De l’eau à Goma : l’escroquerie décriée . Regideso contre Mercy Corps

Quelque 20 jours après leur « remise officielle » aux autorités de la province du Nord-Kivu, les bornes fontaines ne sont pas toutes opérationnelles. Seulement 27 bornes fontaines servent de l’eau à la population de Goma et 10 autres n’ont pas été livrés, sur les 94 ouvrages construits. Que la Regideso menace de traîner Mercy Corps en justice, ça dit tout !

IL Y A un problème et on n’a pas besoin d’un dessin pour cela. Pour la remise officielle, le mercredi 31 mars 2021, des bornes fontaines construites par l’ONG britannique Mercy Corps dans le cadre du programme Imagine financé par le DFID, l’ambiance était voulue solennelle. Carly Nzanzu Kasivita, le gouverneur du Nord-Kivu, a symboliquement réceptionné ces ouvrages en présence de plusieurs personnalités dont Robert Seninga, le président de l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu, des députés nationaux et provinciaux (élus de Goma et Nyiragongo), Juliette John, la directrice en charge de développement à l’ambassade de Royaume-Uni en RDC. 

Mais ce n’était que pour faire parade. La Regideso, partenaire de Mercy Corps dans le projet de desserte d’eau dans la ville de Goma à travers la société Congo Maji, a superbement boudé la double cérémonie de clôture du programme Imagine et de remise officielle des infrastructures d’eau réalisées dans le cadre de ce programme de développement. Pourquoi la Regideso a-t-elle boycotté la manifestation, donnant ainsi lieu à des supputations qui entament la crédibilité de l’ONG britannique ?

Voici pourquoi : en date du 27 mars 2021, soit quatre jours avant ladite cérémonie, Clément Mubiayi Nkashama, le directeur général de la Regideso SA, écrit (lettre DG/546/2021) à Tom Mosquera, le directeur du programme Imagine à Goma, pour lui signifier « la surprise » de sa société de « constater » que Mercy Corps s’est précipitée à clôturer le programme Imagine et à remettre les bornes fontaines à l’exécutif provincial sans au préalable « vider » les « réserves » de la Regideso, principalement sur les « anomalies et malfaçons » relevées par elle, concernant les ouvrages réalisés dans le cadre de ce programme.

Par ailleurs, poursuit le directeur général de la Regideso, l’ONG britannique « s’obstine dangereusement » à vulgariser la loi relative à l’eau, « qui ne prévoit pas la remise des infrastructures de l’eau aux provinces » en tant que maître d’ouvrage. Cependant, il rappelle que seule la Regideso, dont la mission est l’exercice du service de l’eau en RDC, a la maîtrise des ouvrages et les compétences nécessaires pour « assurer dans ses périmètres, la délégation de maître d’ouvrage ».

Menace d’ester en justice

Il rappelle également que c’est depuis 2010 que Mercy Corps est en partenariat avec la Regideso. Un partenariat renforcé en 2016 pour « réaliser, dans son périmètre et ses installations, des ouvrages divers destinés à l’alimentation en eau potable » dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Pour Clément Mubiayi, « curieusement », Mercy Corps n’a jamais eu d’égard à l’endroit de la Regideso qu’elle a toujours considérée comme « un tiers » au programme Imagine.

Et la Regideso qui n’a pas voulu cautionner la supercherie, en prenant part à la double cérémonie du 31 mars dernier à Goma, « se réserve le droit d’ester en justice » pour « toutes les violations flagrantes des termes assortis du contrat » qui la lie à Mercy Corps.

Et comme si cette menace de poursuite judiciaire ne suffisait pas, le directeur général de la Regideso a également adressé, à la même date du 27 mars 2021, une correspondance à Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, pour lui faire part de « l’indignation » de l’entreprise publique à ce propos.

Citation

« Clément Mubiayi accuse les animateurs de ce programme, dont certains ont pris la poudre d’escampette après avoir dilapidé les ressources destinées à financer les travaux devant améliorer le service de l’eau potable en faveur de la population de cette partie du pays. »

Pour sa gouverne, il lui fait savoir ceci : des infrastructures ont été réalisées en 2003 sur le réseau d’adduction d’eau de la Regideso dans la partie nord de la ville de Goma dans le cadre du programme I-Wash, financé conjointement par l’USAID, le DFID et l’UE. Et, dans ce contexte, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a réhabilité deux stations de pompage (Lacs 1 et 2).

En rappel, I-Wash était un programme de construction de 55 bornes fontaines : 49 ouvrages ont été financés par les bailleurs de Mercy Corps et les 6 autres par la coopération italienne, lesquels avaient été remis à l’exécutif provincial en novembre 2015. 

Et la gestion de ces bornes fontaines avait été confiée à l’ONG YME Grands Lacs qui a réalisé, contre toute attente, des recettes record d’environ 1 million de dollars par an. Mercy Corps avait donc tenté de prendre le contrôle de YME Grands lacs, mais sans succès. C’est ainsi qu’elle va créer la société Congo Maji pour gérer les bornes fontaines dans la ville de Goma. 

Puis, l’ONG britannique va obtenir de DFID un financement d’environ 36 millions de livres sterlings, soit 42 millions de dollars pour la construction de 300 bornes fontaines dans les villes de Goma, Bukavu et Bunia dans le cadre du projet Imagine dont l’exécution a débuté fin 2014 pour une durée initiale de 5 ans, et qui a été clôturé le 31 mars 2021 au lieu de fin décembre 2020.

En dehors du projet Imagine, Mercy Corps pilote à Goma un autre projet dénommé « LIFT ». Il est financé à hauteur de 34 millions de dollars par l’USAID. Débuté en octobre 2020, il doit permettre la desserte en eau potable dans les périphéries de la ville de Goma. 

Marché de dupe

Dans le cadre du partenariat public-privé entre la Regideso et Mercy Corps, il était prévu un financement de 6,5 millions de dollars pour le renforcement de la capacité de pompage de la station de la Regideso (Lac 1), la construction de deux réservoirs de 5 000 m3 chacun sur le domaine de la Regideso (Mont Goma et Bushara) et la pose d’un réseau de distribution (80 km de PVC de diamètre allant de 10 à 300 mm) avec bornes fontaines. 

À l’approche de la fin du programme Imagine après prolongation (fin décembre 2020), la Regideso dépêché, en octobre dernier, à Goma (et à Bukavu aussi où le programme est exécuté) ses experts, chargés de faire « un état des lieux » des travaux d’infrastructure réalisés par Mercy Corps. 

Selon les rapports de mission, « les travaux ont été réalisés partiellement et plusieurs malfaçons avérées ont été relevées ». Pour « garantir » un fonctionnement « cohérent et optimal » de tous les ouvrages, la Regideso a demandé à Mercy Corps de lui transmettre « un planning réaliste » qui permettrait « l’achèvement, à bon escient, de tous les ouvrages prévus », ainsi que « la correction des malfaçons constatées ». 

L’ONG britannique a fait la sourde oreille, jusqu’au 31 mars dernier. Pire, charge le directeur général de la Regideso, « les fonds décaissés, au nom de la République démocratique du Congo dans le cadre du programme Imagine, ont été gérés en toute opacité par Mercy Corps… ».

Opacité, le mot est lâché… mais il est moins fort pour décrire la réalité du terrain : une vaste escroquerie contre les populations de Goma et Bukavu. Clément Mubiayi accuse les animateurs de ce programme, dont « certains ont pris la poudre d’escampette après avoir dilapidé les ressources destinées à financer les travaux devant améliorer le service de l’eau potable en faveur de la population de cette partie du pays ».