Si l’élite à l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, est à l’image de Bruno Tshibala Nzenzhe, alors le pays est vraiment mal parti pour l’alternance politique. Les 100 jours (délai de grâce) passés au n° 5 de l’avenue roi Baudouin n’auront pas permis à Tshibala de gagner la confiance des Congolais. Au contraire, la classe politique s’affaire déjà pour lui trouver un successeur, capable d’apporter une solution à la crise congolaise. Selon des indiscrétions qui nous parviennent du personnel d’appoint, la primature ressemblerait fort à la cour du roi Pétaud, depuis l’arrivée des locataires à l’étiquette UDPS. Passons !
En tout cas, le soleil d’Austerlitz ne se lèvera pas sur la primature de Tshibala. Ce n’est pas Waterloo non plus qui se profile à l’horizon. Mais les prochains jours risquent d’être beaucoup plus rudes que prévu pour Bruno Tshibala jugé « impopulaire » et « incompétent », commente un diplomate occidental. Le 1ER Ministre n’a apparemment rien investi sur les « questions brûlantes » de sécurité et d’économie. Comme son prédécesseur, Samy Badibanga Ntita, l’autre transfuge de l’UDPS, Bruno Tshibala ne s’est pas encore rendu au Kasaï en proie à la tourmente spasmodique de Kamwina Nsapu.
Et à Kinshasa, ville frondeuse d’environ 10 millions d’âmes, le spleen a gagné tout le monde. On assiste impuissant, chaque jour, à la « dramatisation spectaculaire » de la vie par les adeptes de Bundu dia Kongo (BDK), qui humilie la police. Certes, Tshibala a trouvé la crise du franc, mais il a encaissé « le choc » et semblé le minimiser.
Du coup, le président de la République, Joseph Kabila Kabange, a subtilement et utilement repris la main et fixé les lignes directrices de l’action à mener par le gouvernement Tshibala. Pas question de laisser Kinshasa à la merci des partisans du gourou de BDK. La sécurité dans la capitale est désormais entre les mains des unités d’élite de l’armée, qui sécurise les sites stratégiques et autres, la police s’étant montrée défaillante face aux incursions des partisans de BDK. Et il ne fallait ni minimiser ni dramatiser la crise du franc qui s’est livré à lui-même.
Techniquement et politiquement, Joseph Kabila, 16 ans au pouvoir et à la tête du pays, a compris qu’on ne fait pas de politique forte avec des apprentis ou des fainéants. Sur ce registre, Badibanga et Tshibala ont fait jeter un doute sur la capacité de l’élite à l’UDPS à gérer le pays. C’est ainsi que Kabila a mis en place un « comité stratégique », genre cellule de crise, chargé de l’application des mesures économiques urgentes décidées par lui-même.
Côté cour
Ces mesures visent l’amélioration du niveau de collecte des recettes publiques et la lutte contre la fraude douanière et fiscale. Lors du dernier conseil des ministres, présidé par Joseph Kabila, lui-même, les ministres d’État, le ministre de l’Économie et le ministre des Finances, complétés par les autres membres du comité stratégique ont, tour à tour, fait le point sur la mission qui leur a été confiée. Pour rappel, les membres du comité stratégique ont visité notamment les provinces du Haut-Katanga et du Kongo-Central, à l’effet d’améliorer le niveau de collecte des recettes publiques.
