Ces chiffres qui font mal à l’estomac !

L’état des finances publiques reste préoccupante et l’exécution du budget de plus en plus difficile malgré les privations. C’est le bilan à quelque deux mois de la fin de l’année que dresse l’argentier national. Face à cette conjoncture, quelles mesures et surtout avec quel leadership gouvernemental? 

L’économie, dit-on, est un thème de vérité et de confiance. Le ministre des Finances, Henri Yav Mulang, ne va pas par le dos de la cuillère pour expliquer pourquoi les recettes de l’État sont en net recul. Lundi 30 octobre, devant le Conseil économique et social présidé par Jean-Pierre Kiwakana, le ministre des Finances a fait preuve de la mesure. Sans passion ni état d’âme, il a ligné les chiffres qui parlent sur la situation économique dans le pays. Des chiffres qui laissent surtout un creux dans l’estomac pour bien faire appréhender la problématique de la baisse des recettes en RDC.

Mi-octobre, le ministre des Finances était à la tête d’une forte délégation aux assemblées annuelles de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI)à Washington. Il y a exposé sur les grandes mesures économiques du gouvernement pour le redressement du cadre macroéconomique. Un vent favorable a fait atterrir sur la rédaction de Business et Finances une copie du condensé de la communication, digne d’intérêt, du ministre Yav devant les institutions de Breton Wood. Lorsqu’il a pris ses fonctions au ministère des Finances, le pays baigne dans une stabilité macroéconomique, attestée au quotidien par des faibles taux d’inflation et de variations peu actives du taux de change sur le marché… Soudain, la chute des prix des matières premières a mis l’économie du pays à genoux, et le ministre des Finances à rude épreuve. Économiste de formation, Henri Yav devait mettre à profit sa solide expérience de l’étranger et des milieux d’affaires pour éviter au pays la banqueroute.

Problématique de la baisse des recettes publiques

À Washington, Henri Yav Mulang a fait remarquer que « l’économie congolaise reste peu diversifiée et essentiellement dominée par le secteur extractif ». La part du secteur extractif dans la croissance du Produit intérieur brut (PIB) réel a été, en moyenne, de 44,8 % entre 2011 et 2014. À partir de mi-2015, le contexte international a été marqué par la chute des cours des matières premières. Le cours du cuivre, qui avait atteint le pic de 6 307 dollars la tonne en mai 2015, a chuté à 4 482 dollars en janvier 2016, soit une baisse de 28,93 %. Dans le même temps, celui du cobalt qui était à 32 775 dollars en janvier 2015 s’est replié de 31,14 % pour tomber à 22 569 dollars en octobre de la même année.

Toutefois, a fait observer le ministre des Finances, sous l’impulsion de la reprise de l’économie mondiale, les cours de ces deux métaux se sont redressés en enregistrant des augmentations de 47,17 % et 192,22 %, respectivement pour le métal rouge et le cobalt entre janvier 2016 et septembre 2017. Avec la chute des cours des matières premières, le secteur des ressources naturelles en RDC s’est effondré, entraînant un ralentissement de l’activité économique. Ainsi, la croissance du PIB réel est passée de 9,5 % en 2014 à 6,9 % en 2015 avant de tomber à 2,4 % en 2016. Suite à la chute des cours des matières premières, la part du secteur extractif dans la croissance du PIB réel est devenue négative en 2016, soit -7,2 % contre 49,3 % en 2014.

Il va sans dire que cette déconvenue a encore des répercussions sur le niveau des recettes internes. La chute des cours des matières premières s’est traduite directement par une diminution des recettes recouvrées dans le secteur des ressources naturelles qui sont passées de 1,1 milliard de dollars en 2015 à 740,5 millions en 2016, soit une baisse de 34 %.

Évolution des recettes internes du Trésor public

À ce contexte international difficile qui a conduit directement à la baisse des recettes des secteurs minier et des hydrocarbures, s’est ajouté en 2016 un certain attentisme de la part des opérateurs économiques entraînant le ralentissement des activités dans les autres secteurs de notre économie. Selon le ministre des Finances, ces deux facteurs couplés à une fiscalité asphyxiante expliquent la chute des recettes dans presque tous les secteurs. Le niveau des recettes qui était déjà bas, autour de 13 % du PIB, entre 2013 et 2014, est tombé à 12 % en 2015 puis 9 % du PIB en 2016. Les recettes internes de l’État sont passées de 4,8 milliards de dollars en 2015 à 3,6 milliards en 2016.Les prévisions pour fin 2017 situent le total des recettes à environ 3 milliards de dollars, soit 8,6 % du PIB, contre 9 % du PIB en 2016. Comme on peut le constater, la situation financière de l’État reste préoccupante et l’exécution du budget de plus en plus difficile.

