Cap sur le Makutano, un réseau qui veut conquérir le pays

Depuis deux ans déjà, cette plateforme des hommes et des femmes entrepreneurs offre une expérience unique. Mettre en synergie, de par le monde, les acteurs de l’innovation et du progrès social pour la transformation de la RDC.

 

Du 14 au 16 septembre, Kinshasa a accueilli la 3è édition de Sultani Makutano, organisée autour du thème « Œuvrer à l’industrialisation de la RDC et en finir avec le mythe des matières premières ». Un thème de rigueur pour un pays dont l’économie est mal en point et se cherche des voies de résilience et d’émergence. Quoi de plus normal pour s’attirer les feux de projecteurs de l’actualité. Environ  400 personnes, pas plus, étaient attendues à cet événement. Des chefs d’entreprises sont venus de République du Congo, Cameroun, Gabon, France, Belgique, Émirats arabes, Canada, États-Unis, pour des opportunités d’affaires en République démocratique du Congo. L’homme d’affaires nigérian, Tony Elumelu, parrain de Makutano 3, n’a pas finalement fait le déplacement de Kinshasa. « Il a eu un coup de foudre pour le Makutano et c’est pourquoi, il a décidé de parrainer cette troisième édition qu’il a suivi de près », explique un des organisateurs.  « Son soutien est donc sans faille, car son parrainage permet de donner également une ouverture à la RDC », poursuit-il. Tony Elumelu est à la tête d’une fondation qui offre un soutien aux jeunes entrepreneurs.

La transformation à valeur ajoutée

Pour sa 3è édition, Sultani Makutano a également servi de rampe aux représentants des cinq meilleures start-up congolaises, qui ont bénéficié chacune d’un timing de communication pour vendre un de leurs projets. Sous le regard d’un invité de marque : Luc Gérard, entrepreneur d’origine congolaise, aujourd’hui à la tête de Tribeca Asset Management, l’un des plus grands fonds d’investissement d’Amérique latine. Selon la présidente de Sultani Makutano, Nicole Sulu, l’industrialisation de la RDC est « un passage obligé », si le pays aspire à son développement. Femme entrepreneur aux arguments en béton, elle est convaincue que ce développement passe par une industrie de transformation à valeur ajoutée, surtout dans le secteur agricole. C’est cette vision qui a sous-tendu le thème de la 3è édition du Sultani Makutano. En effet, le 7 juillet, à Paris, lors d’une rencontre du réseau d’affaires de la diaspora congolaise en Europe, Congo Milenium Business Club, cette idée a germé dans les esprits. Mais, en réalité, la motivation profonde est partie d’un constat, « révoltant », des économistes mais aussi des observateurs avisés.

Il s’agit de la dépendance quasi exclusive de l’économie nationale du secteur minier, source des principales recettes budgétaires du pays, mais dont la fixation des cours échappe à son contrôle, a montré ses limites, à la suite de la baisse des cours des matières premières. À défaut d’une industrialisation effective, l’économie congolaise ne pourra être résiliente face aux chocs, endogènes et exogènes. D’où, les voix s’élèvent pour sa diversification. Le 5 avril, comme dans un acte de contrition, le président de la République, Joseph Kabila Kabange, lui-même, a rappelé « la fragilité des fondamentaux de notre tissu économique ». Tournée essentiellement vers le secteur tertiaire, et marquée par l’importation des biens de première nécessité pour la  consommation que nous ne produisons pas. Pour lui, il va sans dire que tant que ce paradigme ne sera pas changé, l’économie congolaise restera « fragile » et fera continuellement les « frais des soubresauts » de la conjoncture économique internationale. Et tant que le système fiscal sera « écrasant, discriminatoire et truffé d’une parafiscalité lourde, le climat des affaires ne sera pas propice à l’investissement productif ni au civisme fiscal. »

Le mieux à faire, c’est de prendre la mesure des défis et poser clairement les bases d’un nouveau paradigme. Il nous faut agir sans plus attendre, c’est-à-dire en plus des investissements publics légitimes, promouvoir le soutien au secteur privé productif à travers particulièrement l’appui direct aux petites et moyennes industries et aux petites et moyennes entreprises (PMI/PME), spécialement celles engagées dans l’agro-industrie et inscrivant leurs activités dans le cadre de la chaîne de valeurs. Le défi à ce point consiste à produire ce que nous consommons et conférer la valeur ajoutée à nos produits destinés, non seulement à la consommation interne, mais aussi à l’exportation, en vue de les rendre plus compétitifs.

