LE JOUR s’est levé après le 30 décembre 2018. Jour du scrutin présidentiel couplé aux législatives nationales et provinciales. Et le jour s’est levé encore le 10 janvier. Après l’annonce, vers les petites heures du matin, du nom du vainqueur de l’élection présidentielle par la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
La République démocratique du Congo s’en remet petit à petit. Plusieurs schémas de situations cauchemardesques ont été échafaudés et agités tel un éventail. À gauche tout comme à droite, on fait maintenant le décompte.
Même si le camp politique du président sortant, le Front commun des Congolais (FCC), refuse de mourir du coup porté contre lui – l’avenir nous dira peut-être le contraire – par le non massif des Congolais à sa gouvernance, il est drôlement escagassé. Déjà que, pendant la campagne électorale marquée par le malaise patent de ses propres soutiens qui en disait long, le candidat du FCC ne savait plus bien où il allait.
Le vote du 30 décembre dernier est-il un vote d’inspiration politique ? On n’en doute, sinon qu’il a pesé lourd même si le taux de participation a été en-dessous de 50 %. Le message grinçant du peuple a été entendu. Emmanuel Ramazani Shadari, le dauphin du président sortant, a été victime du coup de caveçon. La fin du double mandat présidentiel de Joseph Kabila Kabange a donc écopé d’une dégelée.
Drapeau noir sur les marmites
Chez d’aucuns, le peuple a sanctionné la posture d’impénitence des Kabilistes ; chez d’autres (ou les mêmes), leur politique d’enrichissement personnel sans cause. En vérité, le vote du 30 décembre a été l’expression du mécontentement social qui accuse surtout l’état de la Nation. Il est saumâtre. Ce mécontentement accuse aussi les nappes de pauvreté qui envahissent la Nation. Les scènes de campagne électorale en disent long.
Derrière le drapeau noir qui flotte sur les marmites, derrière un pouvoir d’achat élimé, ce que la RDC aperçoit dans le miroir électoral, c’est un pays déclinant où les classes moyennes s’essoufflent, où le travailleur pauvre et le chômeur désespèrent. C’est pourquoi la réjouissance des Congolais a été si légitime, le 10 janvier, à travers le pays. Le sentiment du déclin a glissé jusqu’au panier de la ménagère. Il gémit dans les porte-monnaie et a gémi dans les urnes. Désindustrialisation, chômage encore accablant, paupérisation de l’État, incurie, détresses partout répandues, diables qu’on tire par la queue, clochardisation de la rue ! Sans compter la pavane des nouveaux-riches qui plastronnent, le gousset bien garni, et trouvent mauvais qu’on déclame avec les pauvres.
À « Business et Finances », un analyste iconoclaste qui ne met pas son drapeau dans la poche quand il s’agit de la classe politique congolaise, confie : « C’est bien la victoire du peuple et non pas celle des politiciens. Il faudra recadrer les choses comme Patrice Emery Lumumba avait recadré Joseph Kasa-Vubu devant le roi des Belges, Baudouin, en juin1960, c’est-à-dire l’indépendance du Congo n’était pas un cadeau de la Belgique mais le prix de la lutte du peuple congolais. C’est dire que l’alternance n’est pas un cadeau du prince mais elle est la victoire du combat du peuple ». Et il donne toutes les bonnes raisons de croire à ça. De la dépression congolaise, il dit que Joseph Kabila n’est pas le seul responsable. Ses causes – depuis un demi-siècle, on nous les ressassent -, ce sont l’avilissement de l’État-providence, les excès du maternage. Et ce refus des réformes.
Mauvais esprit, pour certains, cet analyste dynamite toutes les « bêteries » que tant de politiciens de tous bords – sans parler des médias – débitent, à longueur d’ondes et de colonnes à propos de l’avenir du pays. Pour aggraver son propos, il dénonce l’arrogance des politiciens ou le fantasme des ultras de tous bords.
