Une fois n’est pas coutume, ma chronique de cette semaine sera déclinée en deux tableaux, tous en termes de controverses : le premier comme réplique personnelle à un article lu ; le second pour faire écho à ce que des franges importante de nos compatriotes retiennent des images d’actualité qui leur sont servies à grand renfort de reportages et autres pages spéciales.
1. Tout récemment, Business & Finances a ouvert ses colonnes à un universitaire congolais qui souhaitait débattre avec nos lecteurs sur l’ancienneté de la civilisation africaine et les réalisations que celle-ci a permis d’enfanter dans différents domaines : sciences, culture et technique. Ce débat qui n’est pas nouveau – on connaît les thèses de Cheikh Anta Diop et de ses épigones sur l’antériorité de la civilisation noire – m’a toujours fait penser à un homme terrassé par la soif et la faim et qui choisit de tromper son mal en se remémorant l’époque où il vivait dans l’abondance.
C’est évidemment capital de connaître ce que fut le passé, glorieux ou non, de nos ancêtres. Par contre, ce n’est guère faire honneur à leur génie si notre praxis quotidienne est perpétuellement aux antipodes de l’héritage clamé. À quoi nous servirait, par exemple, de revendiquer l’héritage architectural du royaume de Kusch si, jusqu’en ce vingt-et-unième siècle, nous continuons de nous abriter dans des huttes en chaume et des cabanes en pisé ? Quel intérêt y aurait-il à réclamer à cor et à cri l’africanité des savants et philosophes de l’Antiquité si, dans l’Afrique d’aujourd’hui, les préoccupations du ventre et du bas-ventre priment sur celles de l’esprit ? Si l’école n’est plus perçue comme le lieu par excellence d’incubation du savoir, du savoir-faire et du savoir-vivre, gages et socles d’un devenir meilleur ? Il semble que dans l’Égypte africaine (sic !), le rôle du roi « consistait à assurer la maât, c’est-à-dire garantir la vérité, la justice et l’ordre social et cosmique et, en même temps, anéantir l’isfet (terme égyptien signifiant à la fois le mensonge, le désordre, le chaos) ». Je vous laisse deviner ce qui, du sacerdoce de la maât ou de l’attrait de l’isfet, rapproche le plus nos dirigeants africains actuels de leurs illustres devanciers, les pharaons…
Je veux bien croire, avec Marianne Cornevin, citée dans l’article, que « l’idée du Noir incapable d’innovation a été inventée au XVIe siècle pour justifier l’esclavage et ensuite la colonisation ». Mais depuis que l’esclavage a été officiellement aboli et que nous nous sommes débarrassés des colons et des colonialistes, quel discours cohérent avons-nous développé pour nous valoriser et nous mobiliser afin de déclencher et hâter le développement effectif du continent ?
À regarder de près ce à quoi nous assistons aujourd’hui, impuissants ou complices, dans nos différents pays indépendants, c’est-à-dire, non pas à l’émergence de citoyens responsables de leur destin, mais d’individus qui n’ont rien à envier aux anciens esclaves et colonisés, il y a lieu de s’interroger sur ce qui serait prioritaire et urgent à entreprendre comme combat. Pour ma part, je doute fort que ce soit dans la voie que vante et propose le professeur Hippolyte Mimbu Kilol, à savoir la lecture nombriliste de notre passé et l’afro-optimisme tous azimuts face aux soi-disant « contributions multiformes de l’Afrique à la civilisation humaine, hier et aujourd’hui ».
2. Les réalités de l’Afrique d’aujourd’hui, c’est entre autres ces milliers de bras jeunes qui peuplent nos villes et qui, faute de ne pouvoir servir, constituent autant de bâtons qui s’abattront demain sur nos têtes. Des jeunes qui, dans l’attente d’une occupation incertaine, passent le clair de leur temps à papoter, à discuter. Dans nos quartiers urbains, existent ces endroits, sortes de fora, de parlements debout, où ils viennent tuer leur désœuvrement chronique. Parler de jeunes gens, c’est d’ailleurs une clause de style car certains parmi eux ont, tout de même, déjà atteint la quarantaine La quarantaine, et toujours rien, et toujours des « Tanguy », chez papa et maman… Celui qui ne les connaît pas et qui les aurait entendus se traiter de tous les noms de petits et grands oiseaux, furieux de ne pouvoir faire prévaloir leurs arguments de charretiers, croirait que leur algarade s’achèverait en pugilat de rue. Non, cela n’arrive presque jamais ici. En effet, tant que les mollahs de la politique et autres marchands d’illusions ne les ont pas embrigadés ou instrumentalisés, nos jeunes savent encore se sustenter, à leur manière, aux vertus de la vieille palabre africaine. Malheureusement, s’ils finissent par enterrer leur hache de guerre, le calumet de la paix qu’ils fument après est de plus en plus, hélas, bourré de haschisch !
Coup de projecteur sur des jeunes de mon quartier que j’ai surpris l’autre jour en train de discuter vivement. Et de quoi palabraient-ils ? Vous ne me croirez probablement pas, tellement leur pomme de discorde avait des saveurs surréalistes. Tenez : qui est le plus fort, le plus riche entre Shabani Nonda et Matata Ponyo ? Rien que ça. J’avoue avoir mis, moi aussi, toute une éternité avant de démêler l’écheveau de leur brouille. Celle-ci est en fait née du choc des deux images montrées en boucle sur la soixantaine de petits écrans du paysage audiovisuel kinois, à quelques jours d’intervalle.
La première image, c’est celle du Premier ministre venant prendre possession des clés de l’imposant « Hôtel du gouvernement », place Royal, dans la commune de la Gombe. La seconde, quelques jours auparavant, est celle de l’ex-capitaine des Léopards et ancien joueur, notamment, de l’AS Roma et de Monaco, pendant la crémaillère dans sa cossue « Villa Fatuma », au 38 du boulevard Colonel Tshatshi, dans la même commune de la Gombe.
Hôtel Matata Ponyo contre Villa Shabani Nonda : qui dit mieux ? Je vous épargne et de l’argumentaire développé dans chaque camp et surtout des explications avancées sur l’origine des fonds ayant servi à l’érection des deux bijoux. Ce qui est certain c’est que de grands scénaristes de fiction sommeillent dans nos quartiers…
Personnellement, ce qui m’a vraiment interpellé et que je voudrais partager avec vous, ce sont les deux réflexions collatérales développées par deux « sages « qui ont permis aux brailleurs des deux camps de se calmer et, en quelque sorte, de se réconcilier. Premièrement, le souhait de voir nos ministres, à présent qu’ils disposent d’un grand hôtel, rien qu’à eux, affecter à d’autres besoins plus utiles et prioritaires pour la nation les faramineuses sommes d’argent qu’ils dépensent pour louer des immeubles devant abriter leurs cabinets et/ou pour équiper ceux-ci, à l’occasion de chaque remaniement ministériel. Et, a malicieusement ajouté l’un de ces jeunes qui paraissait être dans le secret des dieux, qu’ils cessent de parader dans des petits hôtels… Deuxièmement, le souhait de voir d’autres vedettes congolaises, notamment nos musiciens, suivre le bel exemple de Shabani Nonda, au lieu de dilapider en vaines dépenses les cachets qu’ils gagnent, soumettant ainsi, à leur décès, proches et progénitures à l’humiliante et pénible tâche de quémander la charité publique pour les inhumer dans la dignité.