Contre la diminution du nombre de députés

Populaire auprès des Français, le projet de réforme des institutions, visant notamment à réduire le nombre de députés va réduire la qualité de leur représentation et accentuer les inégalités entre les territoires. 

L’affaire Benalla a, momentanément, eu raison de  Mais elle reviendra à l’Assemblée nationale à l’ouverture de la session parlementaire, notamment pour deux de ses propositions phares : l’introduction d’une dose de 15 % de députés élus à la proportionnelle et la diminution de 30 % du nombre de parlementaires.

Une idée populaire et populiste

Cette dernière est populaire : 3 Français sur 4 y sont favorables. Elle est aussi populiste. En témoigne que, pour une immense part des personnes interrogées, elle permettrait une diminution de la dépense publique, qui n’est pas du tout certaine. Mais cette réforme a une vertu potentielle : l’amélioration des débats au sein des assemblées car moins de parlementaires pourraient se traduire par moins d’amendements dilatoires, moins de débats stériles. Sous la législature précédente, en moyenne 443 amendements ont été déposés par loi adoptée (hors loi autorisant la ratification de traités). Qu’il soit nécessaire d’améliorer le travail parlementaire est une certitude ; mais réduire le nombre de parlementaires pour y parvenir est une double erreur. 

La première est que cette réforme éloignera les députés de leurs électeurs.  On passera de 577 députés élus dans des circonscriptions découpées spécialement à 335 élus de cette manière, auxquels s’ajouteront 8 députés représentant les Français de l’étranger et 61 autres élus à la propositionnelle sur des listes nationales. Cela aboutirait, mathématiquement, à ce que les circonscriptions seraient presque 50 % plus grandes que les actuelles. En quoi cette réforme pourrait-elle être un remède au sentiment qu’ont, à tort ou à raison, les Françaises et les Français d’être mal représentés ? Cette mesure est même contradictoire avec l’introduction d’une dose de proportionnelle censée apporter une meilleure représentativité de la diversité de la société française à l’Assemblée.

Moins bonne représentation des Français

Les députés qui parcourront des circonscriptions plus grandes auront moins de temps à consacrer aux citoyens. On dira qu’ils rempliront mieux leur rôle d’élus nationaux. Mais c’est faire fi du rôle de médiateur que remplissent les députés au quotidien et qui ne disparaîtra pas avec cette réforme car il est tout à la fois un souhait des citoyens et une condition de la réélection. C’est aussi oublier que les parlementaires ont une mission de représentation. Comme le notait le juriste anglais William Blackstone au XVIIIe siècle, le député n’est pas tenu de consulter ses électeurs avant de prendre une position, mais il lui était loisible de le faire s’il juge « prudent ou convenable d’agir ainsi ». Aujourd’hui, de plus en plus de députés organisent des consultations citoyennes leur permettant de tâter le pouls de la population, de recueillir son avis sur des textes en discussion. Comment croire que tout cela sera encore possible si les circonscriptions augmentent dans de telles proportions ?

Redécoupage inégal des circonscriptions

La diminution du nombre de députés est une erreur pour une seconde raison : elle va entraîner un redécoupage des circonscriptions qui ne peut qu’augmenter les disparités de représentation des citoyens, selon leur lieu d’habitation alors que les citoyens sont très attachés au principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel considère que ce découpage doit reposer « sur des bases essentiellement démographiques », ce qui lui assure un caractère démocratique. 

Déjà, le mécanisme actuel ne respecte pas pleinement l’idéal démocratique que les Anglo-Saxons dénomment en utilisant la formule « one man, one vote, one value ».  La France compte 67 millions d’habitants . Une simple règle mathématique devrait donc aboutir à ce que chaque circonscription rassemble 116.000 habitants, ce qui n’est pas le cas. En effet, certains ajustements sont parfois nécessaires pour favoriser « la création d’une identité communautaire » (Albert Mabileau). Ainsi, la Lozère, avec ses 77.000 habitants, ne comporte qu’une seule circonscription bien moins peuplée que la moyenne nationale. Or, la réforme envisagée, pour des raisons de représentation des différents territoires de la République qui peuvent être jugées légitimes, n’envisage pas qu’un département puisse « partager » un député avec un autre département voisin. Ainsi il y aura toujours un député élu en Lozère quand la moyenne voudrait que désormais chaque circonscription rassemble 195.000 habitants. Bref, un habitant de Lozère serait 3 fois mieux représenté que les autres et un habitant de Saint-Pierre-et-Miquelon 33 fois mieux (contre respectivement 1,5 et 19 fois mieux aujourd’hui) !

Comment ne pas ressentir là d’injustice ? Comment la réduction du nombre de députés pourrait-elle, dans ces conditions, prétendre participer à la résolution de la crise de la représentation et à la restauration de la confiance entre les citoyens et les élus, entre les citoyens et la politique ? Ne reste finalement que la popularité de cette mesure qu’une meilleure information des citoyens pourrait balayer.