Comment l’Allemagne est galvanisée par Macron

Depuis le début de la campagne électorale française, l’Allemagne nage en pleine « Macronmania ». Aux yeux des observateurs, le candidat d’En marche incarne une France méconnue de l’opinion publique allemande : jeune, dynamique et audacieuse. Berlin mise sur lui pour travailler à une refonte de la zone euro.

Depuis le début de la campagne électorale française, l’Allemagne a un poulain : Emmanuel Macron. Elle voit dans le candidat d’En marche un Barack Obama ou un JFK français. Pour le ministre des Affaires social-démocrate (SPD), Sigmar Gabriel, « Macron a la force de sortir la France de sa léthargie ». Lors de ses deux récents déplacements à Berlin, l’ex-ministre de l’Economie a fait salle comble et suscité une attention spectaculaire de la part des médias. La sensation du premier tour, où il est arrivé en tête, a couronné ce qu’il convient d’appeler une « Macronmania ». Le quotidien « Die Welt » lui a consacré sa une, titrée « Super Macron » sur fond tricolore, ainsi qu’une double page au ton lyrique, voyant en lui un candidat de la « transformation » capable d’offrir « une joie futuriste à la culture politique en Europe ». D’où vient ce phénomène ?

Il y a d’abord la personnalité d’Emmanuel Macron, qui fascine outre-Rhin. A trente-neuf ans, il incarne une France méconnue de l’opinion publique allemande : jeune, dynamique et audacieuse. Ayant étudié à l’ENA et écrit une thèse sur le philosophe allemand Hegel, son parcours atypique séduit dans un pays où la théologie peut mener à la direction financière d’un grand groupe. Le couple qu’il forme avec sa femme Brigitte, plus âgée que lui, est autant un objet de curiosité. « Cher ménage Macron, vous êtes si français, merveilleusement français », écrit le chroniqueur du quotidien populaire « Bild ». Dès sa nomination comme ministre de l’Economie, Emmanuel Macron était présenté dans la presse comme le surdoué de la politique française.

Sa présence au deuxième tour inspire d’abord le soulagement. Berlin avait eu très peur d’une qualification de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Les candidats du Front national et de La France insoumise ne ratent pas une occasion d’attaquer l’hégémonie présumée de l’Allemagne. Marine Le Pen considère François Hollande comme le « vice-chancelier » d’Angela Merkel, dont elle a vivement critiqué la politique de réfugiés. La rivale d’Emmanuel Macron au deuxième tour prône une sortie de l’Union européenne (EU) et de la zone euro. Une telle décision signerait la fin du projet européen, qui est à la fois un pilier de l’identité et de la puissance économique et politique de l’Allemagne. Marine Le Pen plaide pour une alliance avec Vladimir Poutine, dont la chancelière se méfie. Protectionniste, elle veut ériger des frontières, alors que l’Allemagne, championne des exportations, dépend des frontières ouvertes.

Une ascension fulgurante, comme Merkel

Emmanuel Macron est aux antipodes. Résolument franco-allemand, il veut un dialogue avec l’Allemagne et non pas une opposition. Il est le candidat qui a le plus défendu l’UE et propose un nouveau projet pour la zone euro, qui pourrait certes s’avérer coûteux pour Berlin, mais sans doute incontournable. Lorsqu’il était ministre de l’Economie, il avait confié, avec son collègue Sigmar Gabriel, aux économistes Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein une mission franco-allemande visant un « New Deal » en Europe. Depuis, il dispose d’un réseau fidèle à Berlin. Sur le fond, il défend des valeurs libérales, aussi bien économiques que sociales, qui forment également le socle de la Loi fondamentale et du consensus allemands. Bref, là où Marine Le Pen se pose en adversaire de l’Allemagne – à l’exception du parti populiste AfD -, Emmanuel Macron est perçu comme un ami.

Au-delà du soulagement, il y a l’espoir. Car la « Macronmania » allemande s’explique également par le regard porté sur la France. L’Allemagne se désespère de son premier partenaire européen, qu’elle perçoit comme l’homme malade de l’Europe, incapable de se réformer, miné par le terrorisme et les tensions sociales. Face à cela, Macron apparaît comme un « messie », qui a l’avantage de penser comme elle. Non seulement il veut réformer sur le modèle du chancelier Gerhard Schröder, mais il est prêt à briser des tabous. Par exemple en s’attaquant aux élites, perçues outre-Rhin comme la racine des malheurs français. Mais aussi aux problèmes d’intégration, en faisant un travail de mémoire, que les Allemands considèrent comme essentiel après en avoir fait l’expérience. Lorsqu’il a parlé de « crime contre l’humanité » au sujet de la colonisation, le ministre des Finances chrétien-démocrate (CDU) Wolfgang Schäuble a certes regretté la formule, mais il a salué son courage.

La méthode Macron, qui veut dépasser le clivage gauche-droite, correspond, elle aussi, parfaitement à la recherche allemande de consensus. Vu de Berlin, l’Agenda 2010, considéré comme la clef de son succès économique, a justement été le fruit d’une alliance entre la droite et la gauche. Même sa rhétorique ressemble à celle d’un Allemand. « En même temps », cette formule chère à Emmanuel Macron, pourrait aussi bien sortir de la bouche d’Angela Merkel, qui préfère analyser que trancher.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre la chancelière et le candidat d’En marche. Comme lui avec François Hollande, elle a tué son père politique, le chancelier Helmut Kohl, pour prendre la présidence de la CDU à quarante-cinq ans, puis conquérir son pays. Comme lui, son parcours atypique – femme physicienne ayant grandi dans l’ex-RDA – reste une énigme pour les Allemands.