Comment juguler la crise ?

Quelles sont les mesures prises pour faire face à la baisse des recettes ? La première mesure prise, déjà en 2015, par le gouvernement a été de réduire le train de vie de l’État de 30 %, essentiellement en ce qui concerne les frais de fonctionnement et de mission. Par la suite, le gouvernement a fait adopter par le Parlement une loi de finances rectificative pour l’exercice 2016 en vue d’adapter le niveau des dépenses à celui des recettes. Pour Henri Yav Mulang, l’exécution de cette loi n’a cependant pas permis d’éviter l’accumulation des déficits étant donné la persistance de la baisse des recettes. « Le gouvernement s’est vu de ce fait obligé d’utiliser la quasi-totalité de ses dépôts auprès de la Banque centrale pour financer les dépenses de l’État.

Les dépôts de l’État à la BCC sont passés de 437 milliards de francs en fin 2015 à -72 milliards à fin 2016. Le niveau des dépôts étant devenu négatif à fin 2016, pour éviter tout recours au financement monétaire en 2017 qui aurait conduit le pays à l’hyperinflation, le gouvernement a décidé, dès le début de l’année, de procéder à un ajustement budgétaire avec des mesures au niveau des recettes et des dépenses.

Au niveau des recettes, le dispositif de suivi des régies financières a été renforcé avec un accent particulier sur la lutte contre la fraude: sanctions contre les agents véreux, permutation des agents dont la dernière affectation date de plus de trois 3 ans,…

…assainissement de la profession des commissionnaires en douane aux postes frontières… Compte tenu de la nécessité de réformer le système fiscal national, réputé « asphyxiant et à faible rendement », le gouvernement a organisé un forum national sur la réforme du système fiscal. Ce forum, inclusif et participatif, a permis de dresser un état des lieux du système fiscal en RDC et d’identifier les réformes clés à mettre en œuvre en vue d’améliorer la mobilisation des recettes et le climat des affaires.

Parmi les recommandations, on peut citer : la réduction des taux de certains impôts ; l’augmentation des droits d’accises sur certains  produits ; la révisitation de la nomenclature des droits, taxes et redevances du pouvoir central, des provinces et entités territoriales décentralisées (ETD) en vue d’en réduire le nombre en élaguant les taxes redondantes ou sans justification. La   poursuite   et   le   renforcement   de   l’informatisation   des   services   des administrations fiscales et leur interconnexion ; l’implémentation des caisses enregistreuses pour améliorer la collecte de la TVA; la réduction des exonérations et la consolidation de tous les régimes dérogatoires en un texte unique à intégrer au code général des prélèvements fiscaux et non fiscaux.

Politique budgétaire à court et à moyen terme

Il s’agit de la fusion progressive des administrations fiscales actuelles en une administration unique; l’accélération du processus d’adoption du nouveau code minier qui prévoit, notamment une augmentation du taux de la redevance minière, un alignement des règles d’amortissement au code général des impôts et une augmentation de l’impôt sur les sociétés. Certaines mesures recommandées par le forum sont déjà intégrées dans le projet de loi de finances pour l’exercice 2018. D’autres passeront par des projets de loi spécifiques et nécessiteront un peu plus de temps.

À la suite de l’application de ces mesures, a fait remarquer le ministre des Finances, on a noté une amélioration du solde général des opérations financières du gouvernement par rapport à 2016 ; une relative stabilité du taux de change depuis août après une période de surchauffe entre mai et mi-juillet ; une relative accalmie des prix sur le marché des biens et des services. « En vue de réduire la forte dépendance de notre économie vis-à-vis du secteur extractif, souligne le ministre des Finances, le gouvernement est en train de mettre en place une stratégie de diversification des secteurs de production garantissant une croissance durable et inclusive ».