À la suite de leurs communications, le gouvernement a constaté la porosité constante des neuf frontières de la République démocratique du Congo qui favorise la contrebande, de même que le non respect du décret présidentiel de 2002 fixant à quatre le nombre des services habilités à œuvrer aux frontières ainsi que de trop nombreux cas de fraude et de trafic d’influence qui ont contribué à une multiplication illégale des taxes et des services percepteurs, à la délocalisation des unités de production vers des pays voisins et à la criminalisation du commerce frontalier. Après débats et délibérations, le gouvernement a pris cinq décisions. Premièrement, la restauration effective de l’autorité de l’État et l’assainissement de l’environnement douanier à travers la suppression de toutes les taxes et frais administratifs illégaux aux frontières, la stricte observance du décret limitant à quatre le nombre des services publics aux frontières et des heures d’ouverture et de fermeture des postes frontaliers ainsi que de la suppression des barrières irrégulières. Deuxièmement, l’instauration des mesures de transparence et de lutte contre toute forme de tracasseries et la corruption à travers l’imposition d’un taux unique des taxes à répartir entre différentes structures prestataires des services, l’ouverture d’un numéro téléphonique vert d’alerte sur les tentatives de corruption et de violation des mesures, l’affichage obligatoire des frais de douane et taxes légaux et réglementaires aux frontières et l’inclusion de tous les services étatiques concernés dans le guichet unique. Une liste des agents de l’État indélicats et des personnes physiques ou morales qui violent ces dispositions au niveau de tous les postes frontaliers du pays est en élaboration et les sanctions leur devaient être infligées dans les vingt-quatre heures, car il s’agit manifestement de « criminels économiques récidivistes », selon le porte-parole du gouvernement, le ministre des Médias et de la Communication, Lambert Mende Omalanga.
Troisièmement, en vue de lutter contre la dépréciation monétaire, le gouvernement a, en outre, décidé un encadrement rigoureux des dépenses publiques et d’appuyer l’encadrement du processus de rapatriement des 40 % des recettes d’exportation des produits miniers et leur injection réelle dans l’économie nationale ainsi que l’encadrement efficace des changeurs de monnaie à travers leur regroupement au sein d’associations ou coopératives d’intérêt économique.
Quatrièmement, au plan structurel, pour éradiquer la fraude et la contrebande, le gouvernement a décidé d’ériger systématiquement des plateformes logistiques dans tous les postes frontaliers, d’informatiser et interconnecter l’ensemble de services, d’encourager le secteur bancaire à étendre le réseau financier et bancaires aux postes frontaliers, de conclure rapidement des accords bilatéraux et régionaux d’actualisation de la nature et du contenu du commerce transfrontalier, notamment avec l’Angola sur l’importation du carburant. Et cinquièmement, dans le but de relancer la production et de diversifier l’économie, le gouvernement a décidé l’octroi des crédits aux structures publiques de production agricole comme le DAIPN et Bukanga-Lonzo et l’octroi des crédits aux structures agro-pastorales privées développant des projets rentables.
Côté jardin
Il ne s’agit plus aujourd’hui d’afficher avec pompe des décisions qui ne seront pas de mise, mais d’agir énergiquement car le mal est si profond. La population, dont l’adhésion est essentielle dans ce domaine, pourrait bien se réfugier dans l’attentisme, étant donné que Tshibala, déjà très affaibli politiquement, est sous le feu des fonctionnaires…
…et agents de l’État. Sérieusement, le climat général n’est ni à la démagogie ni à la diversion au moment où tous les regards sont rivés aux élections. Comment ne pas céder à la méfiance, quand on observe les cafouillages côté membres du gouvernement.
Le délai de 48 heures pour la publication de la liste des « criminels économiques récidivistes » à sanctionner est largement dépassé. Le ministre délégué près le 1ER Ministre, Tshibangu Kalala, a crié sur tous les toits que plus rien ne sera comme avant. Il a exigé même que l’on juge son gouvernement à l’acte et non sur la base du passé. Mais ce passé semble le rattraper. Dans les faits, aucun changement n’est perceptible ; c’est le statu quo ante, notamment aux frontières et aux ports.
Certains, à Kinshasa, se montrent très sceptiques car le gouvernement n’est pas encore capable de lutter contre la corruption. Pour peu que les membres du gouvernement y mettent un peu plus de conviction. Le pari est difficile mais peut-être jouable, si l’exemple vient d’en haut. Sinon il est cependant loin d’être gagné d’avance dans un pays où l’opinion est d’humeur maussade et très sévère sur l’autisme du gouvernement face aux problèmes rencontrés par les citoyens, en raison du ralentissement économique, et où la défiance de la population à l’égard des élites au pouvoir est criante.