Selon les experts du ministère de l’Environnement, le bureau d’études Cleamag a encaissé environ 50 000 dollars pour éclairer l’État sur la sempiternelle question de la pollution et de la destruction des écosystèmes dans la ville de Muanda par l’entreprise pétrolière PERENCO et ses affiliées. Le dernier audit réalisé sur le sujet remonte à trois ans, à l’initiative du Sénat. Mais il a abouti à une vive polémique.
Dans son rapport publié le 8 novembre 2013, le Sénat avait, en effet, accusé la société pétrolière PERENCO de polluer l’air, l’eau et la terre dans la cité de Muanda. La Chambre haute du Parlement avait notamment déploré « l’irresponsabilité » du gouvernement face à la pollution de cette cité côtière et recommandé à l’exécutif national de « prendre ses responsabilités » et d’« obliger l’entreprise PERENCO à répondre aux recommandations de la commission d’enquête ».
Le syndrome de Stockholm
Par ailleurs, le Sénat avait fait obligation à PERENCO d’« investir dans le respect des normes environnementales » et de « décontaminer le sol et les eaux de cette cité côtière », en assumant ses responsabilités pour le maintien de l’écosystème à Muanda. Il avait notamment recommandé que les fonds issus de la lutte contre la pollution pétrolière, quelque 88 millions de dollars, fussent transférés à la Banque centrale pour une gestion efficiente de la dépollution de la cité, mais aussi des actions sociales en faveur des populations.
Tollé et levée de boucliers au Kongo-Central. Si, pêcheurs angolais et congolais ont approuvé la résolution du Sénat, soutenant que la pollution est à la base de la disparition de différentes espèces de poissons, le Comité de concertation de Muanda, par contre, qui reçoit mensuellement 210 000 dollars à titre d’assistance sociale, a rejeté les conclusions du rapport de la commission sénatoriale. Le président de ce comité, Kiki Kiatonda, soutient haut et fort que sans PERENCO, Muanda serait resté un gros village. Pour le Comité de concertation qui regroupe près de 70 villages modernisés, électrifiés au gaz fourni par PERENCO, les sénateurs devraient aborder la question de la pollution pétrolière d’une manière globale et non sectorielle. Kika Kiatonda accuse aussi les trafiquants pétroliers ainsi que l’entreprise SOCIR de pollution dans la ville.
Par conséquent, le Comité de concertation de Muanda, qui reçoit également 600 000 dollars des autres pétroliers producteurs récemment installés dans la région, dit n’est pas être d’accord avec les conclusions du rapport de sénateurs accusant l’entreprise PERENCO de polluer cette contrée. Se considérant comme « porte-parole et représentant exclusif de la population de Muanda », le président du Comité de concertation a accordé de fait un certificat d’étude d’impact environnemental (EIE) à PERENCO.
Plan Polmar
De son côté, l’État s’est engagé à travers le ministère de l’Environnement, à se doter d’un Plan Polmar. Celui-ci consiste, en pratique, à l’établissement des cartes de sensibilité décrivant les endroits sensibles et stratégiques pour la lutte contre les pollutions pétrolières dans le milieu marin. Il est fait, en effet, obligation à tout État côtier de tenir à jour ses cartes de sensibilité et de disposer d’un cadre de concertation permanente avec les sociétés pétrolières et les ports maritimes en vue de faire face à l’urgence en cas de déversement accidentel des hydrocarbures dans le milieu marin.
Les entreprises pétrolières suivantes PERENCO, Chevron ODS, Muanda International Oil Company, Lirex, Surestream et Teikoku Oil sont en phase de production à Muanda, d’après ITIE/RDC. Et les entreprises en phase d’exploration sont SOCO, Surestream appelé aussi Energulf. Les taxes ou les différentiels dont l’État tirent ses recettes se déclinent en 9 actes : royalties, droits superficiaires annuels, impôt sur les bénéfices et profits, impôt spécial forfaitaire, précompte BIC, dividendes, bonus de signature, taxe de statistique et marge distribuable (profit oil État associé).
Le ministère de l’Environnement et les compagnies pétrolières ont produit des cartes de sensibilité en 2010, mais aussitôt rejetées par des environnementalistes pour leur caractère aléatoire, a-t-on appris. Ceci se sait et au ministère des Hydrocarbures et au ministère de l’Environnement, de la Conservation de la nature (et du Tourisme). Ces cartes ont été, selon toute vraisemblance, réalisées à la va-vite. Nombre d’éléments biologiques pourtant nettement identifiés n’ont pas été pris en compte. Ces cartes ont notamment fait impasse sur des dauphins qui sont pourtant présents depuis des lustres en amont de la plateforme Tshala. Les experts de l’Organisation maritime internationale (OMI) et de l’Association internationale des industries de pétrole pour la protection de l’environnement (IPIEACA) sont venus à la rescousse de la RDC. Au contraire, la RDC est en passe d’être blackilistée dans toutes les instances environnementales internationales. Pour une question aussi délicate, décideurs et législateurs y vont en ordre dispersé pour trouver des solutions idoines. Voilà quasiment dix ans que le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat diligentent séparément des enquêtes au large de Muanda, pour faire la lumière sur les allégations des ONG selon lesquelles l’exploitation pétrolière aurait fait d’énormes dégâts contre l’environnement. Bien souvent, les limiers de l’État sont pris en charge par PERENCO, l’entreprise sur qui pèsent pourtant de lourdes présomptions de pollution de l’environnement.
Qui pollue paie ce qu’il veut bien payer
Une loi portant principes généraux de l’environnement est en vigueur depuis quelques années en RDC. Elle a davantage durci la législation en matière d’environnement qui repose, essentiellement, sur le principe « Qui pollue, paie ». Par exemple, tout exploitant d’une unité au large, d’une installation de manutention d’hydrocarbures ou d’un navire qui ne dispose pas d’un plan d’urgence pour la lutte contre la pollution par les hydrocarbures est puni d’une amende de 8 millions à 40 millions de francs constants. L’amende sera plus lourde pour quiconque se livre notamment à l’enfouissement ou au déversement dans la mer territoriale ou encore dans tout autre espace maritime national des produits chimiques interdits ainsi que des déchets dangereux provenant de l’étranger : de 16 millions à 40 millions de francs constants plus 5 à 10 ans de servitude pénale.
La loi prévoit notamment que tout exploitant d’une unité au large, d’un port maritime, d’une installation de manutention d’hydrocarbures ou d’un navire dispose d’un délai ne dépassant pas une année à compter de l’entrée en vigueur de la future loi générale sur l’environnement pour élaborer et mettre en œuvre un plan d’urgence contre la pollution par les hydrocarbures. Tout cela ne reste encore que sur papier. Jamais l’État n’a sévi contre les entreprises pollueuses en RDC.
D’ailleurs, la loi générale sur l’environnement offre des parades aux opérateurs économiques pour se soustraire aux contraintes environnementales. Une demande d’informations sur l’environnement peut, en effet, être rejetée lorsqu’elle se rapporte à des émissions des substances dans l’environnement dont la consultation ou la divulgation peut avoir des incidences défavorables sur la conduite de la politique extérieure du pays, de la défense nationale ou de la sécurité publique.
Ou encore lorsqu’elle se rapporte à une procédure juridictionnelle en cours ou à une enquête d’ordre pénal ou disciplinaire. Ce qui est tout de même compréhensible. Mais ça sent le dol, quand la loi étend cette exception de non-divulgation des informations inhérentes aux émissions des substances dans l’environnement sur des motivations économiques.