Cette stratégie vise à transformer une économie de rente en une économie productive qui sera ainsi moins exposée aux fluctuations des aléas des marchés internationaux. Les éléments clés de cette stratégie, explique-t-il, s’articulent autour des axes suivants : accélérer les investissements publics en infrastructure; développer les secteurs stratégiques, notamment de l’agriculture, de l’énergie, des ressources naturelles, de la manufacture et financier. Parallèlement, poursuit-il, le  gouvernement  poursuit les efforts d’amélioration du climat des affaires et de la gouvernance dans la gestion des ressources publiques.

Outre ces mesures visant la mobilisation des recettes internes, le gouvernement poursuit le dialogue avec le FMI, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) en vue de l’obtention d’un appui à la balance des paiements et des appuis budgétaires. Par ailleurs, il s’est engagé dans le processus d’émission des Bons et Obligations du Trésor pour compléter les recettes des régies par l’épargne des opérateurs économiques du secteur privé.

Au niveau des dépenses, le gouvernement a décidé de limiter les ordonnancements au niveau des recettes du mois pour éviter tout recours aux avances de la Banque centrale. En dépit de la contraction des dépenses, un effort est néanmoins fait pour assurer le paiement des dépenses contraignantes relatives, principalement aux salaires des agents et fonctionnaires de l’État, au maintien de la paix, au processus électoral, à la rétrocession aux provinces et au transfert aux régies financières; au service de la dette extérieure.

Discipline budgétaire

En conclusion, la mobilisation des recettes reste faible. La remontée des cours des matières premières observée depuis 2016 n’aura un impact significatif sur les recettes internes du Trésor public qu’à partir de 2018 étant donné ce qui suit: l’impôt sur le bénéfice est calculé sur base de résultat de l’année précédente; la reprise des activités des sous-traitants dans le secteur minier est lente le décalage entre le moment de la production et des exportations dans le secteur minier. Les réformes recommandées par le forum national sur la réforme du système fiscal commenceront à influer positivement sur les recettes qu’à partir de 2018.

Pour le ministre des Finances, « fort de ce qui précède, le gouvernement n’a pas d’autres choix que de poursuivre la discipline budgétaire actuelle pour terminer l’année 2017 en équilibre et éviter tout dérapage prononcé des équilibres macroéconomiques encore précaires ». Néanmoins, le gouvernement estime que, pour les deux mois qui restent, cette orientation de politique budgétaire est la seule indiquée pour préserver la stabilité de la monnaie nationale, ralentir l’inflation et mieux démarrer l’exercice budgétaire 2018.

Le maintien de ces acquis repose à la fois sur une gestion prudente des finances publiques, une rationalisation de la dépense et une sélectivité de celle-ci en faveur de certains secteurs, en particulier les secteurs sociaux, la santé et l’éducation qui sont tout aussi, moteurs de croissance. Bien sûr que la poursuite d’une telle politique de développement passe par la mobilisation optimale des recettes publiques. Des progrès ont été enregistrés mais d’autres nécessitent d’être explorés et exploités.

Pragmatique, le ministre des Finances essaie de mettre en place les éléments stabilisateurs. Cependant, cela ne suffit pas. Il faut un leadership gouvernemental fort pour se sortir de la situation de crise. Pouvons-nous affirmer aujourd’hui que le 1ER Ministre actuel est à la hauteur de la tâche ? Qu’il se préoccupe de la stabilité du cadre macroéconomique ? On a comme l’impression qu’en RDC, les responsables politiques ne cessent de masquer leurs insuffisances en prétextant soi-disant les erreurs du passé. Le conseil des ministres se réunit rarement. Étant donné l’absence certaine d’orthodoxie dans la gestion, il faudra éviter de gouverner par défi, conseille un sage politologue.

La population s’attend logiquement à la présentation de la loi sur la reddition des comptes et du projet de la loi de finances 2018 au Parlement. Les jours passent sans qu’un écho ne vienne de la primature. En 2016, la population s’attendait à un volume de recettes de l’ordre de 21 milliards de dollars. Le projet de loi de finances rectificatif pour 2017 s’est limité à 7 milliards, c’est-à-dire au niveau du budget de 2012. Alors que l’État est en panne de recettes, le 1ER Ministre trouve lieux de suspendre pendant 4 mois les contrôles fiscaux dans les entreprises. Est-ce de la bonne gouvernance ? Plus que jamais, la responsabilité politique du 1ER Ministre est en question.