CHARLES Aznavour d’origine arménienne a eu droit aux honneurs de la République française. Alors que dans un premier temps sa famille semblait opposée à un hommage national, celle-ci a changé d’avis. Cette cérémonie a été très encadrée. Emmanuel Macron a présidé l’hommage en célébrant le défunt « au nom de la Nation ». Plusieurs grandes figures de la République y ont eu droit ces dernières années comme l’abbé Pierre (2007), Aimé Césaire (2008), ou encore Simone Veil et Jean d’Ormesson (2017). Le coût de cette cérémonie a été pris en charge par l’État.
Dès lundi 1er octobre, dès l’annonce du décès du chanteur à l’âge de 94 ans à son domicile, des parlementaires français, de droite comme de gauche, ainsi que des stars comme Sylvie Vartan ou Mireille Mathieu ont demandé qu’un hommage national lui soit rendu. Michel Drucker, animateur vedette, avait même affirmé sur BFMTV que c’était la volonté de Charles Aznavour. « Il aurait aimé des obsèques nationales parce que lui le petit gars venu de si loin, souffrait de ne pas être dans la bande de trois (Brel, Brassens, Ferré ndlr) », a souligné Michel Drucker.
Charles Aznavour a été inhumé au cimetière de Montfort-L’amaury dans les Yvelines. Toute la famille Aznavour s’est réunie mardi 2 octobre à Mouriès (dans les Bouches-du-Rhône) pour prendre cette décision de façon collégiale. Selon le quotidien « Le Parisien », les discussions ont été longues entre la veuve du chanteur, Ulla, sa sœur Aïda et ses cinq enfants Seda, Katia, Charles, Mischa et Nicolas (qui l’accompagnait depuis 2012 dans sa vie artistique). L’interprète de « La Bohème » repose désormais dans le caveau familial qu’il avait fait construire dans cet ancien cloître du XIIe siècle et où reposent ses parents, Micha et Knar, et son fils Patrick, le troisième de ses 6 enfants, décédé en 1981 à l’âge de 25 ans.
Mort naturelle
Le chanteur est décédé d’une embolie pulmonaire dans sa salle de bains. L’autopsie pratiquée sur son corps a permis d’établir que l’artiste aux 1 400 chansons était décédé de « mort naturelle ». Suite à l’annonce du décès de Charles Aznavour, Patrick Desjardin, procureur de Tarascon, a annoncé à la presse qu’une autopsie du corps serait pratiquée. Les examens ont donc eu lieu mardi 2 octobre au matin au centre hospitalier de Nîmes.
Les médecins expliquent que l’œdème pulmonaire ou encore l’œdème aigu du poumon (OAP) est un « envahissement des alvéoles pulmonaires par du plasma sanguin ». Cette « inondation brutale des alvéoles » empêche une oxygénation correcte du sang avec les risques graves que cela suppose.
L’OAP entraîne une dyspnée, c’est-à-dire un important essoufflement qui fait une apparition brutale, souvent la nuit, et qui oblige le patient à s’asseoir. Une toux sèche accompagne cet essoufflement et parfois la personne émet des crachats mousseux teintés de rose. Ces derniers sont assez caractéristiques de l’œdème pulmonaire. Généralement, la sensation d’étouffement génère une angoisse, aggravée quand elle s’accompagne d’une oppression thoracique.
On retrouve souvent une tachycardie (augmentation du rythme cardiaque) et des palpitations, la respiration se faisant courte, pénible et râlante. La mauvaise oxygénation des tissus entraîne une cyanose des joues et des lèvres qui perdent leur coloration rosée et deviennent blanches, voire bleues.
Il chantait les tabous
Si « le Frank Sinatra français » comme l’appelle les journaux d’Outre-Manche, l’interprète de « Emmenez-moi », n’avait jamais fait part d’un gros souci de santé et s’absentait rarement de la scène, malgré ses 70 ans de carrière depuis quelques temps, il enchaînait les petits problèmes. En avril 2018, l’AFP avait annoncé l’annulation d’un concert à St Petersbourg suite à un malaise de l’artiste pendant les répétitions.