Avec l’efficacité d’un rouleau compresseur, il démontre que les mouvements citoyens ont largement contribué au triomphe de l’alternance démocratique (?). De quoi atténuer le triomphalisme niais de ceux qui s’apprêtent à monter au pouvoir. Selon cet aviseur sur la vie politique de la RDC, il faut décidément être bien ignorant pour ne pas appréhender la complexité de la politique en RDC.
Cohabitation d’un nouveau genre
Pour quitter ces sables mouvants, estime-t-il, le nouveau président doit choisir de réformer, en douceur ou en trombe mais de fond en comble, porté par les zéphirs de la croissance. Hélas, en fait de zéphirs, il souffle un fort vent politique contraire. La majorité parlementaire n’a pas changé de camp. Le FCC battu à la présidentielle est majoritaire aux législatives nationales et provinciales. C’est clair, nous allons vers une cohabitation d’un nouveau genre après celle de Mobutu et Tshisekedi (le père) dans les années 1990.
Les soutiens du FCC (Kabilistes) ont tiré le gros lot aux provinciales et aux nationales. Cela veut dire qu’ils gardent les rênes du pouvoir (le gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat, les provinces). Les observateurs ne se laissent pas tromper par Barnabé Kikaya Bin Karubi, le désormais porte-parole du FCC, qui a balayé du revers de la main toute velléité de cohabitation en déclarant que les négociations sont en cours pour une coalition gouvernementale entre le FCC et le CAP. Pour eux, cela signifie que l’UDPS et l’UNC ont basculé dans le giron des Kabilistes (FCC).
« En politique ou en démocratie, coalition veut dire que des forces (partis) politiques s’unissent contre un adversaire commun. Dans le cas d’espèce, qui est l’adversaire commun de la coalition FCC-UDPS-UNC ? », s’interrogent ces experts.
En clair, arguent-ils, on est en face d’« une coopération entre des partis politiques opposés pour assurer le gouvernement ». C’est bien cela la cohabitation en politique. Nous allons donc assister à une cohabitation d’un nouveau type : un président (pouvoir entrant) qui règne et une majorité qui gouverne (pouvoir sortant).
Première remarque : « Le pouvoir sortant va administrer et gérer le Congo utile. Il faut donc abandonner l’idée d’une hyperprésidence pour le nouveau président. En réalité, elle sera beaucoup moins puissante que ne furent ses devancières (Mobutu et Kabila). Le pouvoir local est devenu une réalité forte (cas de Moïse Katumbi Chapwe au Katanga), dont l’existence a limité d’autant le champ d’exercice du pouvoir national. »
Deuxième remarque : « Si puissantes deviennent-elles, les provinces demeurent tributaires, en droit, des compétences que le législateur leur confie et dépendantes, en fait, du montant des dotations que l’État leur accorde. Toutefois, ni la loi ni le budget ne peuvent trop restreindre les initiatives locales, d’autant moins que le concours des collectivités territoriales reste indispensable à la mise en œuvre des politiques nombreuses, même lorsqu’elles sont définies nationalement. »
Cela conduit à la troisième remarque : « Les pouvoirs national et local ont besoin l’un de l’autre. Les conflits politiques existent ; sous-tendus d’oppositions partisanes et d’intérêts électoraux divergents. Pour autant, la situation où l’un tirerait à hue quand l’autre tirerait à dia serait suffisamment nuisible aux deux pour qu’ils veillent à l’éviter. »
Dans une cohabitation, chacun est obsédé par l’échéance électorale suivante et agit en fonction d’elle. Ici, au contraire, les besoins sociaux quotidiens de la population l’emportent sur les batailles politiques à venir et laissent plus de place à une coopération, si difficile puisse-t-elle être parfois.
D’abord, Félix Tshisekedi verra sa « magie » initiale dissipée. Il devra ensuite ne pas distribuer les « cadeaux » en postes et fonctions au gouvernement, dans l’administration publique et dans les entreprises à ceux ses soutiens électoraux et résister à ce que sa « base » lui demandera. Et engager sans broncher les premières réformes économiques d’envergure. Nous lui disons « Bon vent ! ». On lui dit « Bon courage ! ».