ON AURAIT dû être prudent. L’année 2019 a été marquée par un ralentissement économique. Prévisible ou inattendu ? Alors que le pays sortait d’une longue crise politique car les élections présidentielle et législatives générales devraient avoir lieu en décembre 2016, voilà que les Congolais se révèlent toujours plus méfiants vis-à-vis des promesses de campagne électorale et des perspectives à venir. Interrogés, ils disent, tous, préférer garder leur argent au chaud plutôt que de le dépenser follement… quitte à laisser passer la flambée des prix sur le marché. C’est la conclusion d’une étude du think tank Alter de Kinshasa, regroupant des chercheurs congolais issus de divers horizons scientifiques.
L’enquête, réalisée en janvier et février 2020 à Kinshasa, porte sur l’épargne des ménages. Selon le centre de recherche Alter, les ménages font de plus en plus, sans vraiment le faire, de l’économie ménagère. Ils font des arbitrages et dépensent juste. Autre constat : ils préfèrent de plus en plus garder leur argent à la maison pour les ménages à revenu faible, ou effectuer des dépôts en banque, parmi lesquels se trouvent notamment le compte courant et le compte épargne pour les familles à revenu moyen ou supérieur.
Cette tendance semble marquer même une rupture avec celle observée, il y a quelques années, selon laquelle les Congolais se tournaient davantage vers les banques afin de faire fructifier leur argent en demandant le crédit. Avec la bancarisation des fonctionnaires et agents de l’État, mais aussi avec l’inclusion financière, les banques commençaient à capter l’essentiel des flux nouveaux d’épargne. Mais, aujourd’hui, elles se plaignent que leurs clients ne remboursent pas le crédit obtenu d’elles.
Dépenses de survie
Il y a comme un climat d’incertitude globale sur le plan économique. Les Congolais préfèrent donc garder de l’argent à portée de main et en dollar. Selon le sondage du centre Alter, les Congolais privilégient avant tout les dépenses liées à la survie. Dans l’ordre : le loyer, l’alimentation, le transport, la scolarité des enfants, l’habillement les soins de santé, l’entraide. Ce sont des dépenses contraignantes, pourrait-on ainsi dire.
Mais, par crainte d’un retournement du contexte économique, ils sont obligés de faire des coupes dans le budget, de délester certaines dépenses au profit des autres, etc. Avec l’explosion des prix sur le marché, les dépenses alimentaires ont augmenté du simple au double, voire au triple, alors que le porte-monnaie n’a pas changé de contenu. Dans ce contexte, difficile de payer le loyer et satisfaire les besoins alimentaires. Il y a aussi la scolarité des enfants.
Une majorité de sondés répond qu’elle préfère ne pas dépenser comme avant la crise, mais avoir l’argent pour être sûr de ne pas être à découvert ou pour avoir de l’argent facilement disponible en cas d’imprévu. Ainsi, elle réduit au strict minimum les dépenses liées au transport, aux jouissances comme les fêtes d’anniversaire, les sorties… Elle préfère se soigner à l’indigène que d’aller consulter un médecin… Une partie des sondés invoque également le faible niveau des revenus. Pour elle, une dépense reste une dépense. Dans ce cas, difficile d’épargner. Le centre Alter prévoit un taux d’épargne des ménages moins élevé que les années précédentes, une régression principalement due à la flambée des prix des produits de consommation de première nécessité ces quatre derniers mois, ainsi qu’à la chute du moral des Congolais.
Effet temporaire ?
Dans l’ensemble, l’étude révèle que la hausse des prix a toujours eu un effet « psychologique temporaire » sur les ménages, et que le ralentissement économique devrait pousser les Congolais à garder leur argent près d’eux, en dollar s’il vous plaît. Rien n’est si sûr que la situation pourrait s’inverser sur le court et le moyen termes, d’ici fin 2020. Les banques pourraient voir les comptes de moins en moins alimentés, du fait d’un contexte de plus en plus incertain.
Il faut dire que le contexte joue également beaucoup sur la manière dont les ménages gèrent leurs fonds. Le secteur du commerce enregistre un recul, avec des très grands écarts selon les cas. Par ailleurs, les perspectives s’annoncent également moins réjouissantes, tant que le gouvernement n’a pas encore conclu un programme formel avec le Fonds monétaire international (FMI).
En décembre 2019, les ménages redoutaient que la dépréciation de la monnaie n’impacte les prix sur le marché de consommation à la veille des fêtes de fin d’année. À ce propos, la Banque centrale du Congo (BCC) a tenté de rassurer, sans vraiment rassurer, l’opinion que la volatilité du franc congolais, observée notamment en novembre dernier, n’affectait pas la stabilité du cadre macroéconomique. Et que la situation était, au contraire, sous contrôle. Cependant, la BCC n’avait pas vu venir le coronavirus.
Ménages échaudés
Mais les ménages, eux, constatent que le taux de change a retrouvé pratiquement le niveau atteint en 2017. Année de frénésie au cours de laquelle le taux de change est monté en flèche d’environ 1 400 CDF = 1 USD à 1 750 CDF = 1 USD. À fin novembre 2019, selon la Banque centrale, le cours indicatif s’est situé à 1 663,89 CDF = 1 USD et le cours parallèle à 1 717,50 CDF = 1 USD. Pour la Banque centrale, les facteurs de risque sont toujours présents bien que la stabilité du cadre macroéconomique reste « préservée », à cause de la pression exercée sur les prix des biens et sur le taux de change par le besoin de festivités de fin d’année.
Les réserves internationales ont connu une augmentation : 1,03 milliard de dollars à fin 2019, contre 660,03 millions à fin 2018. Soit 5,0 semaines d’importations des biens et services sur ressources propres, grâce notamment à l’encaissement d’une facilité de crédit rapide (FCR) de 368 millions de dollars dans le cadre du Programme de référence conclu avec le FMI…
Éviter l’euphorie
Le solde brut d’opinions des chefs d’entreprise quant aux perspectives de la conjoncture économique s’est davantage creusé en janvier 2020 pour s’établir à 7,7 % venant de -5, 7 % en décembre 2019, alors qu’elle était à +6,2 % une année auparavant. Cette détérioration est tirée par les branches construction et service. Seuls les secteurs des industries extractives et de l’électricité et l’eau affichent un solde positif d’opinions, avec respectivement 6,3 % et 52,7 % en janvier 2020.
À l’analyse, il se dégage que le solde global d’opinion des chefs d’entreprise en a commencé à décliner depuis juillet 2019, passant de 14,0 (juillet) à 11,0 (août) puis à 6,8 (septembre), avant de fléchir à 3,4 (octobre) et 1,6 (novembre) et terminer l’année à -5,7 (décembre).
Pour rappel, le solde d’opinion est la différence entre la proportion des répondants ayant exprimé une opinion positive et la proportion des répondants ayant exprimé une opinion négative. Ainsi, le solde est soit en hausse, soit stable, soit encore en baisse. Deogracias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale, se veut rassurant en déclarant que les signes de la reprise pointent à l’horizon.
Quand les autorités en place perdent la confiance de la population, les conséquences peuvent être désastreuses. Imaginez une nouvelle flambée des prix, la situation peut devenir dramatique. Les citoyens ayant perdu confiance à cause de la vie hyper chère peuvent se démobiliser et décider de demander des comptes.