Un mois plus tard Charles Aznavour, était hospitalisé à Nîmes après avoir été victime d’une chute brutale à son domicile ayant entraîné une fracture au bras. L’humoriste Michel Leeb qui avait passé la journée avec le défunt chanteur, s’est dit lui-même choqué par l’annonce de son décès au micro d’Europe 1. « On était chez lui, on a passé 3-4 heures à rire, à faire des projets, à imaginer ce qu’il pouvait faire. Il avait un projet d’album, de comédie musicale et de livre. »
Les chansons de Charles Aznavour font aujourd’hui l’unanimité. Mais au début de sa carrière, certains textes ont été censurés. En 1955, la chanson « Après l’amour » est interdite sur les ondes : les paroles sont trop osées. Mais le titre ne disparaîtra jamais de son tour de chant. Un an plus tard, en 1956, avec « Moi j’fais mon rond », Charles Aznavour se glisse dans la peau d’un proxénète. « Je veux te dire adieu » raconte les affres d’un mari cocu…
Censuré ! Il défend le droit à la différence. Fini le registre coquin, mais Aznavour s’attaque aux tabous de la société. « Mourir d’aimer », c’est l’histoire vraie d’une professeure condamnée pour une liaison avec un élève. Elle se suicide, le drame secoue la France. En 1972, l’homosexualité est encore un délit. Aznavour défend le droit à la différence dans « Comme ils disent ». Charles Aznavour, c’était aussi un regard sur la société française.
Considéré comme l’une des plus grandes figures de la chanson française, Aznavour avait déjà tout prévu pour son départ. Prévoyant, le célèbre artiste, véritable monument de la chanson française, l’était au point d’avoir pensé à l’endroit où il souhaitait être inhumé. « Ma terre est française », déclarait-il en 2009 à « Corse Matin ». « J’ai fait construire un petit caveau dans un cloître du XIIe siècle de ma commune, Montfort-l’Amaury, dans les Yvelines. » Et d’ajouter, en janvier dernier, sur le plateau de l’émission « Thé ou Café », sur France 2, avoir déjà réfléchi aux mots qu’il souhaitait sur sa pierre tombale : « Ci-gît l’homme le plus vieux du cimetière. »
Ulla l’a régulé
Vendredi 28 septembre, invité sur le plateau de « C à Vous », Charles Aznavour confiait que sa femme Ulla lui avait dit : « C’est peut-être l’âge d’arrêter. » Un conseil qu’il ne voulait pas suivre et auquel il a répondu : « Je mourrai alors. Moi je ne peux pas ne pas vivre. Et je vis en scène, je suis heureux en scène et ça se voit. » Le chanteur a tiré sa révérence alors qu’il devait remonter sur scène le mois prochain. Il laisse derrière lui Ulla, avec qui il a été marié plus de cinquante ans, puisqu’ils se sont dit « oui » le 11 janvier 1967.
De son nom de jeune fille, Ulla Thorsell, a été aux côtés du chanteur pendant longtemps. Ensemble, ils ont trois enfants : Katia, née en 1969, Misha, née en 1971, et Nicolas, né en 1977. Ulla est la troisième femme de Charles Aznavour, qui évoquait ses mariages dans les colonnes de « Télé 7 Jours » il y a quelques années. « J’ai été marié trois fois. La première fois, j’étais trop jeune. La deuxième fois, j’étais trop bête. La troisième fois, j’ai épousé une femme qui vient d’une culture différente, plus stricte. J’ai appris des choses, la tolérance, notamment. […] Elle m’a régulé, m’a mis sur un bon rail. » Dans « Le Figaro », il ajoutait : « Je l’ai préservée. Elle n’aime pas être vue dans le public, être prise en photo. Elle m’a fait beaucoup de bien. Elle est protestante, elle fait les choses différemment. Et moi je lui ai appris la folie. » Avec sa première épouse, Micheline Rugel, Charles Aznavour avait eu deux enfants, Seda et Charles, et avec sa deuxième épouse, Evelyne Plessis, un fils, Patrick, décédé à l’âge de 25 ans.