Course à la 5G: bras de fer tendu entre les États-Unis et la Chine

Washington et Pékin se rendent coup pour coup pour avoir la main sur la prochaine génération de communication mobile. Pour les États-Unis, les grandes ambitions de la Chine dans la 5G constituent une sérieuse menace pour l’économie américaine.

 

Pour les États-Unis et la Chine, la course à la 5G n’est pas seulement une bataille technologique. Si aucun des deux géants ne veut perdre ce bras de fer, c’est parce qu’à leurs yeux, celui qui l’emportera disposera d’un atout décisif pour prendre le leadership économique mondial à plus long terme. À l’heure où les applications, l’intelligence artificielle et les objets connectés imprègnent, irriguent et révolutionnent des secteurs aussi variés que les transports, l’énergie, la santé, la finance ou la construction, maîtriser les réseaux mobiles et leur technologie devient crucial. Autrement dit, ce n’est plus simplement, comme par le passé, une affaire concernant la seule industrie des télécoms.

Cela, la Chine l’a bien compris. C’est la raison pour laquelle le pays a fait de la 5G une de ses priorités économico-stratégiques. L’objectif est double : Pékin veut à la fois être le premier à déployer cette technologie partout sur son territoire, tout en étant leader sur le front des brevets, des standards, de la conception et de la fabrication de ces réseaux ultra-rapides. Sachant que la 5G doit remplacer l’actuelle 4G à l’horizon 2020. 

Outre des débits plus importants, cette technologie de communication a été pensée pour connecter des légions d’objets connectés. Elle pourrait, par exemple, permettre aux premières voitures autonomes de circuler dans les pays les plus avancés.

Un catalyseur économique essentiel

Pékin a donc fait de la 5G un des piliers de son programme « Made in China 2025 ». Celui-ci vise à faire de la Chine une référence mondiale en matière d’innovation et de nouvelles technologies, alors qu’elle a longtemps été perçue comme un pays à bas coût se contentant de copier plus ou moins bien les produits étrangers. Aux yeux de Pékin, la 5G fait partie des fondations technologiques essentielles qui permettront l’émergence de champions économiques. Son ambition? Devenir, sur le long terme, ni plus ni moins que la première puissance manufacturière du globe.

Ces dernières années, la Chine a ainsi mis les bouchées doubles dans la 5G. Selon Reuters, qui cite un document d’études prévisionnelles du ministère de l’Industrie et des technologies de l’information, les investissements cumulés du pays dans la 5G s’élèveront, d’ici 2025, à 1 650 milliards de yuans (environ 214 milliards d’euros) ! Toujours d’après l’agence économique, les équipementiers télécoms chinois comme ZTE et Huawei en sont parmi les principaux bénéficiaires. Ce dernier, qui se rêve par ailleurs en futur leader du marché des smartphones, dépense chaque année une bonne dizaine de milliards de dollars en recherche-développement, dont une part importante va dans la 5G. Ces dernières années, le groupe a même ouvert un labo dédié à cette technologie en France, avec à sa tête Mérouane Debbah, un cador des communications radio. En parallèle, Huawei multiplie les collaborations avec les industriels de la robotique, de l’automobile, de l’industrie du futur ou des acteurs de la ville intelligente pour trouver aussi vite que possible des débouchés à la 5G.

Problème : aux États-Unis, les ambitions chinoises font grincer des dents. Elles sont perçues comme une menace dont l’objectif premier serait de croquer tout cru l’économie américaine. C’est la raison pour laquelle, au pays de l’Oncle Sam, remporter la course à la 5G est aussi devenu la priorité des priorités. À la Maison-Blanche, on ne songe, désormais, qu’à faciliter les investissements dans cette technologie des géants maisons des télécoms, à l’instar des opérateurs AT&T ou Verizon. Sous ce prisme, la décision récente de l’administration Trump de mettre fin à la neutralité du Net constitue un moyen d’inciter les géants du mobile à accélérer dans la 5G. Car en mettant fin à ce principe – au grand dam de ses défenseurs -, les États-Unis permettent au secteur de doper ses revenus. Concrètement, les FAI ont désormais la possibilité de faire payer leurs clients plus cher pour certains services gourmands en bande passante, ou avec une meilleure qualité de service. Ce qu’ils n’avaient pas le droit de faire jusqu’à présent.

« Guerre froide digitale »

Pour ne pas perdre la bataille de la 5G, le gouvernement américain est même allé plus loin. Fin janvier, selon le site d’information Axios et le Wall Street Journal, qui citent une note confidentielle, des responsables de la Maison-Blanche en charge de la sécurité nationale ont poussé l’exécutif à investir dans un grand réseau 5G américain sur deniers publics pour contrer la Chine. Même si cette idée, très critiquée aux États-Unis où l’on privilégie largement l’investissement privé, semble pour l’heure sur la touche, elle illustre à quel point Washington prend la menace chinoise au sérieux.

Dans une tribune publiée dans le Financial Times, Richard Staropoli, l’ancien directeur de l’information du Département américain de la sécurité intérieur, a qualifié l’actuel bras de fer entre les États-Unis et la Chine de « guerre froide digitale » ! Alors que les États-Unis et la Chine soufflent aujourd’hui sur les braises d’une guerre commerciale en taxant leurs produits respectifs, Richard Staropoli est convaincu que d’ici peu, Washington va « cibler clairement la technologie chinoise ». Avec l’objectif de plomber le programme « Made in China 2025 », « que les États-Unis considèrent comme une menace directe à l’hégémonie économique américaine ».

Selon lui, l’administration Trump devrait, entre autres par ce biais, s’employer à ralentir la machine de guerre chinoise en matière de 5G. À l’en croire, la Maison-Blanche a mis en place une stratégie pour « perturber l’accélération subventionnée du gouvernement chinois dans le monde du mobile ». C’est, selon Richard Staropoli, la raison pour laquelle Washington songe toujours, malgré les critiques, à construire un réseau 5G national sur fonds publics. « Le rôle de la Chine dans le cyberespace constitue une menace croissante pour la sécurité nationale, explique-t-il. Si les sanctions (commerciales) à venir apparaissent comme le côté défensif de la stratégie américaine, le développement d’un réseau 5G de classe mondiale à travers les États-Unis constitue son côté offensif pour inciter les entreprises à développer cette technologie dont les États-Unis ont besoin pour rester au top. »

Reste que dans les faits, les États-Unis rendent déjà la vie dure à certains groupes technologiques chinois qui cherchent à s’implanter chez eux. Ces dernières années, Huawei a essuyé un chapelet d’échecs commerciaux au pays de l’Oncle Sam. Il s’est, par exemple, fait éjecté d’un projet de câble sous-marin dédié aux télécommunications, a échoué à commercialiser ses smartphones avec AT&T, ou s’est vu interdire la vente d’équipements télécoms. À chaque fois, l’exécutif et la sphère politique américaine ont brandi leur crainte que Huawei, à travers ses mobiles et ses infrastructures, ne les espionne. Ce qui provoque l’ire de Pékin, qui, officiellement, n’y voit qu’une méchante politique protectionniste sous le prétexte de préserver la sécurité nationale. Les passes d’armes entre les deux géants sont vraisemblablement loin d’être finies.