Montée en puissance et idées-forces

Depuis deux ans déjà, le Makutano monte en puissance. Ce réseau d’affaires fort, qui regroupe actuellement plus de 400 businessmen et businesswomen congolais à travers le pays ou issus de la diaspora, semble montrer la voie à suivre. Le réseau se tisse autour de quelques idées-forces. D’abord, montrer qu’« il est possible de réussir par le travail ». Le Makutano est un événement qui vise à montrer aux jeunes des « modèles économiques de réussite, loin de la sphère politique ». Ensuite, le Makutano se positionne désormais comme « une autre porte d’entrée en RDC ». Enfin, il se veut « un grand rendez-vous économique mettant en connexion les acteurs de l’innovation et du progrès social congolais ».

Nicole Sulu est satisfaite. Heureuse de constater que plus de 250 membres sont aujourd’hui actifs et s’investissent à fond dans chaque rendez-vous du réseau. Sur une année, le Makutano a organisé plus de six événements : déjeuner-conférence, dîner-débat, participation à la Semaine française de Kinshasa organisée par la Chambre de commerce et d’industrie franco-congolais (CCIFC), etc. Au pays ou à l’étranger, la mobilisation est grande, ce qui la conforte dans son ambition et surtout dans l’idée que le Makutano est sur la bonne voie. « Sinon on n’aurait pas eu un si bel accueil (à Paris, Bruxelles, Genève, Dubaï…), avec beaucoup d’entrepreneurs et beaucoup de projets pour la RDC », dit-elle. Son dada : convaincre, par la persuasion, certains de miser sur la RDC. « Il faut absolument faire ce pari de la RDC, il faut oser la RDC », tel est son argumentaire de campagne.

Quand le Makutano vient à vous, il porte un seul message. L’approche consiste à sensibiliser ceux qui ont un projet en RDC, ceux qui sont intéressés par la RDC et qui ne connaissent peut-être pas très bien les interlocuteurs ou les éventuels partenaires sur place. « Il faut que des investisseurs viennent en RDC, il faut développer l’industrie, créer des emplois et il faut créer de l’emploi avec tout le monde car ce ne sont pas seulement les Congolais qui peuvent le faire. Le Makutano veut rassurer par sa présence et démontrer sa capacité à mieux connecter les hommes d’affaires, trouver des synergies intéressantes et offrir un espace d’échanges à des partenaires potentiels », laisse entendre Nicole Sulu. Ceux-ci auront ainsi à leur disposition une plateforme en RDC où ils peuvent rencontrer les entrepreneurs qui évoluent sur place et discuter des projets.

Le but du Makutano, c’est aussi amener les Congolais le plus loin possible. À cet effet, la fondation de Tony Elumelu réalise un excellent travail. Et le nombre des Congolais qui devraient bénéficier du travail de cette Fondation pourrait être plus élevé. La raison d’être des hommes d’affaires, c’est également de travailler avec les politiques et de s’inscrire dans une continuité. En tant que rencontre d’affaires, le Makutano permet de bénéficier de bonnes opportunités d’affaires et de signer des contrats de partenariats qui s’évaluent à plusieurs milliers de dollars. « Un business sans réseau aura du mal à se développer. On ne peut pas être un homme d’affaires sans un réseau réellement soutenu. », déclare la président de Sultani Makutano.

« C’est maintenant qu’il faut investir au pays. Pas après », lançe-t-elle en direction de la diaspora, le 24 mai, lors d’une rencontre entre le Makutano et un représentant de Bloomberg. Ce rendez-vous qui avait réuni une quinzaine de chefs d’entreprises, était axé sur le nouveau Congo économique à travers les PME qui émergent, au-delà des aspects politiques et sécuritaires. Il y a actuellement des jeunes congolais qui ont investi dans plusieurs domaines et qui réussissent.

Nicole Sulu, telle qu’en elle-même

On ne peut pas dire que Nicole Sulu est un pur produit du hasard dans les affaires. Au contraire, elle s’est nourrie d’expériences, en gérant les affaires familiales dans le charbon ou les produits pharmaceutiques. Puis, c’est à Bruxelles en Belgique qu’elle entreprend des études d’orthophonie. Une fois diplômée, en 2001, elle rentre au pays pour reprendre les affaires de son père, Dr Sulu, atteint d’un cancer. « J’étais pressée de venir l’épauler », confie-t-elle à Jeune Afrique.