EN SE METTANT dans la peau du justicier Lucky Luke, l’homme qui tire plus vite que son ombre, Jules Alingete Key, l’inspecteur des finances en chef, doit faire preuve de beaucoup de courage. Sinon… Ah ! En effet, s’il y a un art dans lequel les Congolais, les Kinois en particulier, excellent le plus, c’est la dérision ! Plusieurs observations-anecdotes éclairent un aspect de ce qui l’attend, et ont attiré notre attention pour essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête de ce quinquagénaire.
Nommé le 1er juillet 2020 à la tête de l’Inspection générale des finances (IGF), Jules Alingete Key est appelé à surveiller étroitement les dépenses publiques, les régies financières, les services d’assiette, les entreprises publiques ainsi que l’ensemble des gouvernements provinciaux. Il joue donc le rôle de « pièce maîtresse » dans le dispositif de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République démocratique du Congo. Mû par la volonté d’assainir les mœurs politiques au pays. C’est lui que le président Fatshi a choisi pour traquer les auteurs de détournements de l’argent public. L’intéressé préfère dire que ce sont des voleurs, qui mentent comme ils respirent.
Soyons sérieux : avant sa nomination, Jules Alingete Key n’était pas connu du grand public. Beaucoup découvrent à peine son parcours du combattant. Après avoir décroché sa licence en sciences économiques de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) en 1988, Jules Alingete Key entre dans l’IGF début janvier 1989 en tant qu’inspecteur stagiaire. Il est promu inspecteur des finances en 2000. Expert-comptable agréé, spécialiste en fiscalité et expert en matière du climat des affaires, Jules Alingete a été détaché dans plusieurs ministères ainsi que dans le cabinet du 1ER Ministre comme conseiller en charge du climat des affaires sous Samy Badibanga Ntita et Bruno Tshibala. C’est donc un expérimenté qui connaît les rouages des finances publiques.
C’est pourquoi d’ailleurs, l’inspecteur des finances en chef prend un plaisir d’appeler le chat, chat. Pour lui, tous les détourneurs de l’argent public ont le comportement des voleurs. Le récent rapport de l’audit de l’IGF sur plusieurs grandes entreprises publiques révèle des scandales de détournement de deniers publics, des avantages illégaux que s’octroient les mandataires publics… Les missions de contrôle soulignent de nombreux abus. Leurs conclusions définitives ont été transmises aux dirigeants de ces entreprises le 28 mai 2021, par un courrier également adressé au président de la République et à Sama Lukonde Kyenge, le 1ER Ministre.
Les couacs commencent
Alors que le rapport de l’IGF était en train d’être débattu au Conseil des ministres, Jules Alingete aurait pris soin de le transmettre au parquet général de la République. Bien entendu, l’ouverture d’une action judiciaire devra attendre parce que le président Tshisekedi et le gouvernement se sont prononcés en faveur des sanctions administratives. Comment Jules Alingete l’a-t-il encaissé, lui qui milite pour la création d’un parquet financier et la construction d’une prison dédiée aux « Kulunas en cravate ».
Les déboires ont commencé pour Jules Alingete au Sénat qui a rejeté le mardi 15 juin 2021 la demande de levée de l’immunité parlementaire d’Augustin Matata Ponyo Mapong, en vue des poursuites judiciaires dans l’affaire Bukanga Lonzo, sur réquisition du procureur près la Cour constitutionnelle. C’est un aveu d’impuissance quand l’inspecteur des finances en chef déclare : « La Chambre dite des sages est un véritable refuge des prédateurs qui ont souillé les caisses de l’État... Les gens doivent comprendre aujourd’hui que l’IGF et la justice ont fait leur travail. Nous avons résisté à toutes les tentations possibles, mais aujourd’hui l’impunité n’est ni dans le camp de l’IGF, ni moins encore dans le camp de la justice. Ce sont des acteurs politiques qui sacralisent l’impunité. » Et de poursuivre : « La Chambre de sagesse de toute une nation ne peut pas se transformer en un temple d’impunité et d’antivaleurs, c’est la dérive ! Nous continuons à faire notre travail avec abnégation et c’est la population qui doit tirer les conséquences du comportement des acteurs politiques. »
En donneur de leçons, Jules Alingete rumine sa colère. Lors d’un entretien à radio Top Congo, l’inspecteur général des finances était indigné de constater que « les sénateurs ont raté l’occasion de se remettre en confiance avec le peuple congolais ». Rappelant au passage les conditions dans lesquelles les sénatoriales ont eu lieu en 2019 dans notre pays. Le chef de l’État est intervenu pour suspendre le processus d’investiture des sénateurs à cause de sérieux soupçons de corruption. « Nous avons fait les premières investigations que nous avons transmises à la justice qui les a approfondies. Il revient alors à la justice de décider de la suite. L’IGF est désormais sur d’autres dossiers de la République. »
Multipliant les déclarations via les médias, le patron de l’IGF est plutôt un objet de plaisanterie que de crainte ou d’admiration dans certains milieux dans le pays. Beaucoup de personnalités qui sont visées par la patrouille financière de l’IGF ont décidé de lui faire barrage. Jules Alingete joue devant nous le rôle du justicier ou du super flic, mais on commence à avoir un peu de compassion pour un homme qui n’appartient pas à la catégorie bien connue des politiciens « qui savent se faire élire et même réélire pourtant, une fois arrivés au pouvoir, montrent qu’ils ne sont pas faits pour gouverner.
Énigme enveloppée
On le dit très intelligent, expérimenté et sa proximité avec le chef de l’État lui donne un énorme pouvoir dont le risque est de voir rien sortir de bon. À quoi servent tous ces contrôles, audits, investigations ? Que cachent les déclarations tonitruantes du patron de l’IGF devant les caméras ? Jules Alingete a-t-il conscience de son échec ? Où est la faille ?
C’est là une énigme enveloppée de mystère. Jules Alingete peut-il faire mieux que des effets d’annonce, s’interrogent des observateurs ? Ceux-ci pensent qu’il n’est pas politiquement taillé pour la fonction que le président de la République a fait reposer sur ses épaules. « Le résultat qui s’étale sous nos yeux, est, littéralement, une pitoyable absence de politique. À ne pas être forcément un bon chef, c’est un mauvais élève qui fait ce qu’il lui est dit de faire sans faire la part des choses. Il n’a pas un côté sage », commente l’un d’eux.
Pourtant, l’IGF et son chef exercent une fascination dans l’opinion. Pour un professeur des sciences politiques que Business et Finances a interrogé, l’IGF apparaît comme « un système de terreur implacable », et pour s’accomplir doit « envoûter les foules ». En réalité, poursuit-il, il s’agit d’une « certaine admiration répugnante ». Vraiment, l’ère de la corruption, des passe-droits, des petites combines et des détournements de fonds publics est-elle révolue ?
« Le grand criminel est toujours une figure qui a bien réussi en histoire. Ce qui fascine aussi dans l’IGF, c’est de voir comment les détourneurs vont se comporter vis-à-vis d’elle et de la justice. L’IGF donne l’impression de sous-estimer la réaction de ceux qu’elle accable par ces accusations. Les hommes politiques ont ceci de particulier : ils vous règlent votre compte, tôt ou tard, et tous les coups sont permis. », fait remarquer ce professeur des sciences politiques. C’est comme ça qu’il voit les choses : « Il faut laisser faire la nature, c’est-à-dire ne pas croire que les arbres pousseront plus vite si on tire sur les branches. La vie du soldat n’est pas dénuée de réels dangers. Le véritable danger, c’est la dégénérescence du système… »