ON AURAIT DÛ être tous sceptiques en 2005, quand l’Organisation des Nations Unies (ONU) a lancé sa campagne décennale des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Dix ans après, l’extrême pauvreté n’a pas été éliminée dans le monde. Au contraire, elle demeure encore l’un des grands défis de notre temps et constitue même l’une des principales préoccupations de la communauté internationale. Pour rappel, le Projet du Millénaire des Nations Unies était assorti des cibles à atteindre dans des délais précis, de manière à mesurer les progrès accomplis dans la lutte contre la pauvreté monétaire, la faim, la maladie, l’absence de logements adéquats et l’exclusion ¬ tout en promouvant l’égalité des sexes, la santé, l’éducation et le respect de l’environnement. Ambitieux certes, mais les OMD étaient réalisables, si on y avait mis la foi et la volonté nécessaires. Les études qui ont été produites montrent que l’étroitesse de la base d’imposition limite les recettes potentielles et constitue un frein au développement dans beaucoup de pays en développement, notamment en Afrique.
Trop d’impôts ou trop peu d’impôts ?
Dans les pays africains, comme la République démocratique du Congo, les recettes proviennent surtout des impôts sur les ressources naturelles (redevances sur les royalties et impôts sur les bénéfices des sociétés pétrolières et minières).
Elles mettent également en relief l’importance de l’économie informelle ou souterraine dans les pays en développement, qui est par ailleurs un manque à gagner fiscal. Ces activités vont grosso modo du petit commerce informel, comme les colporteurs et les petites entreprises non déclarées, aux entreprises qui ne déclarent pas leurs bénéfices, et au trafic de drogue et à la contrebande de biens issus de la contrefaçon, entre autres activités du crime organisé.
Dans un excellent article sur la problématique de la fiscalisation du secteur informel congolais à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), Samuel Manzambi-Kavako, expert-comptable congolais chevronné, a analysé, disséqué et donné une réalité concrète à ce phénomène économique (lire édition n°233 de Business et Finances du 29 juillet au 4 août 2019 sous le titre, Fiscalité : TVA dans l’informel, c’est possible). Faut-il imposer « l’économie de la débrouille » ou non ? Ce technicien de la fiscalité ne tranche pas dans le vif. Il pense plutôt à son encadrement. Ce qu’il convient de faire, pense Samuel Manzambi-Kavako, c’est de « mettre en place une politique fiscale adaptée », afin de résoudre la double équation : « trop d’impôts tue l’impôt, mais trop peu d’impôts tue l’État », et « procéder avec un certain discernement et connexité conséquente ».
Outre l’étroitesse de la base d’imposition et le manque à gagner dû à l’économie souterraine, les mêmes études épinglent la détention abusive d’actifs à l’étranger, notamment dans les paradis fiscaux, comme un défi majeur à relever. Selon les experts, le montant exact des pertes de recettes publiques des pays en développement du fait de la fraude, de l’évasion fiscale et du recours aux paradis fiscaux varie selon les estimations. Mais la plupart de celles-ci excèdent le niveau d’aide reçue par les pays en développement, environ 100 milliards de dollars par an.
Des fuites importantes de recettes proviennent aussi du transfert frauduleux de bénéfices vers des juridictions à la fiscalité moins lourde en manipulant les prix de transfert ou en mettant en œuvre une planification et une optimisation fiscale sophistiquées. Le Réseau européen sur la dette et le développement estime à entre 500 et 800 milliards de dollars par an les fuites illicites de capitaux provenant des pays en développement : manipulation des opérations commerciales à des fins fiscales (64 %), activités criminelles (35 %) et versements illicites (5 %). Pour faire simple : 1 dollar versé dans le cadre de l’aide au développement, rapporte 7 dollars par le biais de versements illicites.
Objectif de long terme
Dans cet environnement, le Forum de l’administration fiscale africaine (ATAF), s’emploie à maintenir, tout d’abord, l’objectif de long terme d’une meilleure administration fiscale en Afrique. Au sein de l’organisation, on soutient que c’est même indispensable « pour espérer atteindre les objectifs de développement durable, de réduction de la pauvreté, et d’une meilleure gouvernance sur le continent ». On rassure également sur le Centre fiscal africain, une plateforme de travail multilatéral sur la fiscalité en Afrique, chargé de collecter les informations et les analyses pertinentes, organiser des conférences de haut niveau et des séminaires régionaux, et développer des bonnes pratiques grâce au partage des expériences.
Dans la même perspective, un programme de renforcement des capacités est dédié aux membres de l’ATAF. Le forum vise aussi le dialogue tous azimuts au niveau africain et au niveau international, le renforcement des liens avec des institutions universitaires en Afrique en matière d’éducation, de compétences et de recherches liées à la fiscalité. En toile de fond, la mission générale de l’ATAF est d’aider à la mobilisation plus efficace des ressources nationales et l’amélioration de la redevabilité des gouvernants ou États africains vis-à-vis de leurs citoyens.