit 2 887 tonnes pour le robusta et 15 229 tonnes pour l’arabica. En 2018, la RDC a produit 11 744 tonnes, dont 5 415 tonnes pour le robusta et 6 329 tonnes pour l’arabica. En juin 2018, le gouvernement a organisé un forum à Kinshasa en vue de « faire un diagnostic complet de la situation du café et du cacao ». Deux filières agricoles dont le pays veut promouvoir la compétitivité et les exportations. Le thème central des assises des trois jours : « La relance des filières café et cacao de la RDC pour l’amélioration de la productivité, de la qualité, de la commercialisation et du climat des affaires ».
Ces assises visaient notamment à « faire les états-généraux des filières caféière et cacaoyère, et à formuler des recommandations pour la compétitivité et la promotion des exportations du café et du cacao congolais ». Pour ce faire, producteurs, exportateurs, transformateurs et distributeurs du secteur, mais aussi gouvernements central et provinciaux, partenaires techniques et financiers (PTF), instituts de recherches agronomiques, ambassades des pays consommateurs, institutions financières… se sont regardés dans les yeux et ont débattu de la question sans détours.
Tout a été passé au peigne fin : la problématique de la production, la recherche, la transformation, les infrastructures, la sécurité, la certification, la normalisation, le marketing, et les opportunités des marchés. Mais aussi le financement, l’investissement, l’environnement des affaires (fiscalité et parafiscalité), le partenariat public-privé, l’autonomisation, la prise en charge des femmes productrices et exportatrices de café et de cacao. Ou encore l’organisation de l’exposition des produits des entreprises du secteur…
Aujourd’hui, différents problèmes entravent encore la production, la transformation, la certification biologique, la recherche agronomique et l’exportation du café et du cacao. Il va falloir y trouver des solutions pragmatiques.
Dans tous les cas, il s’agit d’« assurer l’exposition et la promotion du café et du cacao pour stimuler la population à consommer les produits agricoles locaux » ; d’« encourager les producteurs et les transformateurs locaux à contribuer à l’autosuffisance alimentaire, à la création d’emplois ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie de la population congolaise » ; mais également d’« inciter le gouvernement à mettre en œuvre des stratégies de développement de manière à relancer la transformation par ces deux filières afin de contribuer à la réhabilitation de la RDC à sa place de producteur et exportateur de café et de cacao dans la région de l’Afrique centrale ».
Initiatives à encourager
La RDC comptait plus de 300 exportateurs, mais aujourd’hui, une vingtaine d’entre eux, presque tous situés à l’Est, essaient de garder la tête hors de l’eau. Pour retrouver cette production, les experts estiment qu’il faut notamment gagner la lutte contre la maladie qui sévit dans les plantations de café, et renforcer les mécanismes de financement agricole.
Le café congolais peut compter pour sa relance sur une forte demande internationale, notamment pour le café de spécialité. Plus de 4 500 petits producteurs de café soutenus par l’Agence américaine pour le développement international (USAID) dans la province du Sud-Kivu attirent les acheteurs internationaux et vendent aux compagnies américaines de café, au nombre desquelles figurent Starbucks, Counter Culture Coffee et Sweet Maria. Starbucks commercialise le café du Sud-Kivu dans le cadre de son programme de café dénommé « Starbucks Reserve » qui propose du café de haute qualité issu des quatre coins du monde.
Les fermiers qui ont cultivé et traité ce café font partie du « Kahawa Bora ya Kivu », un projet (2012-2016) financé par l’USAID et la Fondation Howard G. Buffett, qui se propose de revitaliser le secteur du café en